La Presse Anarchiste

La politique des ignorants

Nécessité de faire le point

Pour retrou­ver une méth­ode d’ac­tion, il nous appa­raît indis­pens­able de nous libér­er des classe­ments accep­tés par les dif­férents courants qui se parta­gent le mou­ve­ment ouvri­er. La géo­gra­phie offi­cielle des élé­ments qui par­ticipent aux luttes sociales ne cor­re­spond plus à la réal­ité ; des fac­teurs impor­tants sont apparus, d’autres qui jouaient un rôle prépondérant ont ten­dance à dis­paraître ; les sché­mas dressés au xixe siè­cle sont encore util­isés pour toutes les pub­li­ca­tions et tous les dis­cours, mais en vérité, ils ne ser­vent plus à rien sinon à bercer les ouvri­ers de douces illu­sions et à per­me­t­tre aux ini­tiés de main­tenir ces illu­sions pour des fins non avoués.

Faire le point n’est guère facile, les clichés sont com­modes et il est pénible de s’en débar­rass­er ; les efforts de dés­in­tox­i­ca­tion se brisent sou­vent devant l’énor­mité de la tache et n’aboutis­sent générale­ment : qu’a nous faire empris­on­ner dans un sys­tème ancien présen­té sous une phraséolo­gie nouvelle.

En nous évadant des con­cep­tions toutes faites nous aboutirons peut-être à des con­clu­sions pes­simistes, mais elles nous per­me­t­tront de mieux éval­uer nos faciles vérités, tré­sor val­orisé seule­ment par nos illusions.

Savoir si, comme nous l’an­nonçaient avec force tous les doc­tri­naires marx­istes et lib­er­taires, nous sommes plus près du social­isme en 1938 qu’en 1900 ou 1850, néces­sit­erait une étude des plus complexes.

Sans doute les formes d’op­pres­sion cap­i­tal­iste ont changé depuis le siè­cle dernier. Sans doute aus­si les con­di­tions de vie de la classe ouvrière se sont-elles mod­i­fiées et le pro­lé­tari­at est devenu un élé­ment impor­tant qui entre en scène pour la solu­tion de chaque ques­tion. Il n’est pas exclu que cette évo­lu­tion puisse aboutir au social­isme, mais rien ne le garan­tit. De plus des indices sem­blent nous indi­quer que la mue du sys­tème cap­i­tal­iste nous con­duit vers un type d’ex­ploita­tion sim­pli­fié, her­mé­tique, dont l’o­rig­ine se retrou­verait dans la répar­ti­tion du tra­vail moderne.

Par ailleurs il faut con­stater que dans la lutte con­tre le cap­i­tal­isme clas­sique le pro­lé­tari­at n’est plus seul. Les régimes russe, alle­mand et ital­ien, à des degrés dif­férents répon­dent à la ques­tion de la marche inévitable vers le social­isme. Il ne restera bien­tôt plus que les émi­gra­tions poli­tiques pour se sat­is­faire des anci­ennes con­cep­tions dont la valeur se man­i­festera une dernière fois sur les champs de bataille des guer­res idéologiques pour don­ner une rai­son illu­soire au sac­ri­fice des « antifascistes ».

Quant au pro­lé­tari­at des nations démoc­ra­tiques, qui pos­sède des organ­i­sa­tions et une poli­tique qui por­tent sa mar­que, point n’est besoin de sub­tiles analy­ses pour s’apercevoir que les efforts qu’il dépense ne sont pas employés à ses fins pro­pres ni pour un social­isme véri­ta­ble. El il faut se deman­der si dans ces pays la classe ouvrière n’a pas con­quis des avan­tages par­tiels de telle façon qu’elle a dimin­ué ses chances de vic­toire totale.

