La Presse Anarchiste

Épreuve de l’anarchisme

La pénin­sule ibé­rique n’est pas seule­ment un champ d’es­sai pour tanks et avions ; les dif­fé­rents sec­teurs du mou­ve­ment ouvrier sont obli­gés d’y prou­ver par le fait leurs capa­ci­tés de réa­li­sa­tion, et cela sous peine de périr. Par­mi ces sec­teurs l’ex­pé­rience des orga­ni­sa­tions anar­chistes et anar­cho-syn­di­ca­listes force l’at­ten­tion. En effet, socia­listes et com­mu­nistes ont déjà eu l’oc­ca­sion, dans une cer­taine mesure de mettre la main à la pâte sociale : les pre­miers à tra­vers les gou­ver­ne­ments de coa­li­tion en Alle­magne, en Autriche, en Bel­gique ou encore dans des gou­ver­ne­ments plus stric­te­ment socia­listes en Angle­terre et au Dane­mark ; les seconds donnent leur mesure depuis vingt ans sur l’im­mense ter­ri­toire russe.

Par contre, les anar­chistes, par­tout sur la terre, avaient été réduits à un rôle d’op­po­si­tion (pra­ti­que­ment l’ex­pé­rience de Makh­no en Ukraine pou­vait être négli­gée à ce point de vue, en rai­son de ce que ses plus longues occu­pa­tions de régions se chif­fraient par semaines).

Enfin en Espagne et sur­tout en Cata­logne, depuis 1936, les anar­chistes purent jouer un rôle extrê­me­ment impor­tant (domi­nant en Cata­logne au début de la période consi­dé­rée) ; ils ont pris part au pou­voir ; ils comp­taient et comptent sur l’ap­pui d’é­normes masses ouvrières et pay­sannes (dont la par­tie orga­ni­sée, notam­ment dans la C.N.T., doit dépas­ser lar­ge­ment un mil­lion et demi). Leur par­ti­ci­pa­tion au pou­voir (avec des tona­li­tés diverses) a duré 10 mois ; leur atti­tude actuelle en face du gou­ver­ne­ment est encore celle d’une neu­tra­li­té plu­tôt bien­veillante et en tout cas d’ap­pui abso­lu par les armes.

L’é­tude de leur acti­vi­té peut être faite sans la moindre crainte de leur por­ter pré­ju­dice dans la guerre civile : leurs mili­tants eux-mêmes le pro­clament (Ex. dis­cours de Galo Diez, pro­non­cé à Valence, été 1937) :

… La C.N.T. a esti­mé que le moment était arri­vé où plus rien ne pou­vait être caché, et cela pour le béné­fice de la guerre et de la révo­lu­tion. (Bro­chure de la C.N.T. sur les évé­ne­ments de mai).

D’un autre côté le scru­pule de por­ter un juge­ment sur des hommes en pleine action, tout en res­tant soi-même dans une inac­ti­vi­té par­tielle, n’a rien de com­mun avec la logique. Le cou­rage et l’in­tel­li­gence sont deux domaines dis­tincts ; il est indis­pen­sable pour le révo­lu­tion­naire qu’il par­ti­cipe aux deux. Mais cela ne peut ame­ner a consi­dé­rer tous les actes cou­ra­geux comme ser­vant tou­jours le but poursuivi.

On peut et on doit donc en réflé­chis­sant à l’ac­ti­vi­té des anar­chistes, par delà leur cou­rage, savoir com­prendre ce qu’ils ont fait et où ils vont.

Ces points d’in­ter­ro­ga­tion méritent d’être consi­dé­rés par l’en­semble du mou­ve­ment ouvrier. Mais en par­ti­cu­lier les ouvriers écœu­rés du renie­ment social-démo­crate, allant vers l’u­nion sacrée au pro­fit du capi­ta­lisme ; les pro­lé­taires décou­ra­gés par le renie­ment com­mu­niste se trans­for­mant en natio­na­lisme de l’État-patron russe ; bref tous les révo­lu­tion­naires héré­tiques et mécon­tents des par­tis dits révo­lu­tion­naires ont un inté­rêt spé­cial à se pen­cher sur l’ex­pé­rience anar­chiste en Espagne. Avant de se remettre à nou­veau en route et sur une route nou­velle, ils ont un inté­rêt à connaître les ten­ta­tives de ceux qui, comme les anar­chistes espa­gnols, ont cher­ché avant eux des voies propres ; ils doivent sur­tout le faire pour ne pas finir par être rame­nés vers des obs­tacles qu’ils ont connus dans leurs propres organisations.

Anarcho-patriotes

La guerre civile en Espagne s’est presque, dès les pre­mières semaines, com­pli­quée d’une guerre exté­rieure ; les inter­ven­tions des gou­ver­ne­ments ita­lien et alle­mand datent des pre­mières semaines (le rôle des gou­ver­nants anglais, fran­çais et russes, fut plus camou­flés et s’exer­ça dans un domaine autre que celui des opé­ra­tions mili­taires pro­pre­ment dites). Aus­si les anar­chistes durent très rapi­de­ment prendre posi­tion en ce qui concer­nait la défense de la « patrie » et de la « nation ». Sans hési­ter ils acce­ptèrent cette défense ; leurs jour­naux, leurs dis­cours, leur pro­pa­gande sont far­cis des termes la race, l’I­bé­rie, nous les vrais Espa­gnols, la patrie et autres cli­chés ; c’est par dizaines qu’on pour­rait citer pareils exemples.

