La Presse Anarchiste

Mouvement social

Nous ne rece­vons pas direc­te­ment de nou­velles ni de jour­naux venant de Cuba, nous avons dit pour­quoi. Sur cette île, nous sommes ren­sei­gnés prin­ci­pa­le­ment par El Escla­vo, qui paraît à Tam­pa, port de Flo­ride où abou­tit le câble de La Havane et où sont recueillies les nou­velles de Cuba qui nous par­viennent par voie amé­ri­caine. Au prin­temps, l’in­sur­rec­tion était bor­née dans le mas­sif de mon­tagnes de l’Est, autour de San­tia­go de Cuba. On sait qu’elle s’é­tend vers le centre et que Mar­ti­nez Cam­pos vient de se faire battre en essayant d’at­ta­quer les révol­tés. Je n’ai pas à rap­pe­ler ces évé­ne­ments dont cha­cun se sou­vient, mais à démê­ler ce qui nous inté­resse direc­te­ment dans les évé­ne­ments de Cuba. Ce n’est pas la pro­cla­ma­tion des chefs insur­gés, publiée à New York au mois de mai ; ce ne sont pas non plus les sym­pa­thies inté­res­sées des poli­ti­ciens des États-Unis méri­dio­naux en faveur du mou­ve­ment, contre les Espa­gnols. Les chefs de ce mou­ve­ment Maceo, et Maxi­mo Gomez, se déclarent seule­ment natio­na­listes ; ils veulent un gou­ver­ne­ment cubain com­po­sé d’eux et de leurs amis métis ou créoles, à la place du gou­ver­ne­ment espa­gnol. Leur révolte est le der­nier acte de ce qu’on est conve­nu d’ap­pe­ler l’é­man­ci­pa­tion des colo­nies espa­gnoles, et de ce qui fut tout sim­ple­ment la conquête des pou­voirs publics par les nobles et les bour­geois indi­gènes sur les nobles et les bour­geois euro­péens. Les ambi­tieux et les com­mer­çants des États-Unis du Sud donnent leur appui aux sépa­ra­tistes cubains, parce qu’ils espèrent obte­nir, après leur vic­toire, la sup­pres­sion des droits de douane, et, après, pro­ba­ble­ment une adhé­sion à l’U­nion amé­ri­caine, qui don­ne­rait un État de plus au groupe des fédé­ra­listes (soi-disant démo­crates).

Il n’y a rien là qui nous attire, et, l’on serait ten­té d’ap­prou­ver l’ar­ticle qu’El Des­per­tar a publié sous le titre de : « Cuba et l’a­nar­chie », pour enga­ger les révo­lu­tion­naires amé­ri­cains à ne pas se sou­cier de la lutte entre Gomez et Cam­pos. Pour­tant, avec com­bien de rai­son El Archi­vo Social de La Havane blâme cet abs­ten­tion­nisme : « Ce ne sont pas les sépa­ra­tistes, dit El Archi­vo Social, qui peuvent invi­ter les tra­vailleurs à venir lut­ter pour la prise de la terre et des ins­tru­ments de tra­vail, pour la sup­pres­sion des impôts et de toutes les rede­vances ! C’est nous-mêmes qui devons lut­ter pour ce résul­tat, qui devons faire entrer les prin­cipes révo­lu­tion­naires dans l’in­sur­rec­tion ! » On ne sau­rait mieux dire. Oui, nous ferons sor­tir la révo­lu­tion sociale des évé­ne­ments, nous ne trou­ve­rons jamais toute pré­pa­rée. C’est ce qu’An­to­nio Agres­ti, dans une étude sur l’é­meute sici­lienne, publiée par la Socié­té Nou­velle, démon­trait clai­re­ment aux dégoû­tés qui fai­saient la petite bouche devant les aspi­ra­tions confuses et par­fois contra­dic­toires des « fais­ceaux des tra­vailleurs sici­liens ». Il y a vingt mille ouvriers sans tra­vail à La Havane ; on en trouve autant dans le reste de l’île. Mar­ti­nez Cam­pos leur pro­met du tra­vail, demande des fonds pour leur faire l’au­mône. On ne doit pas lais­ser pas­ser l’oc­ca­sion de les agi­ter. Nous approu­vons donc, ain­si qu’El Escla­vo, le mani­feste du com­pa­gnon Cré­ci, paru dans El Archi­vo Social sous le titre sui­vant : « Aux tra­vailleurs de La Havane. » Cré­ci prouve aux ouvriers que la neu­tra­li­té est impos­sible dans la lutte actuelle, que gar­der une atti­tude paci­fique, c’est don­ner son appui aux fonc­tion­naires et aux mili­taires espa­gnols. Ne vaut-il pas mieux entrer dans l’in­sur­rec­tion pour essayer d’en faire la révolution ?

Après la publi­ca­tion de ce mani­feste, la police de La Havane a fait des per­qui­si­tions aux bureaux d’El Archi­vo Social, et en plu­sieurs autres endroits, pour trou­ver Cré­ci qui a échap­pé aux recherches.

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