La Presse Anarchiste

Lutte des classes ou lutte nationale

« La France est un pays de 90 mil­lions d’âmes. » Ce sont les paroles con­sacrées, les mots que pronon­cent tous les bons patri­otes afin de mon­tr­er l’at­tache­ment sen­ti­men­tal, d’ailleurs fort relatif, qu’ils éprou­vent. pour les colonies, pour « notre plus grande France d’outre-mer ».

La France est donc un pays de 90 mil­lions d’habi­tants, habi­tants noirs de l’Afrique Équa­to­ri­ale et des Antilles, habi­tants arabes et berbères de l’Afrique du Nord, habi­tants jaunes de l’In­do­chine ; et 50 mil­lions de colo­ni­aux qui sem­blent sou­vent ne pas éprou­ver beau­coup de joie à être sujets de la France, s’agi­tent, se révoltent con­tre les exploiteurs comme ils se sont jadis agités et révoltés con­tre les envahisseurs.

L’e­sprit de la lutte est-il resté le même ? Les com­bats actuels con­tin­u­ent-ils la guerre nationale d’autre­fois ? Un nou­veau fac­teur s’est intro­duit dan la lutte : le développe­ment du pro­lé­tari­at colo­nial ; ce nou­veau fac­teur va-t-il sup­planter l’e­sprit nation­al ? Va-t-il se jux­ta­pos­er à lui ? En un mot y a‑t-il eu aux colonies, plus exacte­ment y a‑t-il eu dans les colonies qui peu­vent soutenir une lutte de class­es, ou les impéri­al­ismes, pas­sage de la lutte nationale à la lutte de class­es, ou bien est-ce la lutte nationale qui se con­tin­ue sous une forme plus mod­erne et menée par un pro­lé­tari­at mécontent ?

D’autre part, il serait intéres­sant de savoir quelle posi­tion doit pren­dre le pro­lé­tari­at mét­ro­pol­i­tain devant les formes de lutte aux colonies.

Il est impos­si­ble de faire une démar­ca­tion nette entre lutte de class­es et lutte nationale sans étudi­er dans chaque colonie séparé­ment les mou­ve­ments indigènes qui s’op­posent actuelle­ment à l’ex­ploita­tion française ; en effet, les formes de lutte peu­vent vari­er beau­coup d’une colonie à l’autre, et ces dif­férences ren­dent fort dif­fi­ciles une étude générale du problème.

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L’empire colo­nial français est rel­a­tive­ment neuf ; c’est sous la Troisième République que s’achèvent les grandes con­quêtes ; c’est seule­ment en 1912 qu’est recon­nu, par la con­ven­tion de Fez, le pro­tec­torat de la France au Maroc. Entre 1871 et 1912, se pla­cent les con­quêtes de la Tunisie, de l’In­do­chine, de l’Afrique Équa­to­ri­ale et Occi­den­tale, de ‘Mada­gas­car. C’est donc à la fin du xixe siè­cle et au début du xxe que la France va con­quérir ses plus grandes colonies, l’Al­gérie mise à part. 

La con­quête, la com­po­si­tion de l’Em­pire français fut assez longue. Elle por­ta aus­si sur des pays totale­ment dif­férents. Les peu­ples for­mant l’A.E.F. et l’A.O.F., par exem­ple, n’avaient jamais for­mé de nations. « Aucun sen­ti­ment nation­al d’indépen­dance ne les ani­mait ; ils se sont vite habitués à obéir aux officiers français. » (Seigno­bos.) D’autre part, la nature sauvage de ces pays, leur faible den­sité, le développe­ment encore min­ime des voies de com­mu­ni­ca­tion ren­dent dif­fi­ciles les con­tacts entre indigènes, et par suite, l’or­gan­i­sa­tion d’une révolte quelconque.

Si les don­nées du prob­lème sont dif­férentes pour les Antilles, la solu­tion est la même. La Guade­loupe et la Mar­tinique sont bien trop petites pour pou­voir organ­is­er un mou­ve­ment sérieux, et il ne peut s’a­gir de lutte nationale, les habi­tants actuels du pays descen­dant de nègres africains. Notons pour mémoire l’ex­is­tence d’une ten­sion per­pétuelle entre noirs et blancs, qui régit toute la lutte poli­tique. Les colonies où la lutte s’est le mieux dévelop­pée, où elle a pris une forme impor­tante sont l’Afrique du Nord et l’In­do­chine. C’est sur elles que nous allons main­tenant cen­tr­er cette étude.