Par­fois il sub­siste dans ce pro­cé­dé une mince sur­face de classe : l’Es­pagne que les anar­chistes défendent serait l’Es­pagne des ouvriers, des pro­duc­teurs. Ex. : Fede­ri­ca. Mont­se­ny après avoir sou­li­gné. sa qua­li­té de membre du Comi­té régio­nal de Cata­logne (orga­ni­sa­tion de la C.N.T., orga­ni­sa­tion anar­cho-syn­di­ca­liste) et du Comi­té pénin­su­laire de la F.A.I. (orga­ni­sa­tion poli­tique anar­chiste) pro­clame dès la fin d’août 1936 :

L’Es­pagne grande, l’Es­pagne pro­duc­trice, l’Es­pagne vrai­ment réno­va­trice, c’est nous qui la fai­sons : répu­bli­cains, socia­listes, com­mu­nistes et anar­chistes, quand nous tra­vaillons à la sueur de notre front.

Mais de ce patrio­tisme pro­lé­taire au patrio­tisme tout court il n’y a qu’un pas à faire ; la mili­tante anar­chiste le fran­chit aisé­ment ; au cours du même dis­cours, elle affirme :

« Nous sommes tous unis sur le front de la lutte ; uni­té sacrée, uni­té magni­fique, qui a fait dis­pa­raître toutes les classes, tous les par­tis poli­tiques, toutes les ten­dances qui nous sépa­raient avant. »

I1 importe de remar­quer que ceci est dit en pleine apo­gée de l’a­nar­chisme, moins de six semaines après le 19 juillet ; les com­mu­nistes russes ont com­men­cé, assez timi­de­ment d’ailleurs, à prô­ner le patrio­tisme russe vers 1930 ; c’est-à-dire 13 ans après le grand Octobre ; les liber­taires espa­gnols clament leur espa­gno­lisme un mois après le grand juillet. Aucun sou­ci de conser­va­tion ne sau­rait expli­quer cette « évo­lu­tion » si rapide ; leur Influence est à son maxi­mum ; le chan­tage de la four­ni­ture des armes par le gou­ver­ne­ment russe ne s’exer­ce­ra qu’à par­tir d“octobre 1936. Non, ce patrio­tisme est dû à la force morale d’une pro­pa­gande sécu­laire du chau­vi­nisme, s’é­veillant à l’im­pro­viste, dans les sec­teurs où l’on s’y atten­drait le moins. Puis il y a aus­si le mépris du « bétail humain », de la masse à gagner, par n’im­porte quel slo­gan ; pour­vu qu’elle s’en­ivre et suive, les mili­tants liber­taires se feront patriotes ; en fin de compte, ne faut-il pas battre Fran­co… et cela à tout prix.

Mais qui a dit A fini­ra bien dans l’al­pha­bet patrio­tique par pro­non­cer B, le bon patriote non seule­ment est fier de son « pays », il est ame­né à mépri­ser les autres « nations » ; aus­si, tou­jours dans la même logique les anar­cho-syn­di­ca­listes espa­gnols remettent en hon­neur le terme de « boches » que nous avons vu appa­raître clans « Soli­da­ri­dad Obre­ra », un des organes prin­ci­paux (voyez S.O. du 10 – 1‑37).

Un autre exemple du même mépris chau­vin est celui four­ni par un appel de la Soli­da­ri­té inter­na­tio­nale Anti­fas­ciste, publié dans Soli­da­ri­dad Obre­ra du 25 – 9‑1937 disant tex­tuel­le­ment ceci :

La S.I.A. est un orga­nisme de base soli­daire qui répond aux sen­ti­ments du peuple cata­lan, qui sont supé­rieurs aux peuples châ­trés d’I­ta­lie et d’Allemagne.

Ces cita­tions seront sans doute suf­fi­santes pour juger de la per­sis­tance du natio­na­lisme chez les anar­chistes espa­gnols ; la «  France libre, forte et heu­reuse » du com­mu­niste Tho­rez se trouve sin­gu­liè­re­ment dépassée !

Le Problème colonial

Péné­trés de l’i­dée de ne rien faire pou­vant nuire à l’u­ni­té du front anti­fas­ciste, crai­gnant de sou­le­ver la colère des gou­ver­ne­ments fran­çais et anglais, en déchaî­nant la révolte dans l’A­frique du Nord, les anar­chistes ont évo­qué le moins pos­sible l’i­dée de l’in­dé­pen­dance des colo­nies, et en par­ti­cu­lier du Maroc espa­gnol. Tan­dis que Fran­co déma­go­gi­que­ment encou­ra­geait les ins­ti­tu­tions cultu­relles arabes, les liber­taires consa­craient à ce pro­blème quatre on cinq articles de jour­naux en dix-huit mois de guerre civile et quelques appels par haut-par­leur aux troupes maro­caines au-delà des tran­chées. Mais jamais une déci­sion pro­non­cée par les Comi­tés natio­nal ou pénin­su­laire de la C.N.T. ou de la F.A.I.

