La Presse Anarchiste

Les partis, les syndicats et la révolution prolétarienne

À l’heure où le capi­ta­lisme, pris dans l’é­tau de ses propres contra­dic­tions, cherche déses­pé­ré­ment l’is­sue qui doit le sau­ver de la mort qui le menace, le pro­lé­ta­riat, manœu­vré par les poli­ti­ciens, mani­feste une impuis­sance tel­le­ment sur­pre­nante à lut­ter contre le régime qui l’ex­ploite et l’af­fame qu’on en vient à se deman­der d’où peut bien pro­ve­nir la cause d’un tel phénomène.

Pour les com­mu­nistes d’a­vant-garde, la ques­tion a déjà été réso­lue depuis long­temps. Pour eux, cette cause n’est nul­le­ment à recher­cher, comme l’af­firment les syn­di­ca­listes et les poli­ti­ciens de métier, dans le manque d’u­ni­té orga­ni­sa­toire de la classe ouvrière, mais dans la forme même et le conte­nu idéo­lo­gique des orga­ni­sa­tions de cette dernière.

Nous avons tou­jours enten­du dire, jus­qu’i­ci, que les ouvriers orga­ni­sés repré­sentent la par­tie consciente du pro­lé­ta­riat. D’au­cuns même vont jus­qu’à affir­mer qu’un ouvrier orga­ni­sé est un révo­lu­tion­naire. Tout cela n’est pas bien sûr et mérite d’être exa­mi­né et dis­cu­té. Je ne pense pas, en effet, qu’un ouvrier est révo­lu­tion­naire parce qu’il est syn­di­qué. En géné­ral, l’ou­vrier adhère à un syn­di­cat, non point parce qu’il est révo­lu­tion­naire, mais tout sim­ple­ment parce qu’il espère ain­si défendre mieux son bif­teck. Nous enten­dons dire éga­le­ment que les syn­di­cats sont un moyen de lutte, une arme entre les mains du pro­lé­ta­riat, contre le capi­ta­lisme, pour son abo­li­tion ; et que si l’on pou­vait s’en­tendre pour réa­li­ser l’u­ni­té syn­di­cale, les plus grands espoirs seraient permis.

Eh bien, non ! pour un mar­xiste révo­lu­tion­naire consé­quent, les syn­di­cats n’ont jamais été que des organes de reven­di­ca­tions éco­no­miques qui ont eu leur rai­son d’être dans la période d’es­sor du capi­ta­lisme, mais qui ne l’ont plus à pré­sent dans la période de déclin, de crise per­ma­nente de ce der­nier. Aujourd’­hui, les syn­di­cats, non seule­ment ne sont pas ce qu’ils n’ont jamais été, c’est-à-dire des organes de lutte contre le sys­tème capi­ta­liste, pour son abo­li­tion, mais ils ne sont même plus des organes de reven­di­ca­tions éco­no­miques. Tout au contraire, ils sont deve­nus (et même, on pour­rait dire qu’ils l’ont tou­jours été, comme on le ver­ra plus loin), dans la période pré­sente des organes de com­pro­mis qui per­mettent au capi­tal, chaque fois que ses béné­fices sont en dan­ger, de se tirer d’af­faires en fai­sant accep­ter aux ouvriers, par l’in­ter­mé­diaire de leurs chefs, une dimi­nu­tion de salaires ayant pour but de sau­ve­gar­der plus ou moins inté­gra­le­ment ces béné­fices. Ain­si, nous pou­vons même dire que le syn­di­ca­lisme n’est pas seule­ment un moyen de com­pro­mis, mais aus­si et sur­tout un moyen de conser­va­tion et de sta­bi­li­sa­tion du régime qu’il pré­tend com­battre et abolir.

Cepen­dant, comme il est à pré­voir que de telles affir­ma­tions ne man­que­ront pas de faire sur­sau­ter les per­ma­nents du syn­di­ca­lisme et de la révo­lu­tion, nous allons faire par­ler un peu K. Marx lui-même. (Toutes les cita­tions que l’on va lire sont tirées de l’ou­vrage de K. Marx : « Tra­vail sala­rié et capi­tal, salaires, prix et pro­fits », publié par les E.S.I.).

