La Presse Anarchiste

Éros dans le iiieReich

Chapitre iii

La jeu­nesse nazie. — Des « Wan­der­vo­gel »» à la « Hit­ler­ju­gend ». ― Quelques livres révé­la­teur (Sch. Asch, Odon de Hor­vath, H. Blu­cher). ― Le néo-paga­nisme alle­mand. ― la mytho­lo­gie teu­to­nique au faux boud­dhisme. — Hit­ler, véri­table boud­dhiste ! ― La pro­tec­tion des ani­maux et la vivi­sec­tion des hommes. — « L’é­du­ca­tion » de la jeu­nesse hit­lé­rienne. ― Sous « le signe des pois­sons ». — L’ip­sisme. ― Les femmes viri­li­sées. ― Vénus sac au dos. ― Les pseu­do-ama­zones. — Jeunes gens et jeunes filles. ― Com­ment ils aiment. ― Parents et enfants.

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Depuis le drame per­son­nel, mais aus­si sym­bo­lique, du chef des sec­tions d’as­saut, jus­qu’à la grande tue­rie de la seconde guerre mon­diale, —  avec ses hor­reurs qu’au­cun Dante ne sau­rait décrire ― la voie par­cou­rue en quelques années est cepen­dant immense, avec son cor­tège de mons­truo­si­tés et de catas­trophes. Nous ne pou­vons rap­pe­ler ici que cer­tains aspects des per­ver­sions morales et sexuelles qui se sont mani­fes­tées au sein des jeunes géné­ra­tions alle­mandes, sous toutes les formes pos­sibles de vio­lence, de haine et de des­truc­tion — à peine voi­lées par des dogmes absurdes, des mots d’ordre mena­çants, pareilles aux exci­ta­tions pro­di­gués aux chiens qu’on veut lan­cer sur le gibier : devises de meur­triers qui vou­laient assu­jet­tir leur propre peuple, dépouiller et mas­sa­crer toutes les nations qui ne se sou­met­taient pas aveu­glé­ment a leur orgueil et à leur fré­né­sie de « domi­na­teurs élus », de chefs et de guides, conduits eux-mêmes par le chef suprême d’une folie col­lec­tive, vrai­ment popu­laire, diri­gée par la bureau­cra­tie et le mili­ta­risme hyper­tro­phié d’un État totalitaire !

Pour com­men­cer, rap­pe­lons l’exis­tence de la jeu­nesse alle­mande, cette Hit­ler­ju­qend qui dépas­sa de beau­coup le fameux mou­ve­ment appe­lé Wan­der­vo­gel (« Oiseaux de pas­sage »), for­més de groupes d’a­do­les­cents alle­mands des deux sexes qui s’en allaient à n’im­porte quelle occa­sion, en excur­sion, menant une vie « libre, saine et ami­cale ». Les prin­cipes édu­ca­tifs, éthiques, spor­tifs, etc, de ces groupes ne sont plus ceux des scouts de l’a­vant-pre­mière guerre mon­diale, tels que les ont connus l’An­gle­terre, la France, l’A­mé­rique. Ces groupes sont mili­ta­ri­sés. Leur « dis­ci­pline » est subor­don­née à une idéo­lo­gie poli­tique de par­ti qui pré­pare les cadres de par­ti­sans fana­tiques, de com­bat­tants prêts à accom­plir sur l’ordre de leurs chefs n’im­porte quelles actions « héroïques » — qui ne dif­fèrent en rien des atten­tats com­mis par les asso­cia­tions de ban­dits de grand che­min ou les assas­sins à gages per­pé­trant les for­faits les plus abjects.

Il existe dans ce domaine une riche lit­té­ra­ture. Cer­tains romans, de vraies chro­niques basées sur une abon­dante docu­men­ta­tion idéo­lo­gique, psy­cho­lo­gique et tac­tique, sont extrê­me­ment ins­truc­tifs. Rap­pe­lons le long roman de Sha­lom asch : Der Krieg geht wei­ter (La guerre contine) consa­cré en grande par­tie à la période d’a­près-guerre de l’Al­le­magne vain­cue et revan­charde (1920 – 1932) et aux symp­tômes raciaux qui devaient abou­tir au mas­sacre des Juifs (1939 – 1945). La jeu­nesse hit­lé­rienne est ici repré­sen­tée par les types les plus mar­quants, non seule­ment sur le plan poli­tique et ultra-chau­vin, mais encore dans sa « concep­tion » de la vie sociale et éro­tique. Une scène révé­la­trice est celle de l’i­ni­tia­tion d’un ado­les­cent à la « mys­tique » de l’a­mour mas­cu­lin an cours d’une nuit sombre, dans une forêt : l’un des chefs donne enfin au fré­mis­sant novice le bai­ser viril, pas­sion­né et bes­tial jus­qu’au sang.