Au contraire par­fois dans les dis­cours de cer­tains mili­tants en vue, quelque mépris pour les Maures, rémi­nis­cence de l’é­du­ca­tion catho­lique déve­lop­pé pen­dant des siècles. Ex. F. Mont­se­ny par­lant le 31 août 1936, d’a­près Soli­da­ri­dad. Obre­ra du 2 – 9‑1936 :

« La lutte contre le fas­cisme sur les fronts de bataille se ter­mi­ne­ra bien­tôt, parce que de nom­breuses forces sont mises en jeu, et parce que l’Es­pagne, pays habi­tué à la gué­rilla, qui s’est habi­tué à la lutte pour l’in­dé­pen­dance, et qui s’est habi­tué à cette guerre civile, la plus triste, la plus fra­tri­cide, la plus cri­mi­nelle, est pré­pa­rée pour en finir bien­tôt avec cet enne­mi inté­rieur, avec cet enne­mi sans digni­té, ni conscience, sans sen­ti­ment d’Es­pa­gnol, car s’ils étaient Espa­gnols, s’ils étaient patriotes, ils n’au­raient pas lan­cé sur l’Es­pagne les « regu­lares » et les Maures, impo­sant la civi­li­sa­tion du fas­cio, non pas comme une civi­li­sa­tion chré­tienne, mais comme une civi­li­sa­tion mau­resque, des gens que nous sommes allés colo­ni­ser pour qu’ils viennent nous colo­ni­ser main­te­nant, avec des prin­cipes reli­gieux et des idées poli­tiques qu’ils veulent main­te­nir enra­ci­nés dans la conscience des Espagnols. »

Anarchistes et Impérialisme

L’ap­pui accor­dé par les gou­ver­ne­ments alle­mand et ita­lien aux par­ti­sans de Fran­co, l’at­ti­tude pas­sive des pro­lé­taires fran­çais, anglais et belges ne ten­tant aucune action directe contre leurs maîtres paral­lè­le­ment à la lutte des ouvriers espa­gnols ont ame­né les liber­taires espa­gnols à espé­rer leur salut de l’in­ter­ven­tion des impé­ria­lismes anglais, fran­çais et russe. Cet espoir est tou­jours mas­qué du man­teau de pré­fé­rence pour les démo­cra­ties ; il se confond par­fois avec des appels à la révo­lu­tion sociale, mais pra­ti­que­ment il consiste en une exci­ta­tion conti­nuelle à la lutte armée dans le sens de l’in­ter­ven­tion, voire au vœu de la guerre mondiale.

Cette pro­pa­gande est extrê­me­ment tenace : jour par jour, man­chettes, articles, dis­cours, demandent pour­quoi la France et l’An­gle­terre manquent d’éner­gie envers les fas­cismes. Quelques exemples : au moment où la C.N.T. par­ti­cipe encore au pou­voir, ses repré­sen­tants écrivent :

« L’Es­pagne libre fera son devoir. Face à cette atti­tude héroïque, que vont faire les démo­cra­ties ? Il y a lieu d’es­pé­rer que l’i­né­vi­table ne tar­de­ra pas à se pro­duire. L’at­ti­tude pro­vo­ca­trice et gros­sière de l’Al­le­magne devient déjà insup­por­table. Visi­ble­ment, l’I­ta­lie ne joue pas non plus un jeu propre. Il s’a­git de gagner du temps, et comme les uns et les autres savent que, fina­le­ment, les démo­cra­ties devront inter­ve­nir avec leurs escadres et avec leurs armées, pour bar­rer le pas­sage à ces hordes d’in­sen­sés, ceux-ci se dépêchent de détruire Madrid et réa­li­ser des actes de guerre leur assu­rant une situa­tion plus favo­rable que celle dans laquelle ils se trouvent actuellement. »

Le même point de vue de soli­da­ri­té et d’ap­pui aux gou­ver­ne­ments démo­cra­tiques s’af­firme dans un édi­to­rial récent, appe­lant pour­tant dans son titre les tra­vailleurs euro­péens à se dres­ser contre leurs bour­geoi­sies. En voi­ci des extraits édi­fiants d’a­près Soli­da­ri­dad Obre­ra du 10 – 11-37 :

« Il y deux façons de mener une guerre qui reflètent deux aspects de la lutte de classes : la guerre finan­cée et arti­cu­lée pour les buts spé­ci­fiques, impé­ria­listes et agres­sifs du capi­ta­lisme qui entraîne les pro­lé­taires au mas­sacre et cache néces­sai­re­ment, der­rière les grands men­songes his­to­riques, les véri­tables objec­tifs du mon­tage bel­li­queux des États agres­seurs. Il y a aus­si la guerre régie par les impé­ra­tifs révo­lu­tion­naires de la lutte des classes, les conquêtes sociales ou l’in­ter­ven­tion pré­pon­dé­rante dans la for­ma­tion et le déve­lop­pe­ment des armées natio­nales, dans ces pays où la ques­tion de l’in­dé­pen­dance se pose, en face d’États impé­ria­listes aux prises avec les convul­sions et des évé­ne­ments sociaux profonds.