Tout d’a­bord, il faut que l’on s’im­prègne bien de ceci (car cela vaut pour les périodes de crise qu’a eu à tra­ver­ser le capi­ta­lisme jus­qu’i­ci, et à plus forte rai­son pour aujourd’­hui) : « L’employeur ne peut employer les ouvriers parce qu’il ne peut vendre son pro­duit. Il ne peut vendre son pro­duit parce qu’il n’a pas de pre­neurs. Il n’a pas de pre­neurs parce que les ouvriers n’ont rien à échan­ger que leur travail ».

Voi­là pour com­prendre la néces­si­té, pour le capi­ta­liste, de jeter en période de crise une par­tie de ses ouvriers à la rue. Et nous savons que les syn­di­cats ne se sont jamais oppo­sés à cela. En outre, sans se pré­oc­cu­per des ouvriers jetés à la rue, ils jouent la com­pro­mis­sion pour faire accep­ter à ceux qui sont res­tés à l’u­sine la dimi­nu­tion des salaires deve­nue néces­saire au main­tien du régime capi­ta­liste. Ceci dit pour que l’on com­prenne mon affir­ma­tion de plus haut sur le syn­di­ca­lisme, moyen de conser­va­tion et de sta­bi­li­sa­tion du régime capitaliste.

Plus loin, Marx dit, à pro­pos de la lutte pour des aug­men­ta­tions de salaires : « En contre­car­rant les efforts du capi­tal par la lutte pour des aug­men­ta­tions de salaires qui cor­res­pondent à la ten­sion crois­sante du tra­vail, l’ou­vrier ne fait que s’op­po­ser à la dépré­cia­tion de son tra­vail et à la pau­pé­ri­sa­tion de sa classe ».

Qu’on com­prenne bien à quoi rime en fin de compte la fameuse aug­men­ta­tion de salaires. Et il s’a­git d’au-men­ta­tion, c’est-à-dire de ce que l’on a cou­tume de pré­sen­ter à l’ou­vrier qui a fait la grève pour l’ob­te­nir (quand il y réus­sit !) comme une grr­rande vic­toire… Marx dit encore : « Pen­dant la phase de baisse des prix du mar­ché et la phase de crise et de stag­na­tion, l’ou­vrier, s’il ne perd pas toute occu­pa­tion, doit s’at­tendre d’une façon tout à fait cer­taine à une dimi­nu­tion de salaire. Pour ne pas être dupé, il lui fau­dra même, en cas de pareille baisse des prix du mar­ché, se dis­pu­ter avec le capi­ta­liste pour savoir dans quelle pro­por­tion une dimi­nu­tion des salaires est deve­nue néces­saire ». Et un peu plus loin : « Dans 99 cas sur 100, ses efforts (de la classe ouvrière) pour rele­ver les salaires ne sont que des ten­ta­tives pour main­te­nir la valeur don­née au tra­vail… car… la ten­dance géné­rale de la pro­duc­tion capi­ta­liste n’est pas d’é­le­ver le salaire nor­mal moyen, mais de l’abaisser ».

Et voi­ci la conclu­sion : « Les syn­di­cats agissent uti­le­ment en tant que centres de résis­tance aux empié­te­ments du Capi­tal, ils s’a­vèrent en par­tie inef­fi­caces par suite de l’emploi peu judi­cieux qu’ils font de leur puis­sance. Ils manquent géné­ra­le­ment leur but (but qui est, comme on vient de le voir, de s’op­po­ser par la grève à toute aggra­va­tion de la misère ouvrière) parce qu’ils se bornent à une guerre d’es­car­mouches contre les effets du régime exis­tant, au lieu de tra­vailler en même temps à sa trans­for­ma­tion et de se ser­vir de leur force orga­ni­sée comme d’un levier pour l’é­man­ci­pa­tion défi­ni­tive de la classe tra­vailleuse, c’est-à-dire pour l’a­bo­li­tion défi­ni­tive de la classe tra­vailleuse, c’est-à-dire pour l’a­bo­li­tion défi­ni­tive du salariat ».