Il est facile de com­pren­dre pourquoi dans ces deux pays la lutte est dev­enue si forte. Ce sont d’abord les colonies les plus peu­plées. L’Afrique du Nord compte 17 mil­lions d’habi­tants, l’In­do­chine en compte 20 mil­lions. À elles deux, ces colonies for­ment donc plus des deux tiers de la pop­u­la­tion colo­niale française. D’autre part, ce sont celles qui ont excité le plus tôt les con­voitis­es des cap­i­tal­istes, cul­ture de la vigne et de l’o­livi­er en Algérie, phos­phate dans toute l’Afrique du Nord, fer en Algérie. En Indo­chine, riz cochinchi­nois, fer et houille du Tonkin, sans compter d’autres ressources moins impor­tantes mais cepen­dant appré­cia­bles. Dans ces deux pays, exis­tait une cul­ture dévelop­pée, une unité nationale déjà assez forte, des reli­gions qui rat­tachaient l’Afrique du Nord à tout le bloc islamique. Le boud­dhisme et le culte de Con­fu­cius rat­tachaient au point de vue cul­turel le Viet-Nam à la Chine. Dans des pays si dif­féren­ciés et civil­isés, les con­quêtes furent longues, Après les con­quêtes, les révoltes furent pro­fondes. Elles durent encore. Elles ont pris des formes dif­férentes. C’est sous ces formes qu’il con­vient de les con­sid­ér­er pour pos­er net­te­ment le prob­lème : lutte de class­es ou lutte nationale.

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Il n’y a pas de mou­ve­ment com­mun à la Tunisie, au Maroc, à l’Al­gérie. Au Maroc, notons l’ex­is­tence d’un mou­ve­ment nation­al qui groupe les forces indigènes autour de jour­naux tels que l’Ac­tion Pop­u­laire, l’Ac­tion, El Atlas. En Algérie, à côté des par­tis com­mu­niste et social­iste, le peu­ple va au Par­ti pop­u­laire algérien. Ce par­ti a suc­cédé à l’Étoile Nord-Africaine dis­soute par le Front pop­u­laire, cepen­dant ses ten­dances sont moins séparatistes. L’Étoile récla­mait un Par­lement algérien élu au suf­frage uni­versel, la sup­pres­sion, de la jus­tice admin­is­tra­tive, la con­sti­tu­tion d’une armée nationale, le respect de la petite pro­priété, la langue arabe recon­nue comme langue prin­ci­pale. Les indigènes seuls avaient le droit d’y adhér­er. Le P.P.A. réclame l’indépen­dance dans le cadre de la légal­ité. Il souhaite la con­sti­tu­tion d’un Par­lement fran­co-musul­man. Il sem­ble bien d’après le résul­tat des dernières élec­tions can­tonales qui virent Mes­sali Hadj arriv­er en tête du scrutin que le P.P.A. a pris une très grosse impor­tance en Algérie.

En Tunisie, la lutte est surtout menée par le Néo-Des­tour. C’est ce par­ti qui réu­nit le pro­lé­tari­at indigène avec les étu­di­ants et les bour­geois. Ce Néo-Des­tour tra­vaille à côté du vieux par­ti Des­tour, plus religieux, et dont le chef, le cheik Tal­bi souhaite l’u­nion des dif­férents mou­ve­ments musul­mans du monde (Pales­tine, Égypte, etc.).

