La Presse Anarchiste

Mouvement social

Dans ces pays de l’A­mé­rique du Sud que, de l’autre côté de l’O­céan, on se figure plus res­pec­tueux de la liber­té indi­vi­duelle, l’ex­ploi­ta­tion de pro­lé­taire est, au contraire, plus hon­teuse, parce que le capi­ta­lisme y met plus d’hy­po­cri­sie. Ici comme là-bas, l’or est roi. Voi­ci quelques détails sur les tra­fics et les véri­tables vols aux­quels donne lieu l’immigration.

Des agents allèchent par de fal­la­cieuses pro­messes des ouvriers sans ouvrage, leur fai­sant espé­rer monts et mer­veilles : un vaste ter­rain, une jolie mai­son, des outils, des animaux…

À son arri­vée, chaque colon reçoit en lot un ter­rain brous­sailleux à défri­cher. Refuse-t-il et réclame-t-il un ter­rain déjà pro­pice à la culture, il doit alors rem­bour­ser les frais du voyage. N’en ayant pas les moyens, il se résigne et signe un contrat dra­co­nien et per­fide aux termes duquel il aura le ter­rain au bout de dix ans, mais à la condi­tion que d’i­ci là il tra­vaille pour le pro­prié­taire, qui lui paie en échange de son tra­vail un prix ridi­cule. C’est ain­si que, à la colo­nie Har­dy, la tonne de canne à sucre lui est payée 6 francs ! Le prix offi­ciel est bien 15 francs, mais de cette somme il faut défal­quer 9 francs que la Com­pa­gnie retient pour le trans­port. Il faut ajou­ter que le colon ne peut faire trans­por­ter sa mar­chan­dise que par la Com­pa­gnie et qu’il ne peut la vendre ailleurs. Le contrat les oblige à vendre le pro­duit de leur champ à leur… maître. En outre, ces 6 francs lui sont payés en bons de la Com­pa­gnie. Or ces bons ne sont reçus nulle part ailleurs que dans les maga­sins de la Com­pa­gnie, qui en pro­fite natu­rel­le­ment pour vendre ses pro­duits hor­ri­ble­ment cher. Quand les dix ans sont expi­rés, le colon peut se croire enfin au terme de ses souf­frances. La mai­son est à lui, le ter­rain est à lui !… Oui, mais le contrat le lie encore, il ne peut vendre ses pro­duits qu’à la Com­pa­gnie conces­sion­naire ou à un ache­teur agréé par elle. La Com­pa­gnie n’a­grée jamais d’a­che­teur et accepte les pro­duits au taux ana­logue à celui cité plus haut et, le paie­ment se fait tou­jours au moyen de ses bons.

Tel est le sort des colons quand les choses se passent nor­ma­le­ment. Mais sou­vent, peu avant l’ex­pi­ra­tion des dix années, la Com­pa­gnie, sous un pré­texte quel­conque, intente un pro­cès au colon et le met à la porte sans indem­ni­té. Le champ défri­ché et la récolte lui reviennent de droit et elle les afferme.

Un fait pour finir. Pour avoir ven­du quelques verres de rhum à des colons, un de ces mal­heu­reux a été pla­cé tout nu dans une île déserte du Para­na. Recueilli après trois jours par un voi­lier, la jus­tice, après ins­truc­tion, a déci­dé que le direc­teur de la Com­pa­gnie avait agi « avec rigueur, sans doute, mais avec justice ».

[/​(D’a­près une cor­res­pon­dance locale)/​]

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