La Presse Anarchiste

Le coin du provocateur

Le jour où les chefs du socia­lisme auront com­pris que l’homme du peuple est plus pré­oc­cu­pé de son hon­neur, de sa femme et de sa soupe que des sub­ti­li­tés poli­tiques, un pas énorme sera fait vers la révolution.

Il fau­drait savoir à la fin que le pro­lé­ta­riat cherche moins dans le socia­lisme la joie pure du phi­lo­sophe que la satis­fac­tion du guer­rier. Le peuple fait du socia­lisme une affaire per­son­nelle et quo­ti­dienne. Cette concep­tion est connue mais peu répan­due dans les milieux du socia­lisme car elle aurait l’im­mense incon­vé­nient d’en chas­ser tes gens de lettres et les cra­pules qui se nour­rissent de la colère du pro­lé­ta­riat. Vul­ga­ri­sée, elle évi­te­rait pour­tant au peuple dégoû­té des diplo­mates de la sociale de se pré­ci­pi­ter pério­di­que­ment vers les reîtres de la réac­tion militaire.

Les chefs du socia­lisme entendent le fata­lisme révo­lu­tion­naire comme un hom­mage per­ma­nent qui est dû à leur haute com­pré­hen­sion des pro­blèmes. Ils baillent encore de sur­prise que le pro­lé­ta­riat moderne, las de secré­ter des Louis Blanc, des Noske ou des Dor­moy se soit pré­ci­pi­té dans les bras des Napo­léon, des Bou­lan­ger et des Hit­ler. Pas une fois ils ne songent à mettre en doute leur com­pré­hen­sion de l’homme ni leur rôle de mes­sies du prolétariat.

Il est inter­dit de dire que pour le peuple, les Napo­léon et les Hit­ler sont une réac­tion néces­saire aux eanai­lie­ries jaco­bines, social-démo­crates et bol­che­vistes. Pour­tant, si l’on ne veut pas admettre cela, on ne com­pren­dra jamais rien à l’ac­ces­sion au pou­voir des auto­crates. On pour­ra dis­ser­ter savam­ment sur l’im­bé­cil­li­té légen­daire des chefs de la réac­tion. mili­taire. On pour­ra se gaus­ser de leur phi­lo­so­phie naïve et de leur syn­taxe bar­bare. Mais on pour­ra faire aus­si ses malles et jouer élé­gam­ment les papes de la sociale dans des émi­gra­tions successives.

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Si l’on jugeait les pro­lé­taires de 1937 d’a­près les com­por­te­ments de ceux qui se donnent pour leurs chefs, le monde serait va ramas­sis de sophistes et de canailles dont l’u­nique pré­oc­cu­pa­tion consis­te­rait à trou­ver le dis­cours qui trompe le mieux son pro­chain. Or, le monde n’est pas cela. Le monde ouvrier est cet assem­blage d’hommes qui dorment, boivent, mangent et aiment avec par­fois d’é­tranges luci­di­tés qui n’ont aucun rap­port avec le charme des dis­cours et l’é­lé­gance des sys­tèmes. Il y a entre le peuple et ses chefs l’im­mense fos­sé qui sépare ceux qui vivent la vie de ceux qui font pro­fes­sion d’en parler.

Si les chefs du socia­lisme alle­mand n’a­vaient pas été des canailles, il fau­drait admettre que les masses alle­mandes ne sont qu’un trou­peau de brutes saoules n’ayant ni conscience humaine ni digni­té per­son­nelle. De tels hommes n’é­tant pas une excep­tion dans le monde, par­ler du socia­lisme en comp­tant sur de tels élé­ments serait une bouf­fon­ne­rie ridi­cule. Il faut expli­quer les masses cas­quées et bot­tées du natio­nal socia­lisme comme une réac­tion natu­relle aux sociaux démo­crates de bou­doir et aux adju­dants imbé­ciles de Mos­cou. Il faut admettre l’ex­cès comme contre­poids à l’ex­cès ou autre­ment il faut dou­ter des hommes et reje­ter tout sys­tème qui pos­tule l’a­mour du vrai et l’ef­fort humain, c’est-à-dire, en bloc, le socialisme.

On peut expli­quer le fas­cisme comme une dupe­rie cri­mi­nelle. Mais alors il faut faire vite son mea culpa. Et ce n’est pas avec une grande fier­té que nous, mili­tants socia­listes, pou­vons faire au peuple le bilan des réa­li­sa­tions de ceux qui se réclament de lui. C’est sans grande fier­té que nous voyons com­ment la tolé­rance et la digni­té s’ex­priment chez les com­mu­nistes, à Mos­cou, C’est sans grande fier­té que nous voyons com­ment le cou­rage et le res­pect du pro­chain se mani­festent chez les socia­listes fran­çais. C’est sans grande fier­té que nous voyons l’hon­nê­te­té et la fer­me­té des chefs anar­chistes écla­ter dans la Bar­ce­lone du 3 mai. Et nous avons quelque malaise à dénon­cer les crimes de l’ad­ver­saire quand nous comp­tons chez nous tant d’an­ciens et de futurs assas­sins d’ouvriers.

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Les canaille­ries des hommes s’ef­facent sur le plan de l’his­toire. Mais elles se gravent pro­fon­dé­ment sur le plan de la vie quo­ti­dienne, et l’on ne peut avoir une conscience de vain­queur lors­qu’on pro­nonce du bout des dents le nom de ceux qu’on doit subir pour ses chefs. Pour jouer son rôle effi­cace, la pré­sence du chef ne doit pas s’ins­crire en haut dans l’his­toire, mais dans l’in­ti­mi­té per­son­nelle, entre la femme et la soupe, entre les objets qu’on aime. On n’ad­met ni une cra­pule, ni un prince, ni un flic à son foyer. On attend le com­pa­gnon d’arme dans le chef, et dans le socia­lisme, le plan mûri ensemble avant de don­ner l’as­saut à l’adversaire.