Divisions

Quelles sont les raisons qui poussent les tra­vailleurs à s’en­rôler dans leurs organ­i­sa­tions, à croire dans les buts pour­suiv­is ? D’une part leur con­di­tion sociale inférieure, la sen­sa­tion qu’ils ont d’être main­tenus dans la mis­ère et l’ig­no­rance, le degré même de cette mis­ère, les sen­ti­ments de jus­tice et d’é­gal­ité trop ouverte­ment bafoués, la fierté du tra­vail utile accom­pli humil­iée ; d’autre part les aspects cat­a­strophiques de la société : crise et guerre.

Mais en isolant les mots d’or­dre pra­tiques que les dirigeants font avalis­er par les tra­vailleurs, en les arrachant de leur cadre de mots, que trou­ve-t-on en défini­tive ? Des appels à la guerre, des mesures pré-fas­cistes, une déi­fi­ca­tion du pro­grès tech­nique, aucune propo­si­tion. humaine, social­iste, lib­er­taire, rien qui réponde aux aspi­ra­tions et aux croy­ances des opprimés.

Cette poli­tique est encore favorisée par un change­ment dans la struc­ture de la classe ouvrière. Au point de vue économique, le pro­lé­tari­at n’est plus au stade d’il y a cinquante ans. II y a certes des couch­es impor­tantes de la pop­u­la­tion qui sont affamées — les chômeurs — les vieux — le pro­lé­tari­at agri­cole ; d’autres sont placées dans un état de gêne per­ma­nent qui peut provo­quer des sur­sauts vio­lents ; mais il existe égale­ment des frac­tions de pop­u­la­tion qui se trou­vent avan­tagées par le fait qu’une par­tie de la pro­duc­tion échappe momen­tané­ment aux lois de l’of­fre et de la demande (indus­tries de guerre notamment).

L’u­nité ouvrière est par­tielle­ment brisée et seule une puis­sante idéolo­gie social­iste pour­rait la ren­forcer. Sans cela il est à crain­dre que de sérieuses sat­is­fac­tions immé­di­ates vien­nent con­cur­rencer l’ac­tion révo­lu­tion­naire chez les ouvri­ers et employés privilégiés.

En accor­dant aux jeunes mille pos­si­bil­ités de sat­is­faire leurs besoins d’ac­tion les gou­verne­ments démoc­ra­tiques arrachent au mou­ve­ment un de ses meilleurs moteurs, et en pro­posant aux autres l’aven­ture, les par­tis fas­cistes lui en enlèvent un second.

Mais l’un et l’autre n’ont fait soit qu’imiter ce qui se pas­sait au sein même des organ­i­sa­tions, soit qu’­ex­ploiter ce qui était devenu ter­ri­toire abandonné.

Démon­ter le mécan­isme qui per­met à des groupes non pro­lé­tariens de se servir du pro­lé­tari­at, d’u­tilis­er sa foi dans un monde meilleur, nous appa­raît une tâche urgente.

Lais­sons de côté la hiérar­chi­sa­tion, l’oli­garchi­sa­tion des organ­i­sa­tions ouvrières, dev­enues des sit­u­a­tions de fait même dans les organ­i­sa­tions les plus démoc­ra­tiques, que des remous à la base ébran­lent par­tielle­ment et épisodique­ment mais que seule une marée d’en­t­hou­si­asme avec des équipes dirigeantes ani­mées d’un esprit nou­veau pour­rait bouleverser.

C’est en prof­i­tant de l’im­mense com­pli­ca­tion des ques­tions sociales, en se pro­posant aux tra­vailleurs pour la débrous­sailler et œuvr­er en leur nom pour les amen­er à un stade social­iste — fort sim­ple et idéal­isé dans les cerveaux ouvri­ers — que les spé­cial­istes du mou­ve­ment s’im­posent et entre­ti­en­nent les illusions.

