La Presse Anarchiste

En marge des compressions sociales

Les Doukhobors

On nous com­mu­nique le pro­to­cole de l’As­sem­blée géné­rale des Dou­kho­bors (Fils de la Liber­té) tenue le 14 mars 1930. S’y trou­vaient réunis des Dou­kho­bors de Por­to Rico, de la Colom­bie bri­tan­nique, du Cana­da. On s’est clai­re­ment ren­du compte que les Dou­kho­bors étaient d’ac­cord sur les points suivants :

« 1. — La base du Dou­kho­bo­risme est la loi divine. — La Foi et l’Es­pé­rance mani­fes­tées par l’A­mour : « Faites aux autres ce que vous vou­driez qu’on vous fit ». Le fort doit aider le faible afin de deve­nir égal à lui, accom­plir la volon­té de Dieu et le com­man­de­ment du Christ. Un Dou­kho­bor aime le monde entier et honore tous les hommes comme ses frères.

2. — Un Dou­kho­bor ne tue pas ― ni par le fait, ni par la parole, ni par le silence. Détruire quoi que ce soit lui paraît inique. Tout objet indi­vi­duel a une vie propre et c’est pour­quoi Dieu, spé­cia­le­ment, est en l’homme. II n’est pas admis­sible d’ô­ter la vie à l’homme ou aux ani­maux, quelles que soient les lois humaines invoquées.

3. ― Un Dou­kho­bor n’ex­ploite pas ― ni par le fait, ni par la parole, ni par le silence. II ne s’ap­pro­prie pas la terre ; il ne réduit pas en ser­vi­tude, à cause d’elle, ni les hommes ni les ani­maux. Un Dou­kho­bor n’ac­cu­mule pas de capi­tal ; il ne pos­sède pas de capi­tal, car il sait que le capi­tal est un moyen d’ex­ploi­ta­tion : « où est votre tré­sor — là est votre cœur ». Un Dou­kho­bor ne fait pas de com­merce ou de cour­tage ; il ne sau­rait être un spé­cu­la­teur ou un patron.

4. — Si la véri­té, la liber­té, la fra­ter­ni­té l’exigent, un Dou­kho­bor quitte sa famille, ses père et mère, sa femme et ses enfants. Une famille de Dou­kho­bors vit fra­ter­nel­le­ment — tous les membres de la famille sur la base d’une com­plète éga­li­té — cha­cun selon ses besoins.

5. — Un Dou­kho­bor vit dans le reon­ce­ment : il est conscient que sa vie dure à jamais, est éter­nelle, et il aban­donne tout ce qui est tem­po­rel, cor­rup­tible, per­son­nel ; il se libère des pas­sions, des dési­rs, des appé­tits, des mau­vaises habi­tudes ; il entre alors dans les rangs de ceux qui luttent et souffrent pour la Véri­té ; de ceux qui, dans tous les temps, aujourd’­hui comme jadis, ont défen­du l’i­déal de la Fra­ter­ni­té Uni­ver­selle. Un Dou­kho­bor se consacre sans par­tage — cor­po­rel­le­ment et spi­ri­tuel­le­ment ― au ser­vice de la Fra­ter­ni­té ― à ses amis.

6. — En se renon­çant, un Dou­kho­bor aban­donne tous ses gains pour le bien du peuple — le fruit de ses peines — accom­plis­sant ain­si le com­man­de­ment du Christ : « Vends tout ce que tu as et suis-moi ».

7. — Mus par le désir de deve­nir de vrais Dou­kho­bors, nous nous sommes unis en une Fra­ter­ni­té Uni­ver­selle — nous nous sommes unis cor­po­rel­le­ment pour vivre les bases spi­ri­tuelles du Doukhoborisme.

« La base de notre exis­tence cor­po­relle est le tra­vail agri­cole — la culture des légumes et des fruits — de façon à sub­sis­ter sur le sol par notre propre travail.

« Pour ins­tau­rer le Royaume de Dieu sur la terre, nous inau­gu­rons un ordre nou­veau de vie fra­ter­nelle où nous nous révé­lons à cœur ouvert les uns aux autres : nous aban­don­nons à l’œuvre et au fonc­tion­ne­ment de la Fra­ter­ni­té Uni­ver­selle l’argent que nous uti­li­sons actuel­le­ment — nous le met­tons à la dis­po­si­tion de tous les Dou­kho­bors du Monde. Toutes nos autres pos­ses­sions sont don­nées à la Fraternité.

