La guerre est inévitable.
C’est ce que les derniers événements nous enseignent.
Si le conflit ne s’est pas déclaré, il faut en rechercher la raison dans le degré de préparation insuffisant de certains impérialismes, dans le manque d’homogénéité du bloc dit « démocratique », dans les conséquences de la crise intérieure en France et en l’U.R.S.S. Quelles que soient les politiques préconisées par l’une ou l’autre fraction de l’opinion — opinion fabriquée et orientée par des groupes capitalistes ou diplomatiques — elles aboutissent à la guerre. Leurs nuances peuvent signifier que le délai qui nous sépare de la conflagration est élastique, que le répit qui nous est laissé sera plus ou moins long, évaluable en semaines, en mois, ou même en années. Quant à l’inéluctabilité du choc, elle est hors de doute.
Ce qui nous sauve momentanément, c’est l’action de certaines fractions bourgeoises, représentées par Chamberlain en Angleterre, par Flandin en France.
Les journaux de droite sont seuls à parler de prudence, voire de paix.
Cela ne veut pas dire qu’ils soient pacifistes, mais les intérêts de classe qu’ils défendent tiennent les intérêts nationaux en bride.
(Ces termes n’ont plus de sens, mais il ne peut être question de nous forger un nouveau vocabulaire en ce moment.)
L’idée essentielle, centrale, de l’Union sacrée est acceptée par tous ; il ne s’agit pour le moment que de maquignonnages ultimes qui disparaîtront le jour de la mobilisation.
Si les marchands de canons sont pacifistes pour le moment, pacifistes jusqu’à la guerre exclusivement, et pour des raisons opportunistes et momentanées, les organisations qui se réclament du prolétariat sont patriotes, chauvines, jusqu’au-boutistes,
Blum appelle la nation française à l’Union sacrée.
Cachin, Thorez et Péri demandent l’intervention immédiate en Espagne.
Jouhaux accepte la mobilisation en temps de paix des cinq millions de syndiqués pour activer la préparation matérielle de la défense nationale.
Certains chefs de l’émigration italienne ont été appelés au ministère pour la question de l’utilisation des partis « antifascistes ».
Le Front populaire, non seulement en France, mais dans le monde, pousse à la guerre, l’appelle à grands cris, mène la campagne pour son déclenchement.
Et le bon peuple de France marche. Par la presse, la radio, le ciné, les meetings, les affiches, il est emporté, chauffé, livré.
La Lituanie l’émeut, l’Autriche de Schuschnigg le fait pleurer, la Chine de Tchang-Kaï-Chek le prend au ventre, l’Espagne de Négrin le fait souffrir, mais par-dessus tout le vieux patriotisme se réveille en lui, s’empare de son corps et de son cerveau par mille moyens.
Les fanfares le mèneront au pas jusqu’aux tranchées.
Nous payons.
Nous payons les quinze ans de bolchevisation du mouvement ouvrier, nous payons les quarante ou cinquante ans d’alliance avec la pourriture démocratique. Nous payons les années de manœuvres et de combines dans nos rangs, nous payons les tactiques louvoyantes, nous payons les doctrines d’opportunisme. Nous payons notre attachement à des formules, à des idées et à des phraséologies creuses, vides, insensées.
Et les grandes organisations officielles du prolétariat ne sont pas seules en cause.
Chez les trotskystes existe la croyance folle en une Russie défendable, chez les anarchistes il reste des espoirs en une Espagne colonisée par Moscou, chez les socialistes révolutionnaires le virus démocratique sévit encore, chez les pacifistes le vent des paroles continue à remplacer l’action. Que de projets grandioses sont sortis de comités squelettiques, ont berné, endormi les meilleurs en les faisant s’agiter dans le vide : plans constructifs de la paix, rassemblements universels d’orateurs et tant d’autres fumisteries !
La réalité vient crever les bobards, fait crouler les châteaux de cartes, broie les entreprises idéalistes des faiseurs de thèses et des pantouflards.
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Nous ne voulons pas jouer les prophètes de malheur, mais nous voulons voir clair, c’est notre dernière force.
Nous nous retrouvons nus devant le massacre.
Devant le monde en folie nous restons fidèles au socialisme, nous restons fidèles à ceux d’en bas, à ceux qui, demain, seront assassinés.
Nous nous refusons à la guerre, parce qu’elle est issue de tous les calculs sordides et présidée par la Bêtise.
La seule trahison serait de marcher.
Le reste est mensonge, duperie ou complicité.
Socialistes et révolutionnaires nous ne serons ni dupes ni complices.
Aussi longtemps que nous aurons foi dans le socialisme, non seulement par raisonnement et par le dépouillement des statistiques, mais parce que ce socialisme fait partie de nous et de notre confiance dans les hommes, nous lutterons.
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