La Presse Anarchiste

Du haut de mon mirador

Le paci­fiste René Gérin a béné­fi­cié d’une remise com­plète de peine et notre ami, le non moins paci­fiste Féli­cien Chal­laye a été acquit­té par le tri­bunal chargé d’ex­am­in­er son activ­ité lit­téraire sous l’oc­cu­pa­tion. Nous nous réjouis­sons de ces deux nouvelles.

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Les Temps Mod­ernes d’oct-sep­tem­bre ont con­sacré tout leur fas­ci­cule ― 382 pages ― à la vie aux États-Unis ; ce fas­ci­cule con­tient plusieurs pages où il est ques­tion de la pop­u­la­tion de couleur dont l’ex­is­tence pose un prob­lème social, démo­graphique et éthique dont la solu­tion reste à décou­vrir. Un des arti­cles dont s’ag­it par­le du sno­bisme de la couleur à l’in­térieur de la com­mu­nauté noire. Il y a des noirs très clairs et des noirs très fon­cés ; or, dans maints cas, les noirs préfèrent la fréquen­ta­tion des nègres très clairs et encour­a­gent leurs enfants à en faire autant. C’est surtout dans le choix qu’ils font de leurs com­pagnes que se man­i­feste ce gout de la peau claire ou très claire. Que le préjugé de la peau claire existe chez les blancs, cela cadre assez bien avec leur orgueil et leur pré­ten­tion à se croire la races supérieure, mais chez les noirs ? Qu’il s’agisse de noirs, de blancs, de jaunes, de rouges, on se heurte tou­jours à un préjugé, à un sno­bisme d’un genre ou d’un autre. Et quand on désar­tic­ule ce sno­bisme-ci et qu’on analyse ce préjugé-là, il s’avère plus que ridicule, plus qu’ab­surde, plus qu’ir­raison­né ! L’ac­quis intel­lectuel, l’ac­croisse­ment des con­nais­sances, qui devaient logique­ment con­tribuer à détru­ire les préjugés et les sno­bismes ne ser­vent qu’à rem­plac­er ceux qu’ils abat­tent par d’autres qui ne valent pas mieux.

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Un autre arti­cle de ce même fas­ci­cule par­le de la mom, la femme-épouse, la femme-mère, la femme-élec­trice, la femme désœu­vrée, pour le bien-être de laque­lle le mâle améri­cain sue et trime, et fait pis, à l’oc­ca­sion. L’au­teur Philip Wylie ne se mon­tre pas ten­dre pour les objets de ce culte. « La pre­mière appari­tion de gra­cieuse mom au scrutin coïn­ci­da en gros avec un nou­v­el abaisse­ment de la moral­ité publique con­duisant au gangstérisme, à la canail­lerie, à l’av­ilisse­ment poli­tique, aux con­flits du tra­vail à la bru­tal­ité des monopoles, la dégénéres­cence, à la cor­rup­tion civique, à la con­tre­bande, au traf­ic d’in­flu­ences, au meurtre, au vol, à l’ho­mo­sex­u­al­ité, à l’ivrogner­ie, à la crise finan­cière, au chaos et à la guerre »… Philip Wylie a été employé dans un grand mag­a­sin. « J’ai vu — écrit-il ― les rich­es et les pau­vres, les bien habil­lées et les mis­érables, les instru­ites et les illet­trées tir­er sur les coupons entassés, jour après jour, tirant et pous­sant, se marchant sur les pieds, écar­tant cha­peaux, coif­fures et lunettes, caque­tant, hurlant, vocif­érant et jouant du coude, sans aucune dif­férence de com­porte­ment à quelque milieu qu’elles appar­ti­en­nent. Je les ai vues faire délibéré­ment per­dre la tête et leur emploi à de pais­i­bles employés et se van­ter ensuite du suc­cès de leur strat­a­gème. Je les ai vues trich­er et vol­er et men­tir et enrager et frap­per et harcel­er et pren­dre la fuite. Non pas quelque­fois seule­ment, mais semaine après semaine, et pas seule­ment quelques femmes, mais des mil­liers et des mil­liers et des mil­liers venant de partout. » « C’est d’une défail­lance du mâle » que naquit la femme en pan­talon et la papauté de la femme, sug­gère Philip Wylie. J’opine, quant à moi, que la femme est ce que l’homme a voulu qu’elle soit : une imi­ta­tion de lui-même, car­i­cat­u­rale­ment parlant.