En aban­don­nant la lutte autonome, sauvage — ce qui ne voulait nulle­ment dire inco­hérente — les ouvri­ers social­istes ont dû se pli­er aux néces­sités de la poli­tique pro­gres­sive démoc­ra­tique d’abord, aux gym­nas­tiques incom­préhen­si­bles des solu­tions par­tielles et tech­niques ensuite.

L’Escroquerie

Ouvri­ers, organ­i­sa­tions, appareils et buts bien que masqués du même signe social­iste sont devenus des pièces sans unité. Si le mou­ve­ment social­iste a voulu organ­is­er, uni­fi­er, diriger toutes les révoltes spon­tanées des mass­es mis­éreuses dans l’e­spoir de trans­former la société de fond en comble, les cadres et états-majors du mou­ve­ment se sont peu à peu con­sti­tués en caste indépen­dante ayant ses intérêts par­ti­c­uliers, son avenir bien dis­tinct de celui de ses mandants.

L’ag­o­nie du cap­i­tal­isme libéral a entraîné l’ag­o­nie des appareils social-démoc­rates, pour qui la prospérité et le développe­ment économique frayaient un pas­sage à la poussée pro­lé­tari­enne sur le plan démoc­ra­tique. Mais dans la mesure où les tech­ni­ciens de la lutte ouvrière, les offi­ciels de la lutte de classe se ren­dent compte de l’ab­sur­dité du régime ancien et de sa con­damna­tion, ils pren­nent con­science de leur rôle, trou­vent sur le plan économique des caté­gories de dirigeants qui pos­sè­dent les mêmes car­ac­téris­tiques et les mêmes appétits, et il se con­stitue, même au sein de l’ap­pareil d’É­tat, une volon­té de dom­i­na­tion, de réor­gan­i­sa­tion, de plan­i­fi­ca­tion qui se heurte et se heurtera de plus en plus au cap­i­tal­isme dépassé, qui se servi­ra de la classe ouvrière avec d’au­tant plus de facil­ité que les cerveaux les plus con­scients de cette évo­lu­tion sont les guides du prolétariat.

Les rares groupe­ments qui aban­don­nent les ori­peaux d’usage présen­tent des pro­grammes fort alam­biqués mais où le bout de l’or­eille dépasse sous forme de mesures de réor­gan­i­sa­tions indus­trielles aus­si anti-cap­i­tal­istes qu’an­ti-social­istes — et si en France ces ten­dances sont encore con­fus­es il faut en rechercher la cause dans la solide assise qu’y pos­sède le petit cap­i­tal­isme sans pour cela croire que les élé­ments prin­ci­paux de cette classe soient absents.

Ne nous trompons pas quant à la faib­lesse et aux con­tra­dic­tions des thès­es défendues. Tech­ni­ciens et dirigeants — per­son­nel de ges­tion dit Yvon — prof­iteront de toutes les occa­sions, de toutes les sit­u­a­tions en jouant de leur exis­tence et de leur util­ité, en prof­i­tant surtout de l’im­mense naïveté du pro­lé­tari­at à qui l’on fait admet­tre qu’il forg­era son des­tin avec des out­ils et des armes non prolétariennes.

Entre les tech­ni­ciens social­istes, les équipes de Nocher et cer­tains bergerystes, il y a moins de dif­férences que n’en lais­sent voir les éti­quettes. Ceux qui, dégoûtés de la cui­sine des par­tis tra­di­tion­nels rejoignent ces groupe­ments réalisent sans aucun doute un bel effort pour se débar­rass­er des for­mules toutes faites, mais c’est pour s’enivr­er de slo­gans sonores sans con­tenu socialiste.

La presse et en général tous les moyens de pro­pa­gande con­stituent une excel­lente cour­roie de trans­mis­sion entre les bureaux de sta­tis­tiques ou les comités cen­traux et la grande masse des adhérents ou des suiveurs.