…Nous n’a­vons pas de rai­son de cacher que nous nous situons aux côtés des pays démo­cra­tiques, où la démo­cra­tie ouvrière, les ins­ti­tu­tions syn­di­cales, poli­tiques, cultu­relles et coopé­ra­tives de la classe tra­vailleuse occupent le pre­mier plan de la vie civile, et saturent, à leur tour, mal­gré la pres­sion d’en haut. les ins­ti­tu­tions mili­taires elles-mêmes et les cadres de l’armée. »

Autre­ment dit, d’a­près les anar­chistes espa­gnols, en France, dans cette démo­cra­tie, les « cadres » de l’ar­mée répu­bli­caine, sont d’ores et déjà, avec nous !

Envers l’im­pé­ria­lisme russe, les liber­taires espa­gnols durent prendre une atti­tude bien plus sou­mise encore ; en effet, à par­tir d’oc­tobre 1936 et jus­qu’au début de 1938 les gou­ver­nants russes étaient les seuls four­nis­seurs d’armes sérieux et pou­vaient ain­si pra­ti­quer un chan­tage efficace.

Natu­rel­le­ment la pro­pa­gande anar­chiste ne put se per­mettre en aucune façon l’a­na­lyse de l’État-patron russe ; jamais les organes de la C.N.T. ne cri­ti­quèrent les « pro­cès de Mos­cou ». Mais le silence ne suf­fit pas à Sta­line. Il lui faut de la louange et les anar­chistes le ser­virent que de man­chettes célé­brant la magni­fique atti­tude de l’U.R.S.S. dans la S.D.N., que de flat­te­ries pour Lit­vi­nov. Mais voi­ci un édi­to­rial de Soli­da­ri­dad Obre­ra.i> du 10 – 11-37 plus pré­cis à cet égard :

« Les gou­ver­ne­ments alliés, avec plus ou moins de for­ma­li­tés, à l’U.R.S.S. le sont pour des rai­sons stric­te­ment stra­té­giques, pour les néces­si­tés poli­ti­co-mili­taires ; ils se seraient pas­sés de l’U.R.S.S., comme ils se hâte­raient de s’en débar­ras­ser à un moment quel­conque, s’ils ne voyaient pas dans le grand pays euro­péoa­sia­tique, le pré­cieux allié mili­taire qu’il fut tou­jours, même avant la révo­lu­tion. Si, en cas de force majeure, l’U.R.S.S. se voyait entraî­née dans une guerre aux côtés des états capi­ta­listes, elle la ferait, sans doute, pour défendre son exis­tence. mais ce serait là une éven­tua­li­té nul­le­ment désirable.

Pour le pro­lé­ta­riat mon­dial, la Rus­sie repré­sente quelque chose de plus et de très dif­fé­rent d’une force mili­taire qui allège la pres­sion exer­cée par l’Al­le­magne et l’I­ta­lie sur la France et l’An­gle­terre. C’est le ber­ceau de la révo­lu­tion sociale, de cette révo­lu­tion qu’une guerre capi­ta­liste, certes, n’im­pul­se­rait pas. Le pro­lé­ta­riat inter­na­tio­nal peut com­battre contre le pacte anti­com­mu­niste en lut­tant déjà pour la paix. Il peut com­battre pour l’U.R.S.S. en lut­tant pour la révo­lu­tion dans le monde ; cela don­ne­rait à la Rus­sie un appui immense, étant don­né que seule une lutte révo­lu­tion­naire peut neu­tra­li­ser les suc­cès de la lutte contraire : celle du fascisme.

Nous autres, peuple en révo­lu­tion, nous vou­drions que les peuples du monde n’a­ban­donnent pas aux attaques des fas­cistes, étroi­te­ment unis en un pro­gramme d’ac­tion, le pays qui nous a pré­cé­dés dans la voie de la rédemp­tion sodate. Nous vou­drions que le pro­lé­ta­riat fixe, immé­dia­te­ment, son plan et son orien­ta­tion à ce sujet. Contre l’an­ti­com­mu­nisme du Japon, de l’I­ta­lie et de l’Al­le­magne, la soli­da­ri­té révo­lu­tion­naire du pro­lé­ta­riat mondial… »

Anarcho-militarisme

Les anar­chistes espa­gnols après avoir arrê­té dans des condi­tions extrê­me­ment dures la ten­ta­tive fas­ciste le 19 juillet, pro­lon­gèrent leur effort de lutte armée en consti­tuant les pre­mières milices.

Celles-ci dif­fé­raient du tout au tout des armées régu­lières ; consti­tuées, contrô­lées et ani­mées par les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, elles ne recon­nais­saient comme com­man­de­ment que celui qu’elles avaient libre­ment choisi.