D’ailleurs, la femme améri­caine n’est pas tou­jours une « mom ». Il en est d’i­nadap­tées, i1 en est de rebelles à l’emprise de leur milieu, il en est qui ne veu­lent ni domin­er, ni imiter l’homme et qui ne s’imag­i­nent pas être dev­enues leur égale parce qu’elles boivent des cock­tails, ont leurs pro­pres clubs, fument et por­tent pan­talons. En écrivant ceci je pense à Fan­ny Wright qui esti­mait ridicule le vête­ment féminin de son époque et ne le rem­plaçait pas par l’inesthé­tique livrée mas­cu­line, dont le procès n’est plus à faire. Elle se vêtait à la grecque, cos­tume rationnel et gra­cieux, celui-là ; je vous ren­voie aux représen­ta­tions qui nous en restent pour en juger.

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Arrivera-t-on à déter­min­er volon­taire­ment le sexe, à pro­duire femelles et mâles humains à volon­té ? Sera-ce en séparant chim­ique­ment ou physique­ment les deux caté­gories de sper­ma­to­zoïdes pro­duc­teurs de garçons ou de filles pour effectuer ensuite des insémi­na­tions arti­fi­cielles avec la semence con­ven­able­ment pré­parée ? Sera-ce en soumet­tant, avant la con­cep­tion, l’un ou l’autre des géni­teurs à cer­tains traite­ments ou régimes ? Sera-ce par un autre procédé ? Je ne sais pourquoi cela ne me dit rien qui vaille. Mal­gré la pré­dom­i­nance, à la nais­sance, (et à la nais­sance seule­ment) des garçons sur les filles (pré­texte invo­qué), je songe que la guerre absorbe beau­coup, beau­coup d’élé­ments masculins.

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L’Inde n’est pas seule­ment agitée par la ques­tion de son indépen­dance, un autre prob­lème sol­licite l’at­ten­tion des Indi­ens : ce qu’on appelle là-bas les « mariages iné­gaux ». Une réfor­ma­trice sociale a présen­té à l’Assem­blée lég­isla­tive de la province de Bom­bay un « bill » inter­dis­ant toute union d’hommes ayant dépassé 45 ans avec des femmes n’ayant pas atteint leur dix-huitième année. Il paraît que ces derniers temps les mariages entre hommes âgés et jeunes filles à peine nubiles jouis­saient d’une vogue assez con­sid­érable, fait qui n’est pas nou­veau. Bien que cer­tains États indi­ens comme le Mysore, le Bar­o­da, le Kolalt aient adop­té l’in­ter­dic­tion légale du mariage iné­gal, le pro­jet de Mme Lilavati Moun­shi ren­con­tre une cer­taine oppo­si­tion : les uns objectent qu’il restera lois­i­ble à un homme de 44 ans d’épouser une jeune fille de 15 ou 16 ans (ce qui détru­it le but recher­ché), les autre que la mise en appli­ca­tion de la loi pro­jetée favoris­era les unions illé­gales et les liaisons illicites avant le mariage, d’autres encore procla­ment la lib­erté pour la jeûne fille de se mari­er arec qui lui con­vient, sans égard pour l’âge. Et comme les musul­mans ne veu­lent pas enten­dre par­ler d’une sem­blable loi, quelques-uns red­outent la con­ver­sion de plusieurs Indi­ens à l’Is­lam. D’ailleurs la pra­tique de la polyg­a­mie mas­cu­line est actuelle­ment fort attaquée dans la grande pénin­sule, bien que ses racines plon­gent dans des textes religieux immé­mo­ri­aux — n’at­tribue-t-on pas au seigneur Krish­na 16.000 épous­es, record jamais atteint dans aucune mytholo­gie ? Jusqu’i­ci la bigamie n’est défendue qu’a la femme indi­enne, non à l’homme, sous peine d’un empris­on­nement de sept ans.

Il est évi­dent que la sit­u­a­tion de la femme dans l’Inde la main­tient dans un état patent d’in­féri­or­ité sociale. Les mod­i­fi­ca­tions légales amélioreront-t-elles sa con­di­tion ? M’est avis que c’est surtout une ques­tion d’éducation.