Le Néo-Des­tour qui a pris le nom de Par­ti libéral con­sti­tu­tion­al­iste tunisien se mon­tre plus pro­gres­siste. Il tâche d’en­glober, et d’ailleurs, il y réus­sit, la majorité des ouvri­ers. Ben Youssef déclare un jour dans une réu­nion : « Notre par­ti groupe dans son sein tous les élé­ments de la pop­u­la­tion, les ouvri­ers y ont une place et même une place prépondérante parce qu’ils sont encore plus exploités que les autres, étant exploités deux fois : une pre­mière fois en tant que colonisés, une deux­ième fois en tant que pro­lé­taires… » Il ajoute plus loin : « Chez nous, il ne doit pas y avoir de lutte de class­es. » D’ailleurs, la tache de ceux qui rabat­tent vers le Des­tour les ouvri­ers est facil­itée par l’ex­ploita­tion qu’ils subis­sent et par les avan­tages accordés aux mét­ro­pol­i­tains. Il faut con­sid­ér­er cette remar­que comme val­able pour le P.P.A. Cet état de choses per­met à Nouira de dire : « Mes amis, vous êtes d’un tiers colo­nial patronal qui se man­i­feste par un salaire plus élevé des ouvri­ers français, ital­iens ou autres. Ain­si, avec vos reven­di­ca­tions d’or­dre cor­po­rat­ifs vous en avez d’autres aus­si urgentes, sinon plus : les reven­di­ca­tions poli­tiques qui sont celles du peu­ple dont vous faites par­tie, vous ne devez pas l’ou­bli­er. Un seul par­ti peut les taire aboutir : notre par­ti, votre par­ti, le Des­tour. » De telles paroles, la promesse d’un Par­lement élu, au suf­frage uni­versel, maître de son ordre du jour, ayant la pléni­tude du pou­voir lég­is­latif, l’in­struc­tion oblig­a­toire, attirent le pro­lé­tari­at à ce par­ti qui veut assur­er la place de la Tunisie « dans le con­cert des nations civil­isées, maîtress­es de leurs des­tinées » et qui désire « un gou­verne­ment nation­al issu du peu­ple et placé sous l’égide de notre sou­verain bien-aimé » (doc­teur Ben-Slimane).

L’analyse de la sit­u­a­tion en Afrique du Nord nous mon­tre bien une forte action nationale avec des ten­dances plus ou mains libérales. Seule la C.G.T. tunisi­enne, récem­ment dis­soute, pou­vait se per­me­t­tre une action de classe assez forte, mais elle était tirail­lée par la lutte des par­tis indigènes.

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En Indo­chine, depuis 1930 (après la révolte de Yen-Bay) la lutte s’est pro­fondé­ment mod­i­fiée. L’an­cien mou­ve­ment nation­al était le mou­ve­ment des « Let­trés » qui, s’in­spi­rant de la philoso­phie de Con­fu­cius tra­vail­lait plutôt à une éman­ci­pa­tion cul­turelle qu’à une éman­ci­pa­tion sociale. La lutte prit un car­ac­tère plus âpre sous l’in­flu­ence du par­ti nation­al­iste indochi­nois dont le chef prin­ci­pal était Nguyen-Thai-Hoc. Ce par­ti voulait la mise à la porte des Français, une révo­lu­tion économique très libérale, par la nation­al­i­sa­tion des grandes entre­pris­es et se déclarait l’a­mi de tous les peu­ples opprimés. Le par­ti nation­al­iste joua un rôle prépondérant avant 1930 et il groupait à côté du par­ti com­mu­niste (qui n’é­tait pas encore sous l’égide de Moscou) la majorité des pro­lé­taires indochi­nois. Après la révolte de Yen-Bay, ses prin­ci­paux mem­bres ayant été con­damnés à mort et exé­cutés, le par­ti perdit la plus grande part de son influence.

