La Presse Anarchiste

Une Lettre de Malato

Cher Cama­rade,

J’avais pris mon billet pour par­tir le 28 pour Mar­seille et, de là, plus loin. Je me suis fait un devoir de mili­tant de sus­pendre mon voyage. Mais il est, sinon cer­tain — rien dans le monde n’est cer­tain ! — du moins vrai­sem­blable qu’une détente va se faire. S’il en est ain­si, après avoir atten­du jusqu’au der­nier moment, je par­ti­rai pour ne pas rater mon bateau.

Je suis aujourd’hui ce que j’étais hier, prêt à tout pour la trans­for­ma­tion sociale et vou­lant la révo­lu­tion, qu’elle soit ou non, « catas­tro­phique ». Mais je ne l’identifie pas avec des gami­ne­ries et péta­rades de roman­tiques plus ou moins « m’as-tu vu » qui y cherchent sur­tout un mar­che­pied. Pas plus que je n’ai été défai­tiste, je ne suis avec ceux qui stig­ma­tisent comme mas­sa­creurs ceux qui ont orga­ni­sé la défense des socié­tés plus ou moins démo­cra­tiques (bour­geoises, c’est enten­du), contre le moyen âge, le mili­ta­risme alle­mand et la papau­té. C’est vous dire que je suis à l’opposé de R…, C… et même du Liber­taire. Ceux-là ne sont pas de notre géné­ra­tion, ils ne nous com­prennent pas, l’étiquette peut être la même, mais ils pensent et sentent contrai­re­ment à nous. Je ne pré­tends pas leur impo­ser mes sen­ti­ments et idées, mais je n’entends nul­le­ment subir les leurs.

C’est vous dire que si je suis prêt à endos­ser toutes res­pon­sa­bi­li­tés de signa­ture avec vous et nos vieux amis (Grave, avec lequel je me suis tant dis­pu­té, et me dis­pu­te­rai peut-être encore, Tcher­ke­soff, Ber­trand, Paul et Jacques Reclus, Cor­né­lis­sen et les autres cama­rades des Temps Nou­veaux), je n’entends en rien faire le jeu des néo-anar­chistes qui sont beau­coup plus près d’un Mau­ri­cius que de Kro­pot­kine. On a lais­sé le ter­rain libre aux fri­pouilles en se refu­sant à les exé­cu­ter, et dans les moments psy­cho­lo­giques on s’aperçoit que ce sont ces gens-là qui ont pris la direc­tion du mou­ve­ment et que nous ne comp­tons plus.

Tout ce que nous pou­vons faire à l’heure pré­sente est d’agir paral­lè­le­ment à la C.G.T. Je n’aime pas tous ses chefs, notam­ment …, qui s’est per­mis d’écrire dans la Bataille que la plu­part les « chefs » liber­taires avaient tra­hi, c’est-à-dire avaient refu­sé de lais­ser l’empire du monde aux Hohen­zol­lern. Néan­moins, nous ne pou­vons, en la cir­cons­tance, qu’appuyer la C.G.T. qui est consciente de ses res­pon­sa­bi­li­tés et de ses pos­si­bi­li­tés, sans même cher­cher à la pous­ser à enga­ger dans des condi­tions défa­vo­rables une lutte qui se ter­mi­ne­rait par l’écrasement des grou­pe­ments ouvriers et révo­lu­tion­naires et un recul peut-être de vingt ou 30 ans.

Bien à vous et à tous.
 
[/​Ch. Mala­to./​]

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