En Bel­gique, huit jours après l’adop­tion du plan de tra­vail de Hen­ri de Man, les petits pro­pa­gan­distes mineurs du Bori­nage et du pays de Liège réc­i­taient chiffres et indices — appris la veille et oubliés sitôt la cam­pagne d’ag­i­ta­tion close — endor­maient les audi­toires pour les réveiller en fin de séance par quelques for­mules anci­ennes aus­sitôt applaud­ies : 40 heures, sup­pres­sion du chô­mage, social­isme. La con­fu­sion était établie, le piège ten­du, la « mys­tique du plan » se créait.

La haine des régimes dic­ta­to­ri­aux, les sen­ti­ments de révolte con­tre l’ex­ploita­tion patronale sont util­isées habile­ment, toutes ces réac­tions sont cen­trées sur des objets bien déter­minés, sou­vent sans liai­son avec le motif prim­i­tif. On en arrive à ces meet­ings paci­fistes où il n’est ques­tion que de mesures coerci­tives, de poli­tique ferme, de sanc­tions, de sécu­rité col­lec­tive et qui se ter­mi­nent par de vigoureuses Mar­seil­lais­es. Ne par­lons pas des cam­pagnes de pro­pa­gande où la société se trou­ve démolie par la parole et l’écrit, con­damnée, anathémisée, et qui finis­sent par une propo­si­tion de loi bénigne qu’une quel­conque com­mis­sion assassinera.

Pas de socialisme de savants

Les bons apôtres de la poli­tique raison­née et cal­culée, les experts en soci­olo­gie nous présen­tent de si bons argu­ments et des sché­mas tracés d’une main si ferme qu’ils nous éblouis­sent aisé­ment. Le temps des bar­ri­cades est révolu dis­ent-ils et les romans de cheva­lerie périmés ; à prob­lèmes tech­niques, solu­tions techniques.

Nous repous­sons cette logique trop froide.

Celui qui pré­tend que la société peut être représen­tée par une immense équa­tion est un pédant ou un escroc. Quand bien même un quel­conque génie arriverait à saisir la réal­ité dans tous ses élé­ments a un moment déter­miné il ne pour­rait que la con­tem­pler comme un voyageur con­tem­ple un panora­ma, sans pou­voir la modifier.

Les poussées sociales qui brisent la struc­ture des sociétés ne se pré­par­ent pas au lab­o­ra­toire et ne se déci­dent pas par un Brain Trust. L’essen­tiel de la lutte ouvrière pour le social­isme se trou­ve dans sa croy­ance dans un but, dans les efforts qu’elle déploie pour y par­venir, dans la morale qu’elle s’im­pose, dans les résul­tats par­tiels qu’elle arrache.

Les fac­teurs économiques qui con­di­tion­nent cette lutte sont certes impor­tants, déter­mi­nants en grande par­tie, mais con­sid­ér­er ces fac­teurs comme suff­isant à l’avène­ment du social­isme entraîne une mys­tique de l’évo­lu­tion économique qui sac­ri­fie l’essen­tiel du but à attein­dre. Croire que le social­isme n’est que l’héri­ti­er d’une économie cap­i­tal­iste qu’il doit amélior­er, per­fec­tion­ner, sig­ni­fie l’a­ban­don de tout son côté humain.

Les mécon­tente­ments ouvri­ers, les instincts de jus­tice sociale ne doivent pas action­ner de petites et grandes entre­pris­es d’où le social­isme est absent. Par­ler de tech­nique, de nation­al­i­sa­tion, de plan, faire admet­tre par le pro­lé­tari­at et l’u­tilis­er pour les impos­er des solu­tions incom­préhen­si­bles en les présen­tant comme des tranch­es de social­isme con­stitue une escroquerie.

Pour nous le révo­lu­tion­naire social­iste n’est pas surtout un ingénieur, c’est pour com­mencer un destruc­teur, un roman­tique dans ce sens qu’il veut plus de jus­tice et d’é­gal­ité, et un aven­turi­er parce qu’il accepte les risques de l’aven­ture révolutionnaire.