Pour com­pren­dre ce qui se passe main­tenant en Indo­chine, il faut faire une dif­férence entre le groupe Annam-Tonkin, d’une parte, et la Cochin­chine d’autre part. En. effet, si dans l’An­nam, il faut sig­naler un mou­ve­ment nation­al-démoc­rate, autour de Thuc-Khang, et au Tonkin un mou­ve­ment de même nature, avec cepen­dant une ten­dance appuyée vers la classe ouvrière, sous la direc­tion de Tien-Phu, dont l’or­gane est Le Tra­vail, en Cochin­chine la lutte a pris un car­ac­tère plus âpre et s’est organ­isée dans un sens très pro­lé­tarien. Il y a bien en effet un par­ti indochi­nois, le par­ti con­sti­tu­tion­al­iste, né en 1925, qui pré­conise le pro­grès social sous l’égide de la France. Ce par­ti réu­nis­sait autour de Bui-Quang-Chien et Ngyen-Phen-Lang, la majorité des petits-bour­geois. Le dernier chef nom­iné s’aperce­vant du manque d’in­flu­ence du par­ti et voy­ant que les intel­lectuels com­mençaient à s’in­téress­er à la lutte ouvrière, a pro­posé une révi­sion tac­tique, et essayé d’obtenir de « La Lutte », dont nous par­lerons tout à l’heure la for­ma­tion d’un con­grès pop­u­laire nation­al, afin de présen­ter un cahi­er de reven­di­ca­tions à la com­mis­sion d’en­quête. Il y eut scis­sion entre les deux chefs. Le pre­mier garde près de lui la majorité du par­ti. Le deux­ième dirige un organe nation­al, Le Flam­beau d’An­nam. Les par­tis nation­al­iste donc, s’aperçoivent de leur manque d’in­flu­ence, et ten­tent un rap­proche­ment avec le mou­ve­ment ouvri­er, c’est-à-dire le par­ti com­mu­niste et la ive Internationale.

Le par­ti com­mu­niste indochi­nois est depuis 1931 seule­ment sous l’égide de Moscou. Il groupe sous la direc­tion de deux chefs : Guyen Van Thao qui dirige l’A­vant-Garde, et Duang Bach Mai qui dirige Le Peu­ple, la majorité du pro­lé­tari­at. Une autre par­tie des ouvri­ers suit les trot­skistes sous la direc­tion de Ta-Tu-Thau, dont l’or­gane est La Lutte.

Le com­bat ouvri­er était très bien organ­isé, il avait atteint son apogée avec l’i­nat­ten­du et for­mi­da­ble front unique qui durait depuis 1931, mais à l’avène­ment du Front pop­u­laire, les dis­sen­sions com­mencèrent au sein des groupes après un voy­age de Duang Bach Mai en France, Thau s’ef­força de main­tenir le front unique, mais il ne put y par­venir et quelque temps après, un voy­age du député com­mu­niste Honel con­sacrait la scission.

De toute façon, en Cochin­chine, la lutte a pris un car­ac­tère très net­te­ment ouvrier.

Nous avons mon­tré la pro­fonde dif­férence exis­tant entre l’Afrique du Nord et l’In­do­chine. En Afrique du Nord, il sem­ble bien qu’il y ait une bour­geoisie essayant d’en­traîn­er le pro­lé­tari­at dans une lutte nationale. En Indo­chine, les mou­ve­ments nationaux ne sont pas si dévelop­pés et le mou­ve­ment ouvri­er a trou­vé en Cochin­chine un ter­rain de développe­ment d’où il essaye de s’é­ten­dre dans toute l’In­do­chine. Cepen­dant, la sit­u­a­tion est loin d’être excel­lente. Il y a encore dans les colonies français­es prépondérance de la lutte nationale sur la lutte de class­es, tant la dif­férence entre les peu­ples colonisés et colonisa­teurs est restée grande.

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Il me sem­ble qu’en gros, l’on peut com­par­er avec justesse, la sit­u­a­tion des colonies avancées avec celles de dif­férentes nations en 1848, au moment de la grande vague des révo­lu­tions nationales. Ce sont les mêmes forces sou­vent libérales, tou­jours nation­al­istes ; libérales par réac­tion con­tre l’ab­so­lutisme out­ranci­er des pos­sé­dants, mais surtout nationales : c’est l’I­tal­ie qui s’élève con­tre l’Autriche ; ce sont les com­pli­ca­tions nationales et religieuses au sein de l’Autriche même.

Les révo­lu­tions nationales furent longues, dif­fi­ciles, subirent maints échecs avant la réus­site finale. Le peu­ple en tira un prof­it plus idéologique que matériel et si l’on regarde main­tenant, pro­jetés dans notre époque, les aboutis­sants de la poli­tique nation­al­iste, on assiste à l’ap­pari­tion du fas­cisme dans cer­tains des États ayant fait « leur révo­lu­tion nationale » : Ital­ie, Alle­magne, par exem­ple. Ces révo­lu­tions sont mal définies, elles exac­er­bent le nation­al­isme du peu­ple, au grand prof­it des bour­geois et elles risquent sou­vent d’en­traîn­er le fas­cisme sous une forme au sous une autre.