Voi­là ce que Marx disait il y a déjà près d’un siècle. On sait que, depuis, le rôle des syn­di­cats n’a jamais chan­gé. Cepen­dant, aujourd’­hui, le capi­ta­lisme n’est plus ce qu’il était il y a un siècle, c’est-à-dire un enfant plein de vie : c’est un vieillard décré­pit, qui n’est plus capable d’as­su­rer son exis­tence, et qu’il est deve­nu néces­saire d’a­battre, car c’est de sa mort, désor­mais, que dépend le salut de l’humanité.

On com­pren­dra à pré­sent pour­quoi l’u­ni­té syn­di­cale ne pour­rait rien appor­ter à la classe ouvrière si jamais elle venait à se réa­li­ser. L’heure n’est plus aux reven­di­ca­tions au sein d’un régime qui a fait son temps. La classe ouvrière n’a plus rien à attendre de lui, car il ne peut plus rien lui don­ner. Et ce que Marx avait pré­dit s’est réa­li­sé : « … l’exis­tence de la bour­geoi­sie est, désor­mais, incom­pa­tible avec celle de la socié­té »… « … la bour­geoi­sie est inca­pable de rem­plir son rôle de classe diri­geante et d’im­po­ser à la socié­té, comme loi suprême, les condi­tions d’exis­tence de sa classe. Elle ne peut plus régner, parce qu’elle ne peut plus assu­rer à son esclave (le pro­lé­ta­riat) même une exis­tence com­pa­tible avec son escla­vage, parce qu’elle est obli­gée de le lais­ser déchoir au point de devoir le nour­rir au lieu de se faire nour­rir par lui. La socié­té ne peut plus vivre sous sa domi­na­tion ». (Voir le Mani­feste Communiste).

Dès lors, il nous faut recon­naître que les syn­di­cats, en tant qu’or­ganes de reven­di­ca­tions éco­no­miques, n’ont plus leur rai­son d’être. Aujourd’­hui, la classe ouvrière doit lut­ter direc­te­ment pour l’a­bo­li­tion du capi­ta­lisme, et les syn­di­cats sont abso­lu­ment inca­pables de mener cette lutte. Toutes les grèves, englo­bant même la tota­li­té des ouvriers d’une indus­trie don­née sont, désor­mais, vouées d’a­vance à un échec cer­tain. Les ouvriers seront tou­jours for­cés d’ac­cep­ter, d’une manière ou d’une autre, les dimi­nu­tions de salaire que la néces­si­té com­mande au capi­tal de leur impo­ser quand il se trouve pris dans ce dilemme : fer­mer les portes des usines pour ne pas tra­vailler à perte, ou bien dimi­nuer les salaires pour pou­voir conti­nuer la pro­duc­tion. Nous n’in­sis­te­rons pas là-des­sus : toutes les grandes grèves de ces der­nières années, sans par­ler de celles toutes récentes, sont là pour nous éclairer.

Or, nous savons que ce lan­gage ne convient nul­le­ment aux par­tis qui se réclament de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, pas plus qu’aux syn­di­cats, qu’ils soient réfor­mistes ou révolutionnaires.

En effet, par­tis et syn­di­cats sont par­fai­te­ment d’ac­cord sur ce point : enchaî­ner l’es­prit de l’ou­vrier, l’empêcher de par­ler. En sorte que l’ou­vrier, dès qu’il entre dans l’une ou l’autre de ses orga­ni­sa­tions de classe (par­ti et syn­di­cat), doit ces­ser de pen­ser : ses chefs pensent pour lui ; ils lui diront quand, pour­quoi et com­ment il lui fau­dra agir. Tout cela sous le cou­vert de la démo­cra­tie et de l’au­to-cri­tique, bien entendu. 

L’ou­vrier n’est pas le maître dans son orga­ni­sa­tion : celle-ci le domine avec son appa­reil bureau­cra­tique, com­po­sé de fonc­tion­naires per­ma­nents, avec ses régi­ments, ses sta­tuts et ses mots d’ordre. Or, il faut que l’ou­vrier soit libre d’ex­pri­mer sa propre pen­sée tou­jours en révolte contre ceux qui l’ex­ploitent ; il faut qu’il ait les mou­ve­ments libres. L’ère des com­pro­mis avec la bour­geoi­sie doit ces­ser, car, dans la période actuelle du capi­ta­lisme en déclin, un com­pro­mis ne pour­ra se faire qu’au désa­van­tage de la classe ouvrière. Et nous savons que celle-ci ne peut plus des­cendre plus bas dans sa misère et qu’en outre, « dans la lutte pure­ment éco­no­mique : c’est le Capi­tal qui est le plus fort » (Marx).