S’il fal­lait pouss­er les choses jusqu’à l’ab­surde, nous diri­ons que nos préférences iraient à une incom­préhen­sion totale alliée à une force con­fi­ante en elle plutôt qu’à une con­nais­sance appro­fondie qui entraîn­erait le rejet de la par­tic­i­pa­tion active et con­sciente du prolétariat.

Il nous parait moins absurde de prêch­er une poli­tique, une morale et une foi égoïste­ment social­iste que d’ac­cepter de voir les meilleures forces révo­lu­tion­naires employées à faire tri­om­pher des mou­ve­ments néo-cap­i­tal­istes. Préfér­er un cal­cul qui con­tiendrait toutes les don­nées à la pré­pa­ra­tion de l’aven­ture c’est renon­cer au social­isme, plus c’est pass­er dans le camp des suc­cesseurs tech­ni­ciens des bour­geois essoufflés.

Défense de la politique des ignorants

Il nous appa­raît indis­pens­able de rejeter comme non social­istes toutes les for­mules, tous les mots d’or­dre qui ne sont com­préhen­si­bles et com­pris par le prolétariat.

La poli­tique des igno­rants serait donc celle qui ne se baserait que sur quelques don­nées essen­tielles et vivantes pour les tra­vailleurs et sur quelques grandes idées morales pro­pres au social­isme, à l’ex­clu­sion de tout ce qui ne par­ti­rait pas du pro­lé­tari­at, voulu et appliqué par lui.

Cette poli­tique serait incom­plète. Elle ne serait qu’un pis aller en regard de la com­pli­ca­tion des sit­u­a­tions poli­tiques et économiques. Elle con­stituerait cepen­dant une immense amélio­ra­tion de la poli­tique pseu­do pro­lé­tari­enne, actuelle. Elle don­nerait une con­fi­ance nou­velle aux foules ouvrières en leur per­me­t­tant de mieux éval­uer leur force et rendrait impos­si­bles les détourne­ments d’én­ergie socialiste.

Le refus caté­gorique de par­ticiper à toute guerre aus­si longtemps que les tra­vailleurs ne pos­séderont pas effec­tive­ment tout le pou­voir nous sem­ble un exem­ple vivant de l’ap­pli­ca­tion de cette poli­tique. Sur cette ques­tion elle couperait court aux dan­gereuses inter­pré­ta­tions des démoc­rates, des stal­in­iens et des trotskistes.

Nous ne pou­vons certes prévoir si cette poli­tique ferait tri­om­pher le social­isme, ce dont nous sommes sûrs c’est qu’elle seule peut le faire tri­om­pher s’il est humaine­ment possible.

L’é­tat de régres­sion économique que pour­rait entraîn­er une révo­lu­tion social­iste ne nous effraye pas. À tout pren­dre les résul­tats de l’é­conomie cap­i­tal­iste, pas plus que ceux des tech­nocrates russ­es, ne sont mag­nifiques au point de nous séduire comme le ferait un par­adis avec eau gaz et électricité.

Certes le pro­lé­tari­at doit cal­culer son action mais en fonc­tion de sa lutte et de sa volon­té d’é­man­ci­pa­tion, non en rap­port avec la marche générale de la société. Faire inter­venir, dans le cal­cul pro­lé­tarien des élé­ments puisés dans une sci­ence non acces­si­ble au pro­lé­tari­at tue la force révo­lu­tion­naire, parce que cela tue sa foi et sa con­science de force. Invincible.

Une grève ouvrière qui serait pesée et organ­isée en ten­ant compte de tous les ren­seigne­ments sur l’in­dus­trie qu’elle affecterait, de l’évo­lu­tion économique, des pos­si­bil­ités du secteur cap­i­tal­iste intéressé ne se déclencherait jamais, mais l’ir­rup­tion dans l’équili­bre social d’une force pro­lé­tari­enne — au tra­vers d’une grève — boule­verse la sit­u­a­tion au point de laiss­er le champ libre à l’in­trus surtout si celui-ci est poussé par une idéolo­gie qui mag­ni­fie son action et le sou­tient pour oser appli­quer les mesures qui lui parais­sent justes.