« Les pro­duits maté­riels de la Fra­ter­ni­té sont dépo­sés dans une mai­son com­mune pour être dis­tri­bués rai­son­na­ble­ment par­mi les frères et les sœurs, à cha­cun selon ses besoins.

« Un comi­té com­po­sé d’un ou plu­sieurs membres est nom­mé pour gérer cette mai­son com­mune, satis­faire aux néces­si­tés de tous les membres, venir en aide aux malades, aux veuves, aux orphe­lins. L’argent de la Fra­ter­ni­té est confié à ce Comité.

« Les besoins de la Fra­ter­ni­té sont déter­mi­nés par un Soviet ami­cal géné­ral de tous les membres de la Fra­ter­ni­té. — Les bonnes actions l’emportent. — La satis­fac­tion des besoins a lieu selon des bases rai­son­nables telles que : nour­ri­ture simple et saine pour l’en­tre­tien de la vie cor­po­relle et spi­ri­tuelle ; le tra­vail cor­po­rel à four­nir est déter­mi­né par une adap­ta­tion rai­son­nable aux cir­cons­tances où l’on vit ; tous objets de luxe, de sur­plus, d’as­ser­vis­se­ment sont jugés inad­mis­sibles, par la Fra­ter­ni­té et ceux actuel­le­ment en notre pos­ses­sion sont remis à la Fra­ter­ni­té, pour qu’elle en dis­pose raisonnablement.

« L’en­trée dans la Fra­ter­ni­té est basée sur la notion fon­da­men­tale de l’en­tière Liber­té — sur la conscience indi­vi­duelle de chaque can­di­dat — sur le prin­cipe de l’A­mour et de la Rai­son. En cas de vio­la­tion par les membres des notions fon­da­men­tales, des prin­cipes et du bon ordre de la Fra­ter­ni­té, les vio­la­teurs sont livrés à leur propre conscience ; ils ont toute faci­li­té de se repen­tir ou de quit­ter la Fraternité.

« À la base de l’u­nion de l’homme et de la femme, nous pla­çons le prin­cipe de la mère et l’en­fant : confor­mé­ment à la loi natu­relle, nous n’u­ti­li­sons la force sexuelle que pour la pro­pa­ga­tion de notre espèce. La concep­tion et la nais­sance de l’en­fant ont lieu dans la pleine liber­té de la loi natu­relle et nous jugeons impos­sible d’y inter­ve­nir en aucune façon. Le sou­ci de la mère et de l’en­fant, l’é­du­ca­tion de ce der­nier sont l’af­faire de la Fra­ter­ni­té toute entière.

« L’é­du­ca­tion des enfants — autre­ment dit le déve­lop­pe­ment en eux de l’A­mour, de la Rai­son et la mise en liber­té de leurs capa­ci­tés natu­relles — se pour­suit à l’é­cole de la Nature divine : la parole de Dieu est notre livre et notre édu­ca­teur est le Christ. » — les Dou­kho­bors de la com­mu­nau­té chré­tienne de la fra­ter­ni­té uni­ver­selle (Fils de la Liber­té). ― Pour copie conforme : Ana­tole Fomine.

Quelles que soient les diver­gences qui nous séparent des Dou­kho­bors — athées, maté­ria­listes ou anti­chré­tiens que nous puis­sions être — ils nous demeurent émi­nem­ment sym­pa­thiques par leurs efforts inlas­sables en vue d’ac­cor­der leurs théo­ries avec leur vie de chaque jour. Leur exemple peut être cité aux com­mu­nistes de la mise et prise au tas — et aux autres — qui remettent tou­jours à plus tard… la réa­li­sa­tion de leurs décla­ra­tions… de prin­cipe. — E. A.

La Kaverno di Zaratustra

Des nou­velles reçues de Fila­re­to Kaver­ni­do, il appert que leur ins­tal­la­tion n’a pas souf­fert du cata­clysme qui a dévas­té la capi­tale. Se trou­vant au milieu de mon­tagnes éle­vées, bien pro­té­gées des vents, l’ou­ra­gan ne leur a guère fait de mal, sauf d’ar­ra­cher 5 plants de bananes. L’a­dresse est tou­jours : Fila­re­to Kaver­ni­do, la Kaver­no di Zara­tus­tra, Arroya Frio, (Moca) — Répu­blique Dominicaine.