Cette Hit­ler­ju­gend mena jus­qu’à l’ex­trême les pra­tiques anor­males de l’an­cien Wan­der­vo­gel, au sujet duquel Hans Blu­cher avait écrit en 1912 un livre qui ren­ferme tout dans son titre : Le mou­ve­ment Wan­der­vo­gel comme phé­no­mène éro­tique. Contri­bu­tion à l’é­tude de l’in­ver­sion sexuelle.

Par­mi les nou­veaux romans rela­tifs aux années de la domi­na­tion nazie (1933 – 1939), nous men­tion­ne­rons, pour son dyna­misme, pour les tableaux qui se suc­cèdent ciné­ma­to­gra­phi­que­ment, et pour ses dia­logues étin­ce­lants et « savou­reux », Jeu­nesse païenne, par Odon de Hor­vath, un écri­vain émi­gré qui eut une fin tra­gique à Paris.

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Avant d’ex­traire quelques scènes de ce roman, nous pré­ci­sons que le née-paga­nisme alle­mand est en fait un retour à un pri­mi­ti­visme exal­té — à cette sau­va­ge­rie dégui­sée qui ne renonce pas aux appa­rences de la « science » meur­trière, de la culture dog­ma­tique, de la tech­nique mono­po­li­sée par l’É­tat dans des buts guer­riers. Thor, Odin-Wotan et les autres dieux nor­diques sont trop « purs », c’est-à-dire trop natu­rels pour l’é­poque où ils furent engen­drés par l’i­ma­gi­na­tion pri­maire, ins­tinc­tive, par les sens avides des bar­bares vêtus de la four­rure des bêtes tuées dans les « forêts noires » de l’Al­le­magne. Pour les « païens » d’au­jourd’­hui, les dieux anciens des Teu­tons sont seule­ment des masques sous les­quels se cachent les visages équi­voques, sou­vent dégé­né­rés, des géné­ra­tions tour­men­tées vivant entre les deux guerres mon­diales. Le sens immé­diat de ce vague paga­nisme impul­sif, qui confond la haine avec l’a­mour, le geste cri­mi­nel avec l’ac­tion noble et créa­trice, c’est l’an­ti-chris­tia­nisme ― mais insé­pa­rable de cette pana­cée par laquelle tant de gens vou­laient gué­rir le monde de tous les maux et qui, autre­ment dit, s’ap­pelle « antisémitisme ».

Cela n’empêche pas les néo-paga­nistes de se diri­ger à tâtons, dans leur vide moral, vers ces reli­gions asia­tiques où ils croient trou­ver une confir­ma­tion du pos­tu­lat aryen et de la chi­mé­rique pure­té de race. Ain­si le pro­fes­seur Wil­helm Hau­ser, le chef du mou­ve­ment appe­lé « La foi alle­mande » a atta­qué le Ser­mon sur la Mon­tagne, dénon­çant son éthique toute de dou­ceur et de rési­gna­tion, étran­gère à l’âme alle­mande. Cet apôtre du paga­nisme alle­mand est un ancien mis­sion­naire aux Indes, conver­ti au boud­dhisme (lequel ? car il existe des cen­taines de sectes et de nom­breux rites et dogmes dans la jungle de la mytho­lo­gie hin­doue). « La foi alle­mande » plus exac­te­ment « le manque de foi » mène loin, même au boud­dhisme. Mais le vrai boud­dhisme est l’ex­pres­sion d’une éthique inac­ces­sible aux « sau­va­ge­ries de la culture » occi­den­tale. Un autre pro­fes­seur confu­sion­niste, Berg­mann, fai­sait pour le boud­dhisme une pro­pa­gande tout aus­si logique et achar­née que celle de Hauer, sou­te­nant que Hit­ler était un véri­table boud­dhiste, parce qu’il était… végé­ta­rien, ne fumait pas, ne buvait pas d’al­cool, etc.