Un retour à des con­cep­tions sim­ples, un repli sur les posi­tions essen­tielles du social­isme per­me­t­trait un reclasse­ment des forces et des mou­ve­ments qui s’abri­tent der­rière la phraséolo­gie social­iste. Il entraîn­erait sans aucun doute des défec­tions dans les effec­tifs et l’a­ban­don de nom­breux moyens d’ac­tion, mais il sus­cit­erait une redé­cou­verte des richess­es spé­ci­fique­ment révolutionnaires.

Une autre con­séquence de pareille con­cep­tion serait l’oblig­a­tion pour les intel­lectuels sincère­ment attachés au pro­lé­tari­at de resser­rer les liens avec les pro­lé­taires par le ren­force­ment de l’idéal social­iste et l’a­ban­don du rôle dou­ble qu’ils jouent… Autrement dit le tra­vail d’analyse et de recherch­es des phénomènes soci­aux ne prendrait une valeur réelle — en dehors de sa valeur sci­en­tifique intrin­sèque — que dans la mesure où il serait assim­ilé par les arti­sans pra­tiques de la lutte pour le social­isme et que des méth­odes nou­velles en surgiraient.

La poli­tique des igno­rants ne peut être une poli­tique de l’ig­no­rance, elle sig­ni­fie sol­i­dar­ité entre tous les lut­teurs de l’idée social­iste, un retour aux principes moraux supérieurs du social­isme, une entente féconde entre tous.

Le ral­liement pos­si­ble de larges couch­es de pop­u­la­tion extra pro­lé­tari­enne devrait être surtout recher­ché, en dehors des liaisons pos­si­bles découlant de la pro­duc­tion elle-même, dans la pro­pa­gande stricte­ment social­iste. Loin d’ef­fray­er les élé­ments intéres­sants des class­es moyennes, une activ­ité net­te­ment révo­lu­tion­naire — surtout dans les pays où celles-ci se trou­vent en com­plet déséquili­bre — per­me­t­trait de regrouper de forts noy­aux de déclassés. Les suites en seraient prob­a­ble­ment meilleures que l’é­tat actuel des rassem­ble­ments autour de for­mules volon­taire­ment vagues et con­fus­es, qui ne peu­vent agir utile­ment et qui lient les forces actives. Pour avoir voulu présen­ter le social­isme sous des dehors de plus en plus anodins, jusqu’à ne plus avoir ni couleur ni goût, pour ral­li­er le max­i­mum de peureux, les mou­ve­ments social­istes ont rejeté leurs forces vives vers des mou­ve­ments fas­cistes, plus dynamiques — en paroles tou­jours, en actes parfois.

L’au­dace, ver­tu révo­lu­tion­naire doit être ramenée au mou­ve­ment socialiste.

Ni les social-démoc­rates en Europe Occi­den­tale, ni les com­mu­nistes en Russie, ni les anar­chistes en Espagne n’ont joué à fond et seule­ment la carte pro­lé­tari­enne et socialiste.

Avant que le monde ne soit boulever­sé, par la guerre ou une brusque évo­lu­tion économique, en prévi­sion même de ces boule­verse­ments, il nous appa­raît qu’il serait temps de grouper les révo­lu­tion­naires autour d’une poli­tique qui serait celle de ceux d’en bas et qui pour­rait aboutir, non au per­fec­tion­nement de la machine bour­geoise, non à des réformes de struc­ture, non à la mon­tée d’une classe nou­velle, mais à la con­struc­tion d’une société sor­tie des mains et des cerveaux de ceux qui auront détru­it l’ancienne.

[/Ridel/]


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