L’Intégrale.

Le Bul­le­tin du 15 sep­tembre est paru. Les culti­va­teurs étant deve­nues auto­nomes, il semble que les recettes de l’im­pri­me­rie consti­tuent main­te­nant la prin­ci­pale res­source en argent liquide de la colo­nie. Le per­son­nel a peu chan­gé. Ce numé­ro contient quelques obser­va­tions sur le dan­ger que pré­sentent l’ad­mis­sion, dans un milieu de ce genre, de pos­ses­seurs de capi­taux rela­ti­ve­ment impor­tants « qui leur donnent, en fait, une cer­taine supé­rio­ri­té sur les autres ».

Les enclaviens

Le numé­ro d’oc­tobre de l’Espoir du Monde nous apprend qu’il existe, prin­ci­pa­le­ment aux États-Unis, une série de grou­pe­ments fon­dés sur les prin­cipes d’Hen­ry George. On sait, que se basant sur cette idée que le pro­duit du tra­vail indi­vi­duel doit appar­te­nir inté­gra­le­ment au pro­duc­teur (les richesses natu­relles et celles dues au tra­vail d’une foule ano­nyme et incon­nue res­tant pro­prié­té col­lec­tive inalié­nable) l’i­déal pour­sui­vi est la répar­ti­tion, non du sol lui-même, mais de son pro­duit brut sous forme de vente. Dans la pra­tique c’est du col­lec­ti­visme liber­taire ou quelque chose y res­sem­blant. Un de ces îlots qui remonte à 1895, dont nous avons par­lé jadis lon­gue­ment dans l’ère nou­velle, est la colo­nie de Fai­rhope, dans l’é­tat d’A­la­ba­ma. Le pro­pa­gan­diste de ce sys­tème, F. War­ren, publie chaque année un annuaire des Enclaves, sous le titre : Enclaves of eco­no­mic rent (Har­vard, Mass).

Liéfra

Le même numé­ro nous donne des nou­velles de la colo­nie socia­liste chré­tienne de Lié­fra, dans l’Aube ; le nombre des socié­taires actuels s’é­lève à 26, dont une par­tie seule­ment — six familles — sont des colons ; les autres sont des amis qui les aident béné­vo­le­ment de leurs contri­bu­tions et leurs avis. La popu­la­tion totale de Lié­fra oscille entre 40 per­sonnes en hiver et 80 en été. Les affaires cou­rantes sont admi­nis­trées par un Conseil que les socié­taires élisent chaque année. Les colons s’oc­cupent presque exclu­si­ve­ment d’a­gri­cul­ture et d’é­le­vage. Pen­dant la belle sai­son, quelques colons reçoivent des pen­sion­naires, ce qui leur pro­cure un petit sup­plé­ment de res­sources en même temps qu’un peu de contact avec le monde extérieur.

On sait que le régime de Lié­fra ― assi­mi­lé à celui des Enclaves — consiste en ce que le ter­rain demeu­rant pro­prié­té de l’As­so­cia­tion, les par­celles en les­quelles il est divi­sé sont louées aux occu­pants au prix de la terre nue ; le pro­duit de la loca­tion devant ser­vir à payer les contri­bu­tions et à des entre­prises d’in­té­rêt géné­ral (c’est le sys­tème de l’im­pôt unique). La répa­ra­tion des bâti­ments est natu­rel­le­ment à la charge de ceux qui les habitent.

La dictature en Argentine

La dic­ta­ture a triom­phé en Argen­tine… Mena­cé d’être fusillé, Die­go Abad de San­tillan a dû tra­ver­ser la Pla­ta et se réfu­gier en Uru­guay. D’autres pro­pa­gan­distes ont fait de même. En pro­vince, on a fusillé sur le champ, sans juge­ment, des ouvriers qui avaient dis­tri­bué des tracts d’op­po­si­tion… La Pro­tes­ta, inter­dite, ne parait plus… Puis tout est ren­tré dans le silence… L’ordre règne à Bue­nos-Aires, comme à Rio de Janei­ro, comme à Saint-Paul, comme il régnait à Varsovie.

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