Ces for­ma­tions souf­frirent du désordre inhé­rent à la pro­pa­gande désor­don­née et chao­tique des liber­taires ; mais les condi­tions de la guerre firent qu’elles s’im­po­sèrent à elles-mêmes une dis­ci­pline qui attei­gnit dans cer­tains déta­che­ments (Groupe anar­chiste inter­na­tio­nal) une grande valeur.

Mili­tai­re­ment par­lant et en consi­dé­rant les condi­tions désas­treuses d’ar­me­ment, l’ab­sence d’ex­pé­rience et d’entraînement, les milices syn­di­cales ont lar­ge­ment rem­pli leur tâche. Si elles ont à leur pas­sif les pertes d’I­run, de Saint-Sébas­tien, de Bada­joz, de Tolède, ce sont par contre sur­tout les milices de la C.N.T., de l’U.G.T. (avec les Bri­gades inter­na­tio­nales, très dif­fé­rentes au début, d’une armée régu­lière) qui assu­rèrent la défense de Madrid et de l’A­ra­gon, il ne faut tout de même pas oublier en fai­sant la com­pa­rai­son que 1′« armée popu­laire » a lais­sé échap­per Bil­bao, San­tan­der, Gijon et les Astu­ries ; quant à ses offen­sives les suc­cès de Bel­chite et de Teruel appa­raissent comme étant très ‚.. partiels.

Évi­dem­ment les milices prê­taient le flanc à la cri­tique par leur manque de coor­di­na­tion ; toute la ques­tion est de savoir si le mili­ta­risme pro­fes­sion­nel en leur don­nant cette coor­di­na­tion n’en tuait pas la force vive : l’es­prit de classe. Tel semble être l’a­vis de la plu­part des volon­taires qui, à des époques diverses, quit­tèrent l’ar­mée popu­laire fidèles à l’es­prit de juillet 1936 : « Mili­ciens, oui ! sol­dats, jamais ! », même ceux d’entre eux qui conti­nuent à chan­ter à l’é­tran­ger les louanges de la direc­tion C.N.T , ont bel et bien voté contre la mili­ta­ri­sa­tion « avec leurs pieds » en se reti­rant de la guerre civile après que les milices furent enrégimentées.

Mais si les mili­ciens anar­cho-syn­di­ca­listes alle­mands et ita­liens furent très pré­cis à cet égard, défen­dant avant tout le droit d’é­lire leur com­man­de­ment, les anar­chistes espa­gnols acce­ptèrent très aisé­ment la trans­for­ma­tion des milices en divi­sions et régi­ments, sans s’oc­cu­per de savoir qui dési­gne­rait les grades et comment.

Ils sont très fiers de ce qu’un cer­tain nombre de leurs mili­tants se soient trans­for­més en offi­ciers, voire en géné­raux. Ils ont admis qu’a­vec leur fonc­tion ces mili­tants acquièrent la men­ta­li­té du militariste.

Ain­si Gar­cia Olli­ver, membre du. Comi­té pénin­su­laire de la F.A.I., à l’é­poque secré­taire de la Conse­je­ria cata­lane à la guerre, pas­sant en revue les élèves offi­ciers d’une école mili­taire popu­laire disait (Bul­le­tin fran­çais de la Géné­ra­li­té, 30-III-37).

« Vous, offi­ciers de l’ar­mée popu­laire, devez obser­ver une dis­ci­pline de fer et l’im­po­ser à vos hommes, qui, une fois dans les rangs, doivent ces­ser d’être vos cama­rades et consti­tuer l’en­gre­nage de la machine mili­taire de notre armée.

Votre mis­sion est d’as­su­rer la vic­toire sur les enva­his­seurs fas­cistes et de main­te­nir ensuite une puis­sante armée popu­laire sur laquelle nous puis­sions comp­ter pour répondre à toute pro­vo­ca­tion fas­ciste, ouverte ou dégui­sée, d’une puis­sance étran­gère, et qui sache faire res­pec­ter le nom de l’Es­pagne, depuis si long­temps décon­si­dé­ré dans les sphères internationales. »

Cette idée d’hu­mains à trans­for­mer en engre­nages est par­fai­te­ment assi­mi­lée par les offi­ciers anarchistes.

« Nous renonçons à tout… sauf à la victoire. »

Avec pareille maxime for­mu­lée par Durua­ti, à la veille de sa mort, tous les exemples de trans­for­ma­tions anar­chistes sont admis par les diri­geants de la F.A.I.-C.N.T. comme des conces­sions dou­lou­reuses mais inévi­tables. Par­fois, néan­moins, sen­tant une rémi­nis­cence de leur atta­che­ment aux doc­trines d’hier, et sur­tout redou­tant une oppo­si­tion des ouvriers venus confiants en ces théo­ries, la direc­tion anar­chiste déclame : « gagner la guerre et faire la révo­lu­tion ». Il y a là une nou­velle jus­ti­fi­ca­tion du renon­ce­ment : la presse liber­taire espa­gnole invoque les entre­prises indus­trielles et agri­coles col­lec­ti­vi­sées obte­nues en échange du sacri­fice des doctrines.

