La Presse Anarchiste

L’odieux massacre de Genève

La bour­geoi­sie vient d’a­jou­ter un nou­veau fleu­ron à son pal­ma­rès de répression.

Au pied des palais de la S.D.N. et du B.I.T. où les chantres de la paix sociale clament les ver­tus de la col­la­bo­ra­tion des classes, les mitrailleuses de l’ordre, ont, une fois de plus, fait cou­ler du sang ouvrier.

Ce crime canaille, per­pé­tré sans aucune pro­vo­ca­tion, donne la mesure du degré de féro­ci­té des défen­seurs du régime, si tou­te­fois il était encore, néces­saire pour nous d’en connaître, et, s’il a pu, par sa sou­dai­ne­té, pétri­fier la grande foule de stu­pé­fac­tion et de dou­leur, il n’a pas, chez nous, pro­vo­qué de surprise.

Dans les conjonc­tures pré­sentes il faut s’at­tendre à tout. La bour­geoi­sie atter­rée par les pro­por­tions de sa crise s’at­tache avant tout à des mesures de self-défense devant les éven­tuelles et inévi­tables consé­quences de la situation.

Dans tous les pays du monde, du plus démo­cra­tique au plus réac­tion­naire, on four­bit des armes de Ver­saillais, et le car­nage de Genève consti­tue­ra dans l’his­toire un épi­sode pré­cur­seur du grand bou­le­ver­se­ment que notre géné­ra­tion, soyons-en sûrs, va accomplir.

En quelques minutes, quelques secondes peut-être, 14 morts et 65 bles­sés ont été cou­chés par une rafale de fusils mitrailleurs. On connaît les faits, inutile donc d’en rele­ver le dérou­le­ment. Mais ce qui ren­dait à nos yeux l’as­sas­si­nat plus atroce c’est qu’il fut accom­pli par des mili­ciens, des sol­dats citoyens dont le moins que l’on en puisse dire c’est qu’ils offrent aux foules ouvrières le maxi­mum de garanties.

C’est ce qui explique, sans doute, la confiance des mani­fes­tants gene­vois cher­chant à bri­ser les bar­rages et à gagner les sol­dats à leur cause. Ils ne pen­saient pas, ils ne pou­vaient pas sup­po­ser que les maga­sins des fusils étaient char­gés à balles et encore bien moins conce­voir que les hommes s’en ser­vi­raient, et ceci nous démontre avec une cruelle évi­dence que le mou­ve­ment ouvrier a encore bien peu fait pour l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse appe­lée à prendre les armes. Le long mar­ty­ro­loge du pro­lé­ta­riat est cepen­dant encore là pour crier l’ur­gence et la néces­si­té d’une telle pro­pa­gande ! Qui dira jamais l’ul­time pen­sée de cha­cun de ces mar­tyrs se sen­tant tou­ché à mort par la balle du sol­dat bourreau ?

Qui dira jamais aus­si la réac­tion sen­ti­men­tale, la révolte de conscience du sol­dat de vingt ans devant les convul­sions d’a­go­nie de celui qu’il vient de tuer sur l’ordre d’un chef criminel ?

Dans cette tra­gique escar­mouche de la lutte des classes le seul vrai res­pon­sable, c’est l’o­dieux régime de la bour­geoi­sie, où quoi qu’il en coûte, force doit res­ter à la loi.

Eh bien ! quoi­qu’il fasse, pour aus­si san­gui­naire qu’il se montre, il n’é­chap­pe­ra pas au sort qui l’at­tend. Le pro­lé­ta­riat vain­queur se sou­vien­dra de cette longue his­toire par­se­mée de Dra­veil, de Ber­lin, de Genève et de tant d’autres crimes de cette nature.

Il s’en fal­lut de peu, d’ailleurs, que le châ­ti­ment ne vienne sitôt le crime com­mis. Sai­sie de panique, la fas­ciste bour­geoi­sie gene­voise n’eut qu’une seule pen­sée : pro­cla­mer l’é­tat de siège et mobi­li­ser. Elle ne fai­sait, en cela, que suivre les exemples de ses sem­blables des autres pays.

La riposte que nous atten­dions ne s’est pas fait attendre, les sol­dats ont fra­ter­ni­sé sui­vant, eux aus­si, des exemples qui font l’hon­neur de la classe ouvrière encasernée.

Sans doute connaî­trons-nous encore des fusillades, mais la rébel­lion des sol­dats suisses criant leur dégoût aux offi­ciers, bri­sant leur fusil avant de péné­trer dans la caserne, nous démontre avec l’é­vi­dence la plus abso­lue et la plus récon­for­tante que nous ne pour­sui­vons pas un vain but.

Un jour vien­dra, et peut-être à la suite d’es­car­mouches sem­blables, où les tra­vailleurs enré­gi­men­tés ne se conten­te­ront plus de crier leur haine et de bri­ser leurs fusils. Sur les traces des sol­dats d’Oc­tobre ils met­tront un terme à ce régime de misère et de sang.

Ce jour-là nos mar­tyrs seront rude­ment vengés.

Mais en atten­dant ce moment, vers lequel convergent toutes les espé­rances du pro­lé­ta­riat, la bour­geoi­sie conti­nue à assou­vir ses pen­chants criminels.

Non contente d’a­voir mas­sa­cré des inno­cents elle veut à toutes forces trou­ver des res­pon­sables, pour frap­per encore.

Après le, glaive, la loi. Une meute de poli­ciers par­court le pays. Les mili­tants ouvriers, les sol­dats ayant refu­sé de tuer, sont tra­qués comme des bêtes sauvages.

La grande presse d’in­for­ma­tion d’i­ci et d’ailleurs exulte. Elle donne avec com­plai­sance le détail de ces pour­suites ignobles en y ajou­tant de temps à autre quelques com­men­taires qui tra­hissent sa satis­fac­tion de pou­voir mettre en lumière, les moyens et la volon­té de répres­sion de la classe au pouvoir.

Nul doute que les juges, jaloux des lau­riers des chefs mili­taires, vont condam­ner avec féro­ci­té. Ce n’est que quand des années de pri­son, et peut-être de bagne, auront été dis­tri­buées aux pré­su­més res­pon­sables de l’é­meute et de la rébel­lion, que la bour­geoi­sie s’es­ti­me­ra satisfaite.

Qu’elle tue ou qu’elle condamne, elle nous doit des comptes.

Elle nous les rendra.

[/​J. de Groote

(Le Liber­taire)/​]

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