Mats le pro­fes­seur néo-boud­dhiste oubliait que cet « abs­ti­nent » total était la proie d’une soif inex­tin­guible de pou­voir que pou­vaient seule­ment apai­ser, de temps a autre, le sang ver­sé et les crises de des­truc­tion. « Un boud­dha moderne », c’est ain­si qu’o­sa nom­mer Hit­ler un Herr Pro­fes­sor, féru de lettres, mais en même temps objet d’un ser­vi­lisme néfaste : celui « des clercs qui ont tra­hi ». Car, selon ce pseu­do-savant (cf. l’en-dehors, février et mars 1935), le Füh­rer aurait pro­mul­gué cer­taines lois qui inter­di­saient la cruau­té envers les ani­maux, ce qui ne n’empêcha pas de faire dis­sé­quer sur le vif, par ses légions de bour­reaux et de tech­ni­ciens des mil­lions d’hommes qui n’a­vaient que le tort d’ap­par­te­nir à une autre race, à une autre reli­gion, à une autre natio­na­li­té ! Cela, certes, pour le bien des « recherches scien­ti­fiques » ; (de même que ta vivi­sec­tion des ani­maux — car la véri­té est qu’en Alle­magne nazie, la pro­pa­gande par­ti­cu­lière pour la pro­to­tec­tion des ani­maux était défen­due)… « Il faut être fort ! Il faut être impi­toyables ! » Voi­là où mène le néo-paga­nisme indi­gène ou emprun­té, gref­fé sur un cer­veau intoxi­qué de haine et d’or­gueil, implan­té en une âme pos­sé­dée par des pas­sions déna­tu­rées et par le rêve insen­sé et sans bornes de la domi­na­tion universelle.

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Mais reve­nons au roman si révé­la­teur de « La Jeu­nesse païenne ». Nous ne pou­vons pas l’exa­mi­ner ici ample­ment. Nous repro­dui­rons seule­ment quelques frag­ments qui carac­té­risent la men­ta­li­té de cette jeu­nesse for­mée par une édu­ca­tion spé­ciale. Le centre de l’ac­tion est un lycée de gar­çons. L’un des pro­fes­seurs, le seul qui ait gar­dé sa liber­té de pen­sée, a le cou­rage de dire en classe que les nègres eux-mêmes sont des hommes. Dénon­cé par ses élèves, il est l’ob­jet d’une enquête, sui­vi pas à pas. Aux vacances, il part en excur­sion à la cam­pagne avec son groupe d’é­co­liers. En réa­li­té, il s’a­git d’une période d’ins­truc­tion para­mi­li­taire. Un gar­çon, chez lequel ont trou­vé asile tous les vices de son âge, ron­gé par une curio­si­té mor­bide, tue dans la forêt un de ses cama­rades. Le crime est mis avec per­fi­die sur le compte du pro­fes­seur qui, en fin de compte, réus­sit à démas­quer le meur­trier. Les scènes se déroulent rapi­de­ment, dra­ma­tiques, brutales.

De com­bien de tris­tesse, d’a­mer­tume, de dégoût est sai­si le lec­teur qui croit encore à la pure­té et l’in­no­cence de l’a­do­les­cence ! Ces jeunes gens, vio­lents, cruels, cyniques, les uns domi­nés par la bes­tia­li­té, la plu­part cor­rom­pue, un grand nombre men­ta­le­ment anor­maux, d’une sexua­li­té pré­coce, sont obsé­dés par l’i­do­lâ­trie du par­ti, par les slo­gans de l’or­gueil racial. Ils répètent en chœur les for­mules qui demandent seule­ment un geste pour deve­nir des actions « héroïques » : de la déla­tion à la ter­reur sys­té­ma­tique, des que­relles au crime sadique, tous leurs exploits n’ont d’autre but avoué que le désir de plaire au chef de groupe et, par son entre­mise, au chef suprême, au Füh­rer. Ser­vi­li­té consom­mée par l’am­bi­tion, l’ef­fron­te­rie engen­drée par la haine et le men­songe. Et un orgueil mâle, l’or­gueil du sexe fort, de la cama­ra­de­rie qui n’est qu’une « ser­vi­tude diri­gée » dans toutes les cir­cons­tances, grandes au petites, de la vie sociale et de la vie indi­vi­duelle. Cette exis­tence n’est qu’une paro­die de la dis­ci­pline spar­tiate, alté­rée par des vices patents ou occultes.

La jeu­nesse fas­ciste et nazie vit sous le « signe des pois­sons », comme le disait un prêtre phi­lo­sophe au pro­fes­seur har­ce­lé par ses petits tyrans : « Ain­si donc, vous et moi, mon cher col­lègue, nous repré­sen­tons, depuis le vieil Adam, deux géné­ra­tions, et les gavroches de votre classe repré­sentent, eux aus­si, une géné­ra­tion… Moi, j’ai soixante ans ; vous en avez, vous, presque trente et ces mor­veux en comptent, met­tons qua­torze. Main­te­nant atten­tion ce sont les expé­riences de l’é­poque de la puber­té, sur­tout chez le sexe mas­cu­lin, qui sont déci­sives pour la for­ma­tion géné­rale de toute la vie ».