Incon­tes­ta­ble­ment, le fait d’a­voir su occu­per les usines, de s’être empa­ré des ser­vices publics, d’a­voir réuni en com­munes de nom­breux petits pro­prié­taires pay­sans, et d’a­voir su faire rendre éco­no­mi­que­ment les nou­velles uni­tés éco­no­miques fut une grande conquête.

Le mal­heur est que l’ab­sence de démo­cra­tie ouvrière a appor­té un germe de gan­grène inté­rieure dans les col­lec­ti­vi­tés et les a entou­rées de menaces exté­rieures, fai­sant gra­duel­le­ment recu­ler le domaine col­lec­tif et fai­sant pré­voir même sa dis­pa­ri­tion proche.

Il n’existe pas encore de témoi­gnage d’ou­vrier ayant vécu dans les col­lec­ti­vi­tés espa­gnoles ; quant aux comptes ren­dus offi­ciels où, dans de longues tirades lit­té­raires, nagent quelques chiffres dont le contrôle est extrê­me­ment dif­fi­cile, ils répandent une odeur « retour d’U.R.S.S. » mon­trant que dans la besogne d’in­for­ma­tion les « délé­gués » liber­taires sont aus­si imbus d’es­poir para­di­siaque que leurs confrères sta­li­ni­sants (Ex : les repor­tages de Blicq dans le « Liber­taire » 1936).

Aus­si les plaintes des ministres anar­chistes Fede­ri­ca Mont­se­ny et Pei­ro, par­lant des nou­veaux bour­geois consti­tués par les membres des comi­tés des col­lec­ti­vi­tés, ne sont pas exclu­si­ve­ment dues à la méfiance envers la ges­tion ouvrière directe. Il est vrai­sem­blable que les anar­chistes espa­gnols qui n’ont pas res­pec­té la démo­cra­tie ouvrière ni dans les milices, ni dans les muni­ci­pa­li­tés, ni même dans leurs propres orga­nismes où l’é­lec­tion et le congrès sont de plus en plus écar­tés, ont agi de même dans les usines et domaines « incau­ta­dos ». Un autre symp­tôme du même ordre est l’a­ban­don par la C.N.T. du salaire uni­fié et fami­lial, la créa­tion de sept caté­go­ries de salaires, et cela dans les entre­prises col­lec­ti­vi­sées. Motif expo­sé par Vas­quez au der­nier Ple­num de la C.N.T. : « Le salaire fami­lial est anti-huma­niste parce qu’il porte pré­ju­dice à l’économie ».

Mais bien pire que la menace inté­rieure, se dresse autour des col­lec­ti­vi­tés l’é­treinte de l’État. Les diri­geants anar­chistes devraient connaître cet enne­mi. Envers lui ils ont adop­té une tac­tique lou­voyante : au nom des réa­li­tés, de l’an­ti­fas­cisme, de l’op­por­tu­nisme, du moindre mal ils ont renon­cé tout au moins pro­vi­soi­re­ment à le bri­ser ; une de leurs rai­sons essen­tielles est qu’ils ne veulent pas eux, anar­chistes, exer­cer de dic­ta­ture et rem­pla­cer l’État. En atten­dant ils ne demandent que s’in­cor­po­rer à lui. Dès les pre­miers jours, sans consul­ter la masse ouvrière pour savoir quelle repré­sen­ta­tion celle-ci enten­dait confier aux divers sec­teurs poli­tiques et syn­di­caux dans le comi­té de milices anti­fas­cistes, arbi­trai­re­ment ils éta­blirent la pari­té entre toutes les orga­ni­sa­tions, petites ou grandes, bour­geoises ou ouvrières, anar­chistes, socia­listes ou sta­li­ni­santes. Lorsque les par­tis bour­geois de l’Es­quer­ra et fas­ciste-com­mu­niste furent ins­tal­lés et ras­su­rés, ils impo­sèrent le retour à un gou­ver­ne­ment « régu­lier ». Les anar­chistes les sui­virent et eurent non seule­ment leurs ministres dans la Gene­ra­li­dad et dans les cabi­nets de Madrid ; mais encore ils entrèrent par­tout (en mino­ri­té et cer­né d’en­ne­mis) dans la police, les tri­bu­naux, les muni­ci­pa­li­tés, les gardes d’as­saut, les gar­diens de pri­son, sans rien chan­ger à la nature de l’ap­pa­reil éta­tique accep­tant de faire appli­quer les vieux codes mili­taire et civil, et tolé­rant même la déten­tion « guber­na­ti­va » (sans juge­ment) d’ou­vriers, abso­lu­ment lutte de classe (voir le pre­mier empri­son­ne­ment de Fran­cis­co Maroto).

Un der­nier degré de conces­sion leur avait été épar­gné : d’oc­tobre 1936 à mai 1937 il y eut bien des ministres et des poli­ciers anar­chistes au ser­vice de l’État bour­geois anti­fas­ciste, mais les syn­di­cats de la C.N.T. res­taient auto­nomes sans s’é­ta­ti­ser, d’une façon directe.