Cepen­dant, la sit­u­a­tion aux colonies n’est pas tout à fait la même. À côté de la réac­tion nationale existe une réac­tion ant­i­cap­i­tal­iste et les peu­ples colo­ni­aux ont pu même par­fois pren­dre net­te­ment con­science de leur classe. Nous avons déjà, vu les avances des ora­teurs des­touriens au pro­lé­tari­at. Nous avons vu le développe­ment des par­tis pro­lé­tariens en Cochin­chine. Il nous faut par­ler main­tenant d’un énorme mou­ve­ment pro­lé­tarien, d’un mou­ve­ment qui mon­tre bien à quel point peut aller le réveil d’une classe « les grèves de 1936 en Afrique du Nord et en Indochine ».

En Afrique du Nord, dès juin 1936, cor­re­spon­dant au mou­ve­ment de leurs cama­rades français, un mou­ve­ment indigène est déclenché. Ce sont les ouvri­ers du bâti­ment et de la métal­lurgie qui ouvrent la lutte. Les autres suiv­ent. Fait rare : le pro­lé­tari­at agri­cole lui-même se met en grève. Les pro­lé­taires algériens lut­tèrent avec courage. Il fal­lut envoy­er con­tre les grévistes la garde mobile. Des autos-mitrailleuses par­couraient le Sahel. On arrê­tait les meneurs. Quand la lutte fut ter­minée en_France, elle s’ar­rê­ta aus­si en Afrique du Nord. Un peu plus tard, c’é­tait le pro­lé­tari­at indochi­nois qui entrait en lutte. Il faut d’ailleurs remar­quer qu’il fut tou­jours très com­bat­if. Là-bas, en 1929, en Cochin­chine et pour la pre­mière fois au Tonkin (Haiphong) des grèves s’or­gan­isent sur le ter­rain de classe. Péra pou­vait dire dans la R.P. : « Mal­gré le régime d’esclavage, la lutte de classe sous des formes qui se rap­prochent énor­mé­ment de celles des pro­lé­tari­ats européens, et avec des reven­di­ca­tions iden­tiques, a fait son appari­tion dans le fief des grands négri­ers ». En 1936, un immense mou­ve­ment se déclenche avec des reven­di­ca­tions pure­ment sociales : appli­ca­tion des lois sociales, réduc­tion des amendes, inter­dic­tion des sévices cor­porels, aug­men­ta­tion des salaires de 25 % en moyenne. Les grèves sévirent du Nord au Sud, le gou­verneur Pagès dut pren­dre des mesures « énergiques » pour les étouf­fer. Voilà qui prou­ve bien la force que peu­vent mal­gré tout pren­dre les reven­di­ca­tions du pro­lé­tari­at indigène sur le ter­rain de classe.

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Les mou­ve­ments d’é­man­ci­pa­tion colo­niale com­men­cent à être con­nus. La lutte des indigènes est suiv­ie favor­able­ment par une par­tie du pro­lé­tari­at français. Des meet­ings réu­nis­sent dans les salles parisi­ennes bon nom­bre de pro­lé­taires. À ces meet­ings pren­nent la parole des per­son­nal­ités du mou­ve­ment ouvri­er. Aux meet­ings qui eurent lieu, on pou­vait not­er l’ad­hé­sion de Rous­set du P.O.I., de Guérin de la G.R., de l’U.A., des étu­di­ants social­istes. Il importe main­tenant de faire le point et de dégager l’at­ti­tude du pro­lé­tari­at devant les par­tis nationaux indigènes. Ceci se rat­tache très intime­ment au prob­lème des luttes nationales ; en ver­tu du fameux « droit qu’ont les peu­ples à dis­pos­er d’eux-mêmes » beau­coup de mil­i­tants regar­dent d’un bon œil les mou­ve­ments d’indépen­dance. Il est inutile de rap­pel­er que le par­ti com­mu­niste soutint assez longtemps les mou­ve­ments d’é­man­ci­pa­tion colo­niale. Lénine prenant posi­tion, écrivait « Dans une guerre réelle­ment nationale, les mots “« défense de la patrie” ne seraient pas une tromperie et je n’en suis pas adver­saire » (Tome xii des œuvres com­plètes). En face de cette atti­tude s’élevèrent d’une part les anar­chistes et Rosa Lux­em­bourg aus­si qui prit net­te­ment par­ti con­tre la thèse du droit des peu­ples soutenue par Lénine. Dans sa brochure sur la Révo­lu­tion, elle écrit : « Mais, et nous tou­chons ici le nœud du prob­lème, le car­ac­tère utopique, petit-bour­geois de ce mot d’or­dre nation­al­iste, con­siste pré­cisé­ment en ceci : que dans la dure réal­ité de la société de class­es, restant dans une péri­ode d’an­tag­o­nismes extrêmes, il se trans­forme en un moyen de dom­i­na­tion de la classe bour­geoise ».

