La Presse Anarchiste

Automatisme

Obsé­dés, maniaques, dont tics ou lubies prêtent à rire quand ils n’exas­pèrent pas sont vic­times d’un auto­ma­tisme irrai­son­né ; artistes, savants, vieillards sont pareille­ment sujets à des misères psy­cho­lo­giques, ran­çon d’ef­forts pénibles ou d’un labeur pro­lon­gé. Vraies machines à cal­cu­ler, de véné­rables mathé­ma­ti­ciens addi­tionnent, divisent, mul­ti­plient inlas­sa­ble­ment ; sinus, cosi­nus, racines car­rées, racines cubiques hantent leur cer­veau même à table, même en rêve ; hommes et choses ont qua­si dis­pa­ru pour eux, ils vivent, dans un monde de courbes et de théo­rèmes. Pour le musi­cien l’u­ni­vers se réduit à des sons ; pour le peintre à un ensemble har­mo­nieux de lignes et de cou­leurs ; tout est jugé par le labou­reur sous l’angle de l’a­gri­cul­ture, par le péda­gogue sous celui de l’é­du­ca­tion ; le bra­con­nier a l’ob­ses­sion des gardes-chasse et le par­le­men­taire celle des élec­teurs. Habi­tudes pro­fes­sion­nelles, défor­ma­tions impo­sées par le milieu, par la fonc­tion, plis divers contrac­tés au cours de l’exis­tence deviennent des entraves qui para­lysent la volon­té. Rares sont les indi­vi­dus dont la puis­sance per­son­nelle s’a­vère saine, forte, réflé­chie. Ins­tincts, réflexes, sen­ti­ments, idées n’ar­rivent pas, chez le grand nombre, à se coor­don­ner par­fai­te­ment ; dans maintes vies, nulle mani­fes­ta­tion appa­rente ne décèle l’exis­tence d’une acti­vi­té rai­son­née. Quel­que­fois jamais consti­tuée, car elle résulte d’un long pro­ces­sus qui peut s’ar­rê­ter avant d’at­teindre son com­plet déve­lop­pe­ment, elle s’é­va­nouit dans d’autres cas ou régresse vers des formes sim­pli­fiées. Et, chez le plus nor­mal, l’éner­gie volon­taire ne se mani­feste que dans les déci­sions qui impliquent res­pon­sa­bi­li­té, risque ; elle n’in­ter­vient pas dans les actes ordi­naires, mar­cher, man­ger, s’as­seoir, fumer, par­ler, écrire. Ces der­niers résultent de méca­nismes, mon­tés non sans peine par le bam­bin ; rap­pe­lons-nous l’ef­fort qu’exigent ses pre­miers pas, les pre­miers mots qu’il pro­nonce, sa pre­mière page de bâtons. Avant de pos­sé­der à fond la tech­nique d’un ‘métier ; d’une pro­fes­sion, le jeune homme éprou­ve­ra encore de dures fatigues ; le pia­niste devra s’exer­cer long­temps, pour obte­nir un doig­té par­fait, le sculp­teur pour manier dex­tre­ment le ciseau.

[/​L. Bar­be­dette/​]

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