La Presse Anarchiste

Hiver de guerre

Tar­dif, l’hi­ver est appa­ru, tel un convive qu’on n’at­ten­dait plus…
L’hi­ver avec son cor­tège : glace, neige, vents déchaînés
qui vous sai­sissent, vous coupent la res­pi­ra­tion, vous font pleu­rer de douleur.
Le froid règne en maître, péné­trant sous les portes, glis­sant à tra­vers les fentes
des cloi­sons trop minces — le froid que com­bat à peine un soleil éclatant
mais sans force, mal­gré que ses rayons illu­minent l’at­mo­sphère sans nuages.
Impré­pa­rés à cette attaque, les gens se hâtent dans les rues, comme hébétés,
rete­nant leur souffle. Comme si les engins de meurtre ne suf­fi­saient pas à semer la mort,
le froid achève impi­toya­ble­ment une foule d’êtres dont les pri­va­tions ont diminué
la force de résis­tance. Bois et char­bons sont rares, ration­nés qu’ils sont
dans les villes où souffrent déjà tant d’in­no­cents, en proie à la faim.
Misère qui s’a­joute à tant d’autres misères que ce froid adve­nu tardivement !
Il en est qui célèbrent les mâles ver­tus que déve­loppe et entre­tient la guerre,
l’hé­roïque cou­rage qu’elle engendre, l’ha­bi­tude de vivre dan­ge­reu­se­ment qu’elle crée.
Et ils ne manquent pas de termes pour exal­ter les com­bats et les combattants.
Mais moi, je ne suis qu’un paci­fiste, un pauvre paci­fiste bêlant,
et je n’a­per­çois dans le guerre que tue­ries, ruines et destructions,
mépris iro­nique de la vie humaine, réduc­tion tou­jours plus grande de la disposition
de soi, de la liber­té indi­vi­duelle de se com­por­ter ; que source de restrictions
dans tous les domaines de l’exis­tence quotidienne.

La guerre m’ap­pa­rait, à moi, comme une inexo­rable créa­trice de souf­france, de cruauté,
d’ar­bi­traire une folie mons­trueuse. Et si n’é­tait la guerre, l’hor­rible guerre,
ce froid, mau­dit, dont, faute de com­bus­tible, tant de mal­heu­reux ne peuvent se préserver,
ce froid pour­rait se sur­mon­ter, s’at­té­nuer, être ren­du supportable.
Les poêles à feu conti­nu ou non, les sala­mandres, les radia­teurs, les cheminées,
tons ces usten­siles rem­pli­raient leur office et les cer­veaux ne seraient point
para­ly­sés, inca­pables de pen­ser, d’i­ma­gi­ner, de réfléchir…
Il est vrai qu’il existe des pri­vi­lé­giés qui, eux, ne souffrent pas du froid, ou à peine,
et c’est encore là le fait de la guerre…
Mais voi­ci : je ne suis qu’un paci­fiste, un pauvre paci­fiste bêlant ! 

23 lévrier. 1944.

[/​E. Armand/​]

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