La lutte pas­sive par la grève ne répond plus aux condi­tions objec­tives de l’heure pré­sente. Du ter­rain éco­no­mique, la lutte doit être trans­por­tée sur le ter­rain social. Et, pour mener effi­ca­ce­ment la lutte sur ce der­nier ter­rain, les syn­di­cats sont tout à fait impuis­sants. Les ouvriers ont pour devoir de les détruire et de les rem­pla­cer par leurs organes propres qui leur per­met­tront de déci­der eux-mêmes de l’ac­tion. Ces organes, on les connaît : ce sont les conseils d’usine.

Les conseils d’u­sine ser­vi­ront de base pour la lutte directe, déci­sive contre la bour­geoi­sie, pour la sup­pres­sion de son sys­tème éco­no­mique. Ils seront en même temps que la base les leviers de la révo­lu­tion prolétarienne.

Cha­cun connaît aujourd’­hui le rôle contre-révo­lu­tion­naire joué par les syn­di­cats chaque fois que le capi­ta­lisme s’est trou­vé en dan­ger de mort. Cha­cun sait que ce rôle conti­nue encore à l’heure actuelle et que chaque fois que les masses passent à l’ac­tion, c’est contre la volon­té de leurs chefs qui, sou­li­gnons-le, s’empressent aus­si­tôt de les rame­ner à la rai­son (c’est-à-dire à la sou­mis­sion au capi­tal) par tous les moyens, — y com­pris la force, bien entendu.

La révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne a tou­jours été assas­si­née avec l’aide des syn­di­cats. La guerre impé­ria­liste de 1914 – 18 a été ren­due pos­sible et put se pour­suivre jus­qu’au bout par la capi­tu­la­tion de tra­hi­son des syn­di­cats et des par­tis qui les diri­geaient. Et les masses, sou­mises à leurs chefs, ― leurs ber­gers, — mar­chèrent comme des mou­tons à l’abattoir.

Demain, la même chose se répé­te­ra sans doute si les masses ne com­prennent pas tout de suite la néces­si­té pour elles d’a­ban­don­ner les syn­di­cats et de s’or­ga­ni­ser au sein même de l’u­sine, en conseils, afin d’être prêtes à mener le bon com­bat : la lutte directe pour la des­truc­tion de l’é­tat capi­ta­liste et l’ins­tau­ra­tion de la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat s’ap­puyant sur les conseils révo­lu­tion­naires ouvriers des usines. Tous les ouvriers conscients doivent lut­ter contre les syn­di­cats, organes de tra­hi­son per­ma­nente de la révo­lu­tion, pour les conseils d’u­sine, organes de la révo­lu­tion ; il faut qu’ils cessent d’être la masse, c’est-à-dire le trou­peau que l’on mène comme on veut et où l’on veut. Chaque ouvrier doit deve­nir un révo­lu­tion­naire conscient, sachant ce qu’il veut et com­ment le prendre.

De ce qui pré­cède, il découle for­cé­ment que l’at­ti­tude des ouvriers envers le par­le­men­ta­risme doit être en rap­port avec celle qu’ils doivent obser­ver vis-à-vis des syndicats.

Chaque ouvrier devrait savoir aujourd’­hui qu’il n’a plus rien à attendre de la démo­cra­tie bour­geoise qui lui a don­né tout ce qui lui était pos­sible, et qu’il lui faut lut­ter même de toutes ses forces pour conser­ver les quelques maigres liber­tés qu’il a réus­si à arra­cher au cours de la période d’es­sor du capitalisme.