Le prob­lème se trou­ve net­te­ment posé : faut-il soutenir en ver­tu du droit des peu­ples les luttes nationales, ou faut-il pren­dre par­ti con­tre-elles ? Nous n’al­lons pas nous éten­dre sur cette ques­tion ; nous essaierons seule­ment d’avoir une posi­tion claire.

On ne peut dis­cuter dans l’ab­solu sur les posi­tions du pro­lé­tari­at envers les luttes nationales. Il faut tenir compte de plusieurs faits pré­cis : d’une part, les mou­ve­ments colo­ni­aux exis­tent. Cer­tains sont très forts et groupent une grande par­tie des indigènes, d’autre part la lutte du pro­lé­tari­at révo­lu­tion­naire se fait, doit se faire sur le ter­rain inter­na­tion­al de la lutte de class­es et non sur un ter­rain nation­al. Recon­nais­sons que soutenir la lutte des indigènes con­tre l’im­péri­al­isme est un moyen de com­bat intérieur con­tre le cap­i­tal­isme français. En effet, en cas d’aboutisse­ment d’une lutte nationale un rude coup serait porté aux grands trusts dans la recherche de leurs matières pre­mières. Mais il serait vain de croire qu’une telle lutte suf­fi­rait à élim­in­er à tour jamais le prob­lème du cap­i­tal­isme colo­nial. Il est à crain­dre que les colonies ne pou­vant vivre en économie fer­mée (aucun pays ne le peut) ne retombent sous une oppres­sion cap­i­tal­iste, soit indigène, soit et plutôt, inter­na­tionale. Délivr­er le pro­lé­tari­at indigène de l’op­pres­sion française n’est pas tout. Il faut le débar­rass­er du cap­i­tal­isme. Chal­laye a bien vu le prob­lème quand il écrit dans sa pré­face à une brochure des­touri­enne « le véri­ta­ble intérêt et le devoir du peu­ple de France c’est d’u­nir son effort à celui du peu­ple tunisien con­tre les exploiteurs des deux peuples ».

En un mot, il faut inten­si­fi­er partout la lutte sur le ter­rain de class­es. Les grands par­tis pop­u­laires ont fail­li à leur tâche. Les pro­lé­taires français ne doit pas fail­lir à la leur. Il faut encour­ager et soutenir par tous les moyens les mou­ve­ments pro­lé­tariens indochi­nois, il faut encour­ager les pro­lé­taires africains ayant tra­vail­lé en France et repar­tant là-bas à, mon­tr­er à leurs cama­rades indigènes le vrai sens de la lutte. Il faut se trou­ver tou­jours prêts à soutenir les mou­ve­ments pro­lé­tariens qu’ils pour­ront déclencher.

Soutenir la lutte nationale n’est qu’une par­tie de la grande tâche. Le but que nous essayons de pour­suiv­re mal­gré tout est une éman­ci­pa­tion de tous les pro­lé­taires. Il appar­tient aux mil­i­tants restés sincères de grouper leurs efforts dans ce sens. Alors peut-être arriverons-nous un jour au but pour­suivi. Il importe de se sou­venir tou­jours de la phrase de Marx : Pro­lé­taires de tous les pays unis­sez-vous.

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