Entre l’a­vo­cat et le sol­dat on ne peut blâ­mer le peuple de choi­sir le sol­dat. Et cela en quelque cir­cons­tance pour qui que ce soit est une chose qu’il est néces­saire de comprendre.

La dif­fé­rence est telle entre le sol­dat de l’oc­tobre russe et du juillet espa­gnol et le flic social de Rome et de Ber­lin qu’on ne peut ris­quer la confu­sion. Le mili­tant-sol­dat est l’op­po­sé du mus­ca­din mili­taire, on n’en dirait pas autant des diplo­mates du socia­lisme ouvrier.

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À en juger par le pape et les évêques la morale du Christ serait une morale de ban­dits. À en juger d’a­près les chefs ouvriers le socia­lisme serait une phi­lo­sophe d’his­trions. Je me refuse autant à pos­tu­ler que Blum, Tho­rez ou Sta­line sont fils du socia­lisme que le pape et les évêques fils de Jésus-Christ.

Il serait curieux d’é­tu­dier com­ment une morale et une phi­lo­so­phie humaine ont don­né nais­sance à cette lignée de maqui­gnons confor­mistes qui consti­tuent les églises chré­tiennes et les églises socia­listes. Il règne dans les unes et les autres, devant une réa­li­té inavouable, une appa­rence de benoî­te­rie pour l’é­di­fi­ca­tion des fidèles. On a raillé suf­fi­sam­ment les punaises de sacris­ties catho­liques pour qu’il soit per­mis de tou­cher un mot des punaises qui ne manquent pas dans les sacris­ties socia­listes. On voit très bien la bru­tale fran­chise pos­tu­lée par le terme de révo­lu­tion­naire coha­bi­tant avec la pape­lar­dise qui est de règle dans les orga­ni­sa­tions ouvrières. Chaque doc­trine y a son pape, chaque nation ses évêques et chaque région son trou­peau de petits abbés et de frères, car le mot y est. Les rena­cleurs sont ven­dus à Hit­ler comme on fut voué à Satan. La véri­té y est pros­crite, l’o­béis­sance et le res­pect de rigueur. On excom­mu­nie avec quelque faci­li­té. La péni­tence s’ap­pelle la dis­ci­pline. En véri­té les punaises du socia­lisme n’ont rien a envier aux punaises des sacristies.

Les ouvriers qui ne pénètrent pas dans les par­tis et qui ont la morale dure et fruste de l’u­ti­li­té quo­ti­dienne ne peuvent s’i­ma­gi­ner la bas­sesse qui règne dans les clans d’i­ni­tiés. Les ouvriers ne croient pas qu’on puisse faire la révo­lu­tion sur des demi véri­tés et que la pré­pa­ra­tion a l’acte révo­lu­tion­naire soit un conti­nuel ram­pe­ment devant des hommes qui ont reçu le plus clair de leur auto­ri­té de la fré­quen­ta­tion des bourgeois.

La révo­lu­tion socia­liste est l’acte le plus for­mi­dable de bonne foi. Elle est pré­pa­rée par des hommes pour qui l’ac­tion est un chan­tage conti­nuel et qui s’ar­rogent déli­bé­ré­ment le droit du mensonge.

On com­prend que de tels hommes doivent se trou­ver impuis­sants devant des évé­ne­ments révo­lu­tion­naires et que le peuple ne peut man­quer de s’en apercevoir.

Dans les révo­lu­tions vic­to­rieuses, les hommes dres­sés à la morale des classes ne perdent ni les habi­tudes d’a­do­ra­tion ni les habi­tudes de men­songe qui carac­té­risent les reli­gions. Au contraire ces habi­tudes se ren­forcent et s’af­frontent dans les fonc­tions diverses de la jouis­sance du pou­voir. Le socia­lisme qui a ses Loyo­las a aus­si ses inqui­si­teurs de la foi, c’est-à-dire de la doc­trine. Sta­line pour­suit en Trots­ky le théo­ri­cien de la Révo­lu­tion per­ma­nente comme les jésuites tra­quaient les jan­sé­nistes sur la grâce et le pou­voir prochain.

Si nous vou­lons conser­ver quelque chose du socia­lisme, il faut dif­fé­ren­cier net­te­ment ceux qui le repré­sentent comme des diplo­mates repré­sen­tant une nation et ceux qui font le socia­lisme, comme les labou­reurs font le sol de leur pays. C’est avec le tra­vail patient du mili­tant qu’on cultive et fer­ti­lise te socia­lisme, mais c’est avec le mépris et l’in­jure qu’on traite les chefs d’un socia­lisme avi­li. On n’a­mé­liore pas des hommes mépri­sables et on ne redresse pas une bouche qui a pris l’ha­bi­tude du men­songe. Il faut en prendre son parti.

P.-S. — On apprend de Varsovie :

Les qua­torze dépu­tés sociaux-démo­crates du Vol­kes­tag dant­zi­kois ont déci­dé d’adhé­rer à la frac­tion natio­nale-socia­liste de la Diète de la ville libre.

Les qua­torze dépu­tés auraient eu tout d’a­bord l’in­ten­tion de dépo­ser. leur man­dat, mais ils en auraient été mora­le­ment empê­chés par les auto­ri­tés du par­ti national-socialiste.

[/​Luc Dau­rat/​]

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