Examinons le fonctionnement de l’emprunt que fait l’État.
Le rentier qui apportera 10.000 francs recevra 300 francs d’intérêt annuel jusqu’au moment où il lui sera remboursé 15.000 francs, dans une des 60 années qui vont suivre. Le prêteur touchera en moyenne trois fois sa mise et au plus quatre fois et demi.
Supposons que, parmi les chefs de famille, il y ait deux millions de souscripteurs à dix mille francs et dix millions de non-versants. L’État recevra alors vingt milliards (moins les frais d’émission, car il faudra bien payer la bureaucratie banquière et toutes ces belles affiches — ou hideuses, — puis il déboursera annuellement un milliard, soit au total soixante milliards.
Autrement dit, dans les impôts que paiera chacun des contribuables, l’État, pendant soixante ans, prélèvera 100 francs pour que le rentier touche 500 francs, et cette somme ne sera soumise à aucun impôt.
L’œuvre de reconstitution matérielle que, nous aurions à accomplir est immense. Si nous vivions en harmonie, un coup d’épaule pourrait être légitimement demandé à chacun. Au contraire, c’est le conflit, des intérêts qui règne suprême : le rentier pose des conditions léonines à son concours ; le terrassier réclame cinq francs par heure de travail… Mais au moins ce dernier n’obère-t-il pas les générations à venir.
On nous dit : « le capital est du travail accumulé et économisé ». Soit, mais ce qui est remarquable, c’est qu’il acquiert par cela même la faculté de se reproduire indéfiniment. Celui qui vers 1840 a prêté aux Compagnies de Chemins de fer a déjà été remboursé quatre fois (80 fois 5%) et prétend continuer à toucher son intérêt annuel.
Évidemment, je montre mon ignorance complète de ces questions ; mais (lui évaluera avec quelque précision ce qui, dans le budget annuel de chaque famille, passe à des prêts remboursés, des travaux déjà plusieurs fois payés (emprunts d’État, chemins de fer, maisons d’habitation, etc.) ? Qui nous dira par quel procédé un homme passe de la classe de travailleur à celle de rentier ? Qui nous expliquera clairement comment l’argent rapporte ? Et surtout qui nous montrera toutes ces choses d’une manière qui puisse être admise par la foule de ceux qui vivent simplement de leur travail ? Croit-on réellement que, dans cette course au gain, on ne rencontrera jamais de fossé ?
Pour revenir à l’emprunt, remarquons que pour aider l’État dans la crise actuelle — si tant est que l’on veuille le faire — l’individu possède des moyens bien moins onéreux polir la collectivité. Vous avez mille francs ? Mettez-les à la Caisse d’Épargne où vous toucherez un intérêt moindre que si vous le versez à l’emprunt. Mieux encore ! déposez-les à un compte de chèque postal, vous ne bénéficierez d’aucun intérêt. Et dans chacun des trois cas, l’État aura la somme à sa disposition.
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