La Presse Anarchiste

Mouvement social

Car­maux. — On connaît par ce qu’en ont dit les jour­naux quo­ti­diens, l’his­to­rique de la grève de Car­maux, l’acte de soli­da­ri­té des ver­riers de Car­maux et du Bous­quer d’Orb, refu­sant de reprendre le tra­vail parce que Bau­dot, et Pel­le­tier, secré­taires des syn­di­cats de ces deux loca­li­tés, avaient été ren­voyés sous le pré­texte qu’ils s’é­taient absen­tés pour assis­ter au congrès de Mar­seille, mais en réa­li­té parce qu’il avait plu a leurs cama­rades de les élire au conseil d’ar­ron­dis­se­ment. On connaît le refus abso­lu oppo­sé par la Com­pa­gnie à tout essai de conci­lia­tion et le chô­mage for­cé impo­sé par elle à 1700 ouvriers, c’est-à-dire à 3000 per­sonnes envi­ron, par le bon plai­sir d’une poi­gnée de capitalistes.

De ces faits se dégagent plu­sieurs ensei­gne­ments. Les socia­listes pré­co­nisent comme moyen d’af­fran­chis­se­ment la conquête des pou­voirs publics. Que les ouvriers, disent-ils, élisent de leurs cama­rades aux fonc­tions légis­la­tives, et quand ils seront la majo­ri­té, ils feront la loi au capi­tal. Les tra­vailleurs peuvent voir par ce qui se passe dans le Tarn com­bien il leur sera facile d’ar­ri­ver à ce résul­tat, dont l’ef­fi­ca­ci­té est d’ailleurs bien pro­blé­ma­tique, puisque quand leurs suf­frages dési­gnent un des leurs pour les repré­sen­ter, ils se voient refu­ser le pain à eux et à leurs familles.

Ensuite le lan­gage employé par la Com­pa­gnie des ver­re­ries du Tarn doit les édi­fier sur la façon dont les capi­ta­listes com­prennent la situa­tion res­pec­tive d’employeur et d’employés. Il n’est ques­tion dans leurs notes que « d’au­to­ri­sa­tion », de « bonne dis­ci­pline », etc. De pareils termes prouvent le plus clai­re­ment du monde que ces gens-là, parce qu’ils ont l’or en poche, consi­dèrent ceux qui le leur ont pro­cu­ré comme des esclaves, des serfs, des sujets qui leur doivent obéis­sance et aux­quels il est inter­dit de s’oc­cu­per de leurs inté­rêts sans en avoir au préa­lable sol­li­ci­té la per­mis­sion. Où donc sont les « grands prin­cipes » d’é­ga­li­té tant pro­cla­més par la Répu­blique, « cette fille de la grande Révo­lu­tion dont elle conserve pieu­se­ment les tra­di­tions » ? Où est cette pré­ten­due liber­té du contrat entre capi­tal et tra­vail tant prô­née par les éco­no­mistes bour­geois ? On croit rêver à la lec­ture de la réponse de la Com­pa­gnie, réponse que l’on dirait rédi­gée par un de ces sei­gneurs féo­daux que la bour­geoi­sie guillo­ti­na en 1793.

Enfin, voi­ci, d’une part, un outillage en ce moment sans uti­li­té, et, d’autre part, une masse de tra­vailleurs sachant l’u­ti­li­ser, mais souf­frant de la faim par le mau­vais vou­loir de gens qui « peuvent attendre ». Si ces affa­més, n’é­cou­tant que l’ins­tinct de la conser­va­tion, s’emparaient de l’ou­tillage et s’en ser­vaient pour sau­ver de la mort leurs femmes et leurs enfants, le gou­ver­ne­ment aurait hâte de faire inter­ve­nir la force armée dont il dis­pose pour réta­blir ce qu’il appel­le­rait « l’ordre ! » Et pour­tant, l’ins­tinct de la conser­va­tion entre-t-il en balance avec l’a­mour de l’or pour lui-même ?

Les gou­ver­nants qui fusillent les tra­vailleurs un peu par­tout, à Aubin, à la Rica­ma­rie, à Four­mies, etc., pour assu­rer, disent-ils, « la liber­té du tra­vail », ont une excel­lente occa­sion de prou­ver la fameuse sym­pa­thie qu’ils pro­fessent à tout pro­pos pour la classe ouvrière, et de leur assu­rer cette fois-ci « la liber­té du tra­vail » en fusillant les admi­nis­tra­teurs qui empêchent sans motif toute une popu­la­tion de vivre en travaillant.

Le feront-ils ? Ce serait peine per­due que de les mettre au défi.

[/​André Girard/​]

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