Mal­heu­reu­se­ment, il n’en est pas ain­si. « Mal­gré l’ex­pé­rience de 60 ans de cor­rup­tion par­le­men­taire, les illu­sions démo­cra­tiques sont encore tenaces par­mi les ouvriers fran­çais : Les masses s’i­ma­ginent que le Par­le­ment consti­tue le centre effec­tif de la vie poli­tique du pays, qu’il peut légi­fé­rer en toute liber­té. Elles croient sou­vent que les élus ouvriers peuvent accom­plir au Par­le­ment une œuvre effi­cace par la ver­tu propre de leur action par­le­men­taire » (Huma­ni­té du 2/​9/​32). Rien d’é­ton­nant à cela. On a habi­tué l’ou­vrier à mar­cher dans cette voie de la pas­si­vi­té réfor­miste, à remettre entre les mains de chefs poli­tiques ou syn­di­caux la défense de ses propres inté­rêts. Dès lors, com­ment s’é­ton­ner que l’illu­sion par­le­men­taire soit si pro­fon­dé­ment ancrée dans l’es­prit de chaque ouvrier. Est-ce que l’as­pi­rant-dépu­té com­mu­niste ne tient pas le même lan­gage que n’im­porte quel poli­ti­cien quand il ne peut en être autre­ment. En effet, si le com­mu­niste en sol­li­ci­tant son suf­frage ne pro­met­tait rien à l’ou­vrier, on se demande alors quelle rai­son aurait celui-ci de voter pour lui. Il est donc patent que c’est bien le par­le­men­taire com­mu­niste lui-même qui leurre l’ou­vrier et l’illu­sionne en lui fai­sant croire qu’il va pou­voir, par la ver­tu de ses dis­cours à la Chambre, arra­cher à la bour­geoi­sie les réformes les plus révo­lu­tion­naires. Or, il est tout à fait évident que l’ère des réformes en régime capi­ta­liste est, pour un mar­xiste tout au moins, défi­ni­ti­ve­ment close. La classe ouvrière n’a plus rien à attendre du régime capi­ta­liste qui a fait son temps et qui doit être détruit par la révo­lu­tion prolétarienne.

On sait que l’ar­gu­ment, — le seul d’ailleurs, — qu’op­posent les com­mu­nistes par­le­men­taires aux com­mu­nistes radi­caux est celui-ci : « Se ser­vir de la tri­bune du Par­le­ment pour l’a­gi­ta­tion dans le pays ». Cet argu­ment est tel­le­ment pauvre que n’im­porte quel révo­lu­tion­naire peut le réfu­ter sans peine. En effet, le Par­le­ment n’est pas le pays, et les dis­cours qu’y pro­noncent les com­mu­nistes ne touchent pas tou­jours l’ou­vrier. L’a­gi­ta­tion dans le pays doit se faire dans le pays pré­ci­sé­ment, par­tout où il y a des ouvriers (manuels ou intel­lec­tuels), dans les chan­tiers, les usines, les mines, etc. C’est là qu’il faut por­ter la parole révo­lu­tion­naire. C’est là qu’il faut appe­ler l’ou­vrier à s’or­ga­ni­ser en vue de la lutte directe contre le régime qui l’af­fame de plus en plus et le condamne à mort ; et non point devant les bour­geois du Par­le­ment. Oui, mais alors, adieu ! la lutte des places que pra­tiquent tous les faux révo­lu­tion­naires. Les ouvriers orga­ni­sés sur le lieu même du tra­vail en Conseils ces­se­raient d’être la masse que les dif­fé­rents par­tis et syn­di­cats se dis­putent avec tant d’a­char­ne­ment. La lutte de classe serait trans­por­tée sur son véri­table ter­rain : sur le lieu du tra­vail, là où se trouvent les ins­tru­ments de pro­duc­tion. Car enfin, c’est bien là qu’est la base de la révo­lu­tion pro­lé­ta­rienne, et le pre­mier acte du pro­lé­ta­riat dans la révo­lu­tion consiste bien à s’emparer des ins­tru­ments et moyens de production ?