D’autre part, une jour­nal­iste indi­enne est, elle, d’avis que si la polyg­a­mie est un phénomène tout à fait naturel, la polyan­drie est un état de société tout à fait jus­ti­fi­able. Tout homme, selon elle, a besoin de trois femmes : la pre­mière comme com­pagne intel­lectuelle, l’autre comme com­pagne « physique », la troisième comme amuseuse ou hôtesse quand il fait la fête. Il en est de même pour toute femme, qui a besoin 1° d’un com­pagnon de bonne humeur pour l’escorter dans ses dis­trac­tions, 2° d’un com­pagnon d’in­térieur, bon mari et père patient, 3° enfin d’un com­pagnon lui four­nissant la pâture intel­lectuelle. Elle croit que vivre dans une société où s’af­firmerait ce point de vue serait préférable à celle où les hommes se bat­tent par rival­ité et les femmes se crêpent le chignon par jalousie.

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Pen­dant que nous sommes sur ce chapitre men­tion­nons le mariage du fameux et sep­tu­agé­naire Father Divine, le Dieu ou Messie noir du quarti­er nègre de New-York, avec un « ange blond » de 21 ans ― en lan­gage pro­fane, une Cana­di­enne illu­minée de la Colom­bie bri­tan­nique. Comme « Divine » a tou­jours mis en garde ses dis­ci­ples ― qui le croient immor­tel ― con­tre les séduc­tions du sexe, il s’est empressé d’ex­pli­quer que son mariage n’avait rien de com­mun avec les fan­taisies, les ten­dances, les plaisirs humains. « L’ange blond » a déclaré de son côté n’avoir pas épousé un un homme, mais l’ag­neau de Dieu ! Father Divine a d’ailleurs « annon­cé à ses adeptes que sa pre­mière femme, du haut du ciel, avait approu­vé cette union. » Et voilà où l’on en est à l’âge atomique !

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Le vide inter­stel­laire n’ex­iste pas : l’e­space inter­stel­laire est non seule­ment occupé par des nuages absorbants com­posés de pous­sière fine­ment divisée, qui vont jusqu’à « effac­er » les étoiles ou en mod­i­fi­er la lumière ― mais égale­ment ― out­re cette matière solide, par un gaz extrême­ment dilué, con­tenant des atom­es d’hy­drogène, d’oxygène, d’a­zote et de métaux tels que le sodi­um, le cal­ci­um, le fer. Mal­gré qu’on estime à un atome par cen­timètre-cube la den­sité de la matière stel­laire on a cal­culé que le vol­ume de l’e­space est tel que la masse de pous­sière et de gaz qui se trou­ve entre les étoiles est à peu près aus­si grande que toute la masse con­cen­trée en étoiles vis­i­bles. (On se base sur ce fait qu’é­tant don­né les dis­tances énormes qui sépar­ent les étoiles, on trou­ve, par exem­ple, qu’un vol­ume d’e­space ayant pour ray­on la dis­tance de l’é­toile la plus proche con­tient une masse égale à peu près au quart de celle du soleil).

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« L’iniq­ui­té, l’outrance, la sot­tise, la mau­vaise foi, le men­songe : tout cela nous ne le voyons pas quand cela regarde du même côté que nous. » Écrivait tout récem­ment Jean Ros­tand. Ce qu’il y a de ter­ri­ble est que tout cela est humain, très humain, trop humain et que la majorité, l’im­mense majorité des hommes, isolés ou groupés, du céna­cle minus­cule à l’énorme nation, est tou­jours prête à accuser le prochain, le mem­bre du groupe­ment voisin, la nation d’outre-fron­tière de tout cela, alors qu’elle le pra­tique com­muné­ment et quo­ti­di­en­nement. Répudi­er l’iniq­ui­té dans ses rap­ports avec autrui, dénon­cer l’outrance, rejeter la sot­tise, s’ab­stenir du men­songe, agir de faon à ce qu’on ne puisse soupçon­ner notre bonne foi, ― bref l’idéal de « l’in­di­vid­u­al­iste à notre façon » ― ne croit-on pas que si l’on pra­ti­quait tout ceci, la vie en société ne serait pas différente ?

[/Qui Cé/]


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