Actuel­le­ment ce stade est fran­chi. Chas­sés du conseil des ministres et des diverses filiales éta­tiques après les évé­ne­ments de mai, les diri­geants liber­taires ont sen­ti leur frin­gale de car­rière gran­dir. Aus­si dans la récente réponse de la C.N.T. À l’U.G.T. ces diri­geants pro­posent que :

L’U.G.T. et la C.N.T. s’en­gagent à réa­li­ser l’in­clu­sion effec­tive du pro­lé­ta­riat dans le gou­ver­ne­ment de l’État espa­gnol, sans exclure les forces non pro­lé­ta­riennes sui­vant les pro­por­tions qui cor­res­pondent à celles-ci. (Soli­da­ri­dad Obre­ra du 13 février 1938.)

Cette inté­gra­tion des syn­di­cats dans l’État est orga­ni­sée par la créa­tion de comi­tés tri­par­tites com­pre­nant des repré­sen­tants des deux cen­trales syn­di­cales, mais aus­si ceux de l’État. La pro­prié­té même des grandes indus­tries telles que mines, che­mins de fer, indus­trie lourde, banques, télé­phones, télé­graphes, navi­ga­tion mari­time est natio­na­li­sée, c’est-à-dire confiée à l’État. Les trans­ports eux-mêmes sont mili­ta­ri­sés, en employant la for­mule camou­flée de « mis à la dis­po­si­tion du gou­ver­ne­ment ». Ain­si il ne res­te­ra plus grand chose des col­lec­ti­vi­tés indus­trielles ; mais celles qui sub­sis­te­ront ain­si que les col­lec­ti­vi­tés agraires seront cer­nées par le col­lier des grandes entre­prises, des banques, de l’ap­pa­reil poli­cier et judi­ciaire qui lui appar­tien­dra à l’État. Para­doxal abou­tis­se­ment pour des anarchistes.

Pouvaient-ils faire autre chose ?

Le plus grave dans cette évo­lu­tion est qu’elle ne sou­lève presque aucune pro­tes­ta­tion dans l’en­semble du mou­ve­ment anar­chiste inter­na­tio­nal. La pre­mière période du minis­té­ria­lisme anar­chiste est mar­quée par les applau­dis­se­ments des liber­taires fran­çais, anglais, ita­liens, qui font pudi­que­ment quelques réserves sur l’ac­croc aux doc­trines, réser­vant l’exa­men de celui-ci pour plus tard. Dès novembre 1937 s’é­lève la cou­ra­geuse voix de Camil­lo Ber­ne­ri qui dut payer de sa vie son audace de cri­ti­quer la main-mise de Sta­line sur un gou­ver­ne­ment anti-fas­ciste — anar­chiste. C’est vers la même époque quand il est trop tard pour recou­rir à la volon­té ouvrière que les Sébas­tien Faure com­mencent à par­ler de « pente fatale », oubliant les repor­tages « enthou­siastes » de la pre­mière heure. Un Rudolf Rocker écrit une bro­chure de 48 pages sur la « Tra­gé­die de l’Es­pagne » sans évo­quer en une ligne les conces­sions anar­chistes. Quant au « Liber­taire » c’est en vain qu’on y cher­che­rait des don­nées sur l’i­né­ga­li­té des salaires, les ins­pec­teurs-entraî­neurs au tra­vail ou « l’in­clu­sion du pro­lé­ta­riat » dans l’État ; l’in­for­ma­tion est faus­sée et unilatérale.

Mais plus un anar­chiste est sin­cère, plus il a cru à la vita­li­té de son idéal, plus il souffre devant ce bilan et plus il se demande s’il était pos­sible d’a­gir autre­ment que ne le firent ses com­pa­gnons d’i­dées en Espagne.

Lais­sons à ce sujet la parole à un opus­cule des « Ami­gos de Dur­ru­ti » faible mino­ri­té anar­chiste qui, avec les Jeu­nesses Liber­taires de Cata­logne a réagi contre la col­la­bo­ra­tion des classes orga­ni­sée par les anar­chistes offi­ciels. Ce témoi­gnage est d’au­tant plus pré­cieux qu’il émane d’hommes connais­sant les condi­tions de la lutte et y ayant mis direc­te­ment la main.

« On n’a pas su uti­li­ser la valeur de la C.N.T. On n’a pas su faire avan­cer la révo­lu­tion avec toutes ses consé­quences. On a eu peur des flottes étran­gères, en allé­guant que des uni­tés de l’es­cadre anglaise auraient bom­bar­dé le port de Barcelone.

S’est-il jamais fait une révo­lu­tion sans affron­ter d’in­nom­brables difficultés ?

S’est-il jamais fait dans le monde une révo­lu­tion de type avan­cé en évi­tant l’in­ter­ven­tion étrangère ?

… Quand une orga­ni­sa­tion a pas­sé toute sa vie en pro­pa­geant la révo­lu­tion, elle a le devoir de le faire pré­ci­sé­ment quand il se pré­sente une conjonc­ture pour cela. Et en juillet, il y eut une occa­sion pour cela. La C.N.T. devait s’ac­cro­cher en haut de la direc­tion du pays, en don­nant un solen­nel coup de pied à tout ce qui était archaïque, vétuste ; de cette façon, nous aurions gagné la guerre et fait la révolution.