Pour la géné­ra­tion à laquelle appar­te­nait ledit phi­lo­sophe, le pro­blème le plus impor­tant, et même l’u­nique pro­blème géné­ral de la puber­té, était la femme, mais elle lui fai­sait défaut. De sorte que l’ex­pé­rience la plus frap­pante de ces années-là, c’é­tait l’au­to-satis­fac­tion avec toutes ses consé­quences d’au­tre­fois (san­té bri­sée, etc.). « En d’autres termes, nous nous sommes heur­tés à la femme et nous avons glis­sé dans la guerre mon­diale. Pen­dant votre puber­té, mon cher, col­lègue, la guerre bat­tait jus­te­ment son plein. Les hommes man­quaient et les femmes deve­naient plus accueillantes. Vous n’a­viez pas trop de temps pour pen­ser à vous, parce que l’es­pèce fémi­nine sous-ali­men­tée avait enva­hi votre jeu­nesse. La femme n’é­tait déjà plus une sainte pour votre géné­ra­tion, voi­là pour­quoi ceux de votre âge ne seront jamais heu­reux, parce que dans le coin caché de vos âmes vous lan­guis­sez après la femme pure, sublime, idéale — autre­ment dit vous recher­chez votre propre satis­fac­tion. Cette fois-ci les femmes se sont heur­tées à vous, jeunes gens, et ont glis­sé vers la masculinisation ».

La femme-spor­tive, la femme-sol­dat, la lemme-méca­ni­cien, la femme pleine d’une éru­di­tion sté­rile, autant de « types » qui détruisent l’i­mage, idéale de la fémi­ni­té. « Qui pour­rait être sai­si d’en­thou­siasme à la vue d’une Vénus qui porte le sac au dos ? » s’ex­clame le vieux pas­teur. « Le mal­heur de jeu­nesse d’au­jourd’­hui c’est qu’elle ne sur­monte pas la crise de la puber­té comme il le fau­drait ; l’é­ro­tique, le poli­tique, le moral, tout a été mis dans le même sac et jeté pêle-mêle. En outre, trop de défaites ont été fêtées comme des vic­toires ». Les sen­ti­ments les plus intimes des jeunes gens ont été exploi­tés pour on ne soit quels bobards, alors que d’un autre côté, on leur sert tout sur un pla­teau, ils n’ont qu’à copier ce qui se débite à la radio et ils reçoivent les meilleurs points »… Si les gar­çons lisent encore, ils le font pour avoir de quoi bla­guer. « Ils vivent dans le para­dis de la bêtise et leur idéal est la moque­rie. Bien­tôt il va faire froid, c’est le signe des pois­sons… L’âme de l’homme tend à s’im­mo­bi­li­ser, telles les écailles d’un poisson ».

Quant aux jeunes filles du même âge, voi­là com­ment les voit un gar­çon lors­qu’elles passent en groupes sur la chaus­sée (elles aus­si furent ame­nées en « excur­sion » et obli­gées de recher­cher dans les four­rés le cadavre d’un avia­teur). « Mon­sieur le pro­fes­seur, s’ex­clame tout à coup M., regar­dez ce qui vient de là-bas, cette troupe en marche. » Quelque vingt jeunes filles s’a­vancent au pas mili­taire : « elles portent un lourd sac au dos, et lors­qu’elles sont près de nous, nous enten­dons leur chant. Elles chantent d’une voix aigüe, d’une voix de grillon, des chan­sons mili­taires. B. rit bruyam­ment »… Lorsque les jeunes filles s’ar­rêtent au camp des gar­çons, le pro­fes­seur s’en­tre­tient avec la chef­taine. « Les demoi­selles me regardent fixe­ment, comme des vaches au pacage… À vrai dire, ces créa­tures n’ont rien d’al­lé­chant. Suantes, mal­propres et peu soi­gnées, elles n’offrent pas une image agréable. ». La maî­tresse, devi­nant la pen­sée du pro­fes­seur, lui explique : « Nous ne tenons pas compte des fan­fre­luches, ni autres petits riens ; nous appré­cions plu­tôt le prin­cipe de la réa­li­sa­tion que l’ap­pa­rence… Nous sommes, pour ain­si dire, des amazones…

― Mais, les ama­zones ne sont qu’une légende, alors que vous, vous êtes une réalité.

― Nous sommes de pauvres filles d’Ève mal guidées »…

(à suivre)

[/​Eug. Rel­gis/​]

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