Ce sont les efforts déployés par les staliniens français dans le mouvement syndical pour y développer leur influence qui donneront la matière de ces notes.
Le fait qui demeure le plus important est le voyage que fit, à Moscou, Léon Jouhaux. Il était mandaté par le bureau de la Fédération Syndicale Internationale, ainsi que W. Schevenels et Stolz, secrétaire général et secrétaire adjoint, pour y discuter les conditions d’affiliation des syndicats soviétiques à la F.S.I. Un communiqué du 28 novembre annonça la signature d’un accord réglant les conditions d’affiliation ultérieure entre les divers délégués. De retour à Paris, Jouhaux fit une déclaration dans laquelle il se félicitait des résultats obtenus, mais se refusa à les divulguer, le bureau de la F.S.I. devant les examiner prochainement. Et le silence s’établit autour de cette affaire.
Il fut rompu d’une manière désagréable pour les bonzes syndicaux. Le « Matin » reproduisit un article de Maurice Chambelland, dans la « Révolution Prolétarienne » du 10 décembre 1937. Chambelland y disait ses craintes et dénonçait une manœuvre vraisemblable. Après l’entrée des syndicats russes dans la F.S.I., sir Walter Citrine, antistalinien notoire, serait débarqué de la présidence, le vice-président Jouhaux prendrait sa place et Racamond deviendrait secrétaire général de la C.G.T. C’était, dans ces conditions, la concrétisation solennelle de la main-mise des staliniens sur le mouvement syndical et l’asservissement de ce dernier à la politique internationale de l’U.R.S.S. Nous verrons, plus loin, par les conditions posées, que Chambelland avait touché juste sur l’esprit des négociations.
Le « général », dans un leader du « Peuple », cria au roman-policier, affirma qu’il ne songerait à quitter ses fonctions qu’en cas de non-renouvellement de son mandat, mais ne souffla mot, cette fois encore, des conditions d’affiliation. C’est seulement ces jours-ci que le bureau de la F.S.I. se réunit pour les examiner. « Après avoir entendu et discuté le rapport de la délégation envoyée à Moscou », il rejetait l’affiliation des syndicats russes sévèrement. Il jugea, en effet, « impossible l’acceptation » des conditions et il demanda aux organisations dépendantes de la F.S.I. de faire connaître leur opinion, « si cela était leur désir ». Sans plus de cérémonie.
Un communiqué de la F.S.I. nous révèle, enfin, les fameuses propositions :
Elles sont de deux ordres : d’une part, intensification de la lutte contre la guerre et le fascisme, boycottage des pays fascistes agresseurs : Allemagne, Italie, Japon ; aide effective à l’Espagne et à la Chine et, d’autre part, contribution à l’unité syndicale dans les pays où elle n’est pas encore réalisée. Mais, aussi, les syndicats russes demandaient : la réunion extraordinaire d’un Congrès de la F.S.I. avec participation des délégués syndicaux soviétiques ; nomination de trois présidents dont un représentant soviétique ; l’un des secrétaires généraux devrait aussi être un représentant des syndicats russes. Enfin, les syndicats soviétiques devaient recevoir l’assurance que les millions de francs provenant de la centrale syndicale russe ne pourraient servir à une propagande contre l’U.R.S.S. et le mouvement syndical de ce pays.
Nous n’ajouterons rien, sinon que le « Peuple », organe confédéral, n’a pas encore trouvé la place pour publier, au 25 janvier, le communiqué de la F.S.I.
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Signalons aussi que les négociations conduites par Jouhaux, toujours mandaté par la F.S.I., en compagnie de sir Walter Citrine et de Schevenels, en vue de la réunification de l’U.G.T. espagnole ont abouti. Sous l’inspiration directe de Jouhaux et sur sa proposition, la tendance stalinienne, dirigée par Gonzales Pena, qui s’était emparée de la Commission exécutive de l’U.G.T., malgré la minorité de travailleurs qu’elle représente, l’a emporté. La Commission exécutive, composée de 11 membres, demeure ; on y ajoute seulement quatre membres appartenant à la tendance de Largo Cabellero.
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Si le « Peuple » ne trouve pas de place pour publier le communiqué de la F.S.I., il publiait, le 20 janvier, sous la signature d’Henry Raynaud, un manifeste de l’Union des Syndicats ouvriers de la région parisienne « demandant la réunion d’un Congrès du Front Populaire ».
Après avoir exposé la chute du cabinet Chautemps et stigmatisé « le rejet des communistes de la majorité parlementaire », Henry Raynaud écrivait :
« De deux choses l’une, ou la réglementation de l’embauchage et du débauchage et l’application de l’échelle mobile des salaires seront le fait de lois établies par le gouvernement et le Parlement, précédées ou non d’accords signés entre les deux parties essentiellement intéressées, la C.G.T. et la C.G.P.F. ; ou bien, en dehors du gouvernement déficient, les travailleurs seront appelés à chercher, par leurs propres moyens, par leur propre action, la possibilité de l’obtenir directement du patronat.
« De ce dilemme, aucun gouvernement ne pourra sortir ».
Délaissant la seconde solution, Henry Raynaud proposait la première et réclamait « la réalisation d’un Grand Congrès du F.P. dont les répercussions et les conséquences seraient considérables ».
La ficelle est grosse. La seule conséquence de ce Congrès, dans lequel les masses ouvrières auraient la majorité serait la revalorisation du P.C., son reclassement dans la « majorité parlementaire ». Quand les syndiqués comprendront-ils que, sous prétexte d’action revendicative, ils servent les intérêts de certains politiciens ? Quand signifieront-ils nettement à ces syndicalistes nouveau style qu’ils entendent désormais demeurer étrangers aux entourloupettes et aux crocs-en-jambes parlementaires ?
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Un organe syndicaliste révolutionnaire bi-mensuel, le « Réveil syndicaliste », vient de se créer. Il s’opposera, dans la C.G.T., aux organes réformiste et stalinien : « Syndicats » et la « Vie Ouvrière ».
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