Mais on agit d’une façon oppo­sée. On col­la­bo­ra avec la bour­geoi­sie dans les ins­ti­tu­tions éta­tiques au moment même où l’État se cre­vas­sait aux quatre coins. On ren­for­ça Com­pa­nys et sa suite. On insuf­fla un bal­lon d’oxy­gène à une bour­geoi­sie ané­miée et apeu­rée. » (Bro­chure clan­des­tine des « Ami­gos de Dur­ru­ti » : Vers une nou­velle révo­lu­tions.

Conclusion

De ce pénible bilan, une seule chose res­sort avec cer­ti­tude : les anar­chistes espa­gnols et avec eux l’im­mense majo­ri­té des anar­chistes dans le monde, mis par la réa­li­té en demeure d’ap­pli­quer leur doc­trine en Cata­logne et en Espagne y ont renon­cé ; plus encore ils ont don­né leur adhé­sion effec­tive à un État com­por­tant la col­la­bo­ra­tion avec la bour­geoi­sie et oppri­mant les ouvriers.

Ont-ils agi ain­si parce qu’ils ne pou­vaient agir autre­ment ? Une conclu­sion abso­lu­ment claire à ce sujet ne peut être déduite. Nous avons cité les pos­si­bi­li­tés d’autres solu­tions. Mais s’il fal­lait conclure à l’i­né­luc­ta­bi­li­té de leur recul, il fau­drait en géné­ral poser la ques­tion, si dans n’im­porte quel coin du monde l’a­nar­chisme est appli­cable : en effet, en Espagne étaient réunies les meilleures condi­tions de déve­lop­pe­ment de ce mouvement.

D’autre part, il fau­drait conclure à ce que les diri­geants anar­chistes ont sim­ple­ment uti­li­sé la doc­trine comme un slo­gan, quitte à l’a­ban­don­ner dès qu’ils entre­virent la pos­si­bi­li­té d’une par­ti­ci­pa­tion à la hié­rar­chie sociale, un nou­veau pro­blème se pose­rait. Le 4 août 1914 marque le renie­ment socia­liste ; mars 1921, par le mas­sacre de Crons­tadt, peut pra­ti­que­ment être consi­dé­ré comme l’é­poque ini­tiale du renie­ment com­mu­niste, entrant dans les voies de la N.E.P. pour débou­cher dans le natio­na­lisme russe ; sep­tembre 1936, avec la dis­so­lu­tion du Comi­té des Milices, sym­bo­lise le renon­ce­ment anar­chiste. Des ana­lo­gies existent entre ces renie­ments : ils se pro­duisent lorsque les mou­ve­ments consi­dé­rés acquièrent une grande exten­sion ; ce déve­lop­pe­ment entraîne la sépa­ra­tion d’une caste supé­rieure ; celle-ci renie la doc­trine pour retour­ner dans les sen­tiers bat­tus de l’hu­ma­ni­té. Pour l’a­nar­chisme, ce phé­no­mène appa­raît très net­te­ment ; c’est après un suc­cès impor­tant qu’il se pro­duit ; la doc­trine anar­chiste a connu une série de réa­li­sa­tions par­tielles : l’arrêt du sou­lè­ve­ment fas­ciste, la résis­tance des milices, la mise en route des usines occu­pées. Ce n’est pas la vie qui a mis en échec ces réa­li­sa­tions, c’est le renon­ce­ment des diri­geants anar­chistes eux-mêmes.

Il faut donc pour le mou­ve­ment ouvrier trou­ver une forme d’ex­pres­sion autre que la pro­tes­ta­tion anar­chiste ; en effet, celle-ci, nour­rie en grande par­tie par la haine de la com­bine poli­ti­cienne, s’est révé­lée empoi­son­née presque dès le début par celle-ci.

Toute la ques­tion est de savoir s’il n’y a pas là une fata­li­té his­to­rique, si toute forme de mou­ve­ment ouvrier — et de mou­ve­ment humain — a peine gran­die, com­mence à pour­rir ; la marche en avant du pro­lé­ta­riat (actuel­le­ment avant-garde de l’hu­ma­ni­té) n’est-elle pas condam­née à suivre une courbe sinueuse d’a­van­ce­ment et de recul sans jamais arri­ver au « para­dis » ? Ou bien dans la période his­to­ri­que­ment très brève de vie du pro­lé­ta­riat indus­triel les trois renie­ments ne sont-ils que des épi­sodes ? Peut-être cette classe abso­lu­ment nou­velle fini­ra-t-elle par trou­ver le type d’or­ga­ni­sa­tion où l’é­lite ne se sépa­re­rait pas de la masse (des syn­di­cats, per­fec­tion­nés sans bureaucratie) ?

La recherche de ce type d’or­ga­ni­sa­tion s’im­pose, qu’il s’a­gisse sim­ple­ment de frei­ner la dégé­né­res­cence des orga­ni­sa­tions ouvrières ou d’empêcher défi­ni­ti­ve­ment cette dégénérescence.

[/​L. Nico­las./​]

La Presse Anarchiste