Qu’on ne viennent pas, pour se cou­vrir, bran­dir à nos yeux le fameux livre oppor­tu­niste de Lénine contre le com­mu­nisme de gauche, car ce livre, qui est une tra­hi­son du mar­xisme révo­lu­tion­naire, a été réfu­té depuis long­temps par H. Gor­ter dans sa « Réponse à Lénine » que les diri­geants com­mu­nistes se gardent bien, et pour cause, de mettre sous les yeux des ouvriers révo­lu­tion­naires : ils ont trop peur que la masse ne devienne consciente et n’a­gisse par elle-même en se pas­sant d’eux ; ces mes­sieurs qui se réclament du pro­lé­ta­riat et de la révo­lu­tion craignent comme la peste la parole révo­lu­tion­naire qu’ils étouffent par tous les moyens. En sorte qu’il n’y a plus place aujourd’­hui dans les orga­ni­sa­tions soi-disant révo­lu­tion­naires pour un révo­lu­tion­naire conscient pou­vant expri­mer des pen­sées mar­xistes. En Rus­sie, où ces mes­sieurs ont le pou­voir, les ouvriers révo­lu­tion­naires, ain­si que les bol­che­viks qui ont vou­lu res­ter des révo­lu­tion­naires, sont empri­son­nés et dépor­tés en Sibé­rie. Ils n’ont plus droit à la parole. Et cela après avoir fait la révo­lu­tion. Mais n’in­sis­tons pas là-des­sus, cela nous mène­rait trop loin. En outre, ce n’est pas notre sujet.

Conclu­sion : Le monde capi­ta­liste est crou­lant ; cela, per­sonne ne le nie plus. Aucune issue pou­vant per­mettre au sys­tème bour­geois de pro­duc­tion de sub­sis­ter : que la guerre entre les états capi­ta­listes eux-mêmes. Déjà, les rap­ports entre les hommes et les classes dans la socié­té sont modi­fiés et bou­le­ver­sés. La guerre éco­no­mique se pour­suit fébri­le­ment. Chaque état cherche à se pro­té­ger par tous les moyens contre la crise mor­telle qui accable leur régime com­mun. Cha­cun s’en­toure de bar­rières de toute sorte et pré­pare fébri­le­ment la guerre de demain (dont les pro­lé­taires, comme tou­jours, feront les frais en s’entre-mas­sa­crant), celle qui doit per­mettre au régime de, sub­sis­ter encore quelques petites années. Dans cette situa­tion, le pro­lé­ta­riat est de plus en plus écra­sé et réduit à l’im­puis­sance. La misère s’ac­croît jour­nel­le­ment dans les foyers. Des mil­lions de chô­meurs vivent dans une situa­tion effroyable. La pro­duc­tion bour­geoise les a défi­ni­ti­ve­ment reje­tés de son sein : ils n’ont plus droit à la vie. Comme des chiens aban­don­nés, ils doivent chaque matin cou­rir les pla­ce­ments et, dans la jour­née, flai­rer les grands res­tau­rants et autres soupes popu­laires. D’autre part, ceux qu’un sort plus heu­reux a main­te­nus au tra­vail ne semblent guère se sou­cier de leurs frères mal­heu­reux. Pour conser­ver leur place, ils sont prêts à toutes les com­pro­mis­sions avec le Capi­tal : ce sera tou­jours mieux que de rejoindre l’ar­mée des meurt-de-faim ! Dans ces com­pro­mis­sions entre le Capi­tal et le Tra­vail, les syn­di­cats (qu’ils soient d’une cen­trale ou d’une autre, réfor­mistes ou révo­lu­tion­naires) n’ont qu’un rôle à. jouer : celui d’en­tre­met­teurs sub­tils. Les masses sont manœu­vrées comme du bétail ; les par­tis et leurs syn­di­cats se les dis­putent avec le plus grand achar­ne­ment : c’est la lutte pour la conquête des masses ; chaque par­ti criant haro sur le par­ti adverse. En sorte que la classe ouvrière, exploi­tée jus­qu’au sang, affa­mée par le chô­mage, est réduite à l’im­puis­sance à l’heure même où les condi­tions objec­tives sont mûres pour le com­bat déci­sif contre la bour­geoi­sie pour la révo­lu­tion prolétarienne.

Ouvrier, ne remets plus ta cause entre les mains de chefs qui l’ont tou­jours tra­hie et la tra­hi­ront tou­jours ; défends-la toi-même, ta cause. Et rap­pelle-toi que Marx a dit : « L’é­man­ci­pa­tion des tra­vailleurs doit être l’œuvre des tra­vailleurs eux-mêmes ! »

[/​D. Attruia (France)

(La Voix Liber­taire)/​]

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