La Presse Anarchiste

La prolongation de la vie selon le Dr Alex. A. Bogomolets

(Suite et fin)

À présent, venons-en au côté posi­tif du prob­lème : pro­longer la vie, c’est pro­longer la capac­ité de crois­sance des cel­lules et leur pou­voir de rem­plac­er les tis­sus usés.

Si nous coupons la tête d’un ver ordi­naire, une tête nou­velle rem­place l’an­ci­enne. Mais à mesure que l’or­gan­isme se com­plique, les pos­si­bil­ités dimin­u­ent de rem­plac­er les par­ties détru­ites. Chez les vertébrés inférieurs, à sang froid, on a égale­ment observé la régénéra­tion d’or­ganes entiers (queue, nageoires, extrémités et même un œil entier). Chez les ani­maux à sang chaud la régénéra­tion n’est pos­si­ble que dans les lim­ites offertes par cer­tains tis­sus. C’est ain­si que les cel­lules du foie ne peu­vent repro­duire que les cel­lules du foie.

Cepen­dant, même chez l’homme et les ani­maux supérieurs, la régénéra­tion se pour­suit durant toute la vie. En dépit de la suc­ces­sion ryth­mique des péri­odes d’ac­tiv­ité et de repos, les cel­lules des organes s’usent gradu­elle­ment. Pour les rem­plac­er, de nou­velles généra­tions de cel­lules appa­rais­sent, engen­drées par les vieilles cel­lules et sem­blables à elles. La mort et le renou­velle­ment des organes et des tis­sus durent toute la vie.

Chez l’homme, en l’e­space de deux mois env­i­ron, tous les glob­ules rouges du sang sont rem­placés. Ce rem­place­ment coïn­cide avec la destruc­tion con­tin­uelle, prin­ci­pale­ment dans la rate, d’une cer­taine quan­tité de glob­ules rouges.

Des mil­lions de cel­lules sont détachées de la peau, lorsqu’en pèlent les couch­es supérieures. La perte des cheveux entraîne égale­ment la perte de nom­breuses cel­lules. Tout comme le mécan­isme du rem­place­ment des muqueuses des organes uri­naires, diges­tives, res­pi­ra­toires. Les cel­lules dis­parues sont rem­placées par de nou­velles cel­lules dans les organes internes.

Le vieil­lisse­ment du cyto­plasme (sub­stance con­sti­tu­tive du noy­au de la cel­lule) est le résul­tat de l’im­puis­sance d’une cel­lule plus âgée à se débar­rass­er de ses micelles albu­mineuses mortes (micelles : menues aggloméra­tions de molécules à l’in­térieur de la cel­lule) et à les rem­plac­er par des cel­lules nou­velles, biologique­ment actives.

Pour la sci­ence con­tem­po­raine le vieil­lisse­ment est l’af­faib­lisse­ment gradu­el des réac­tions cel­lu­laires. Il débute par des mod­i­fi­ca­tions de la sub­stance cel­lu­laire. Il s’en­suit une perte gradu­elle de la capac­ité de repro­duc­tion de la cel­lule, de sa puis­sance de renou­velle­ment de ses élé­ments chim­iques fon­da­men­taux. La celle est pour ain­si dire blo­quée par les gran­u­la­tions plus volu­mineuses, se dévelop­pant à par­tir de son pro­pre cytoplasme.

Au point de vue physi­co-chim­ique, le vieil­lisse­ment de la cel­lule se résume en un épais­sisse­ment des col­loïdes cel­lu­laires, en leur dessèche­ment gradu­el, en l’abaisse­ment de leur activ­ité. La nutri­tion des cel­lules est dérangée et l’i­na­ni­tion com­mence. L’ac­tiv­ité vitale dimin­ue. La vieil­lesse survient, suiv­ie de la mort.

Voici les effets de l’é­pais­sisse­ment des cel­lules : les parois des capil­laires qui trans­portent le sang dans tout l’or­gan­isme sont très minces ; les élé­ments nutri­tifs passent du sang dans les cel­lules et les déchets des cel­lules dans le sang, or, le plus léger dérange­ment dans la per­méa­bil­ité du tis­su con­jonc­tif de la paroi capil­laire suf­fit pour inter­rompre l’ar­rivée des élé­ments nutri­tifs et le rejet des déchets.

La médecine con­tem­po­raine attache trop peu d’im­por­tance aux effets du tis­su con­jonc­tif, en tant que sys­tème phys­i­ologique, sur la longévité. La majorité des médecins regarde le tis­su con­jonc­tif comme un sim­ple tis­su de sou­tien, com­plé­ment élas­tique du squelette. Ils oublient qu’un sim­ple dérange­ment dans la per­méa­bil­ité de la paroi capil­laire ― ce qui se pro­duit au cours de la sclérose du vieil­lisse­ment — mène à l’i­na­ni­tion cel­lu­laire et à l’auto-intoxication.

Les médecins français ont proclamé depuis longtemps qu’un homme a l’âge de ses artères. On pour­rait para­phras­er comme suit ce dic­ton : un homme a l’âge de son tis­su con­jonc­tif. Le com­bat pour la longévité est le com­bat pour un tis­su con­jonc­tif sain.

Des suc­cès par­tiels ont été obtenus par la trans­fu­sion san­guine. La trans­fu­sion du sang pro­duit deux effets : 1° rem­plac­er le sang per­du, 2° agir comme, stim­u­lant. Pour expli­quer cette action stim­u­lante le Dr Alex‑A. Bogo­mo­lets pro­posa, il y a plus de quinze ans, la théorie du choc col­loï­do­clas­tique, laque­lle gagne chaque jour du terrain.

Le choc com­porte un coup, un heurt. Le choc col­loï­do­clas­tique endom­mage les col­loïdes, c’est-à-dire, en ce cas par­ti­c­uli­er, les par­tic­ules d’al­bu­mine qui entrent dans la com­po­si­tion du sang et du cytoplasme.

Durant la trans­fu­sion, des phénomènes élec­triques se pro­duisent (une sorte d’or­age élec­trique) entre les par­tic­ules de pro­téine du don­neur et celles du receveur. En con­séquence, la ten­sion élec­trique de nom­breuses par­tic­ules s’abaisse. Leur sta­bil­ité est moin­dre, elles s’ag­glomèrent, for­ment un pré­cip­ité. Ce pré­cip­ité, qui se com­pose des par­tic­ules les plus vieilles, les moins actives, se dés­in­tè­gre alors.

Ce choc donc affecte les cel­lules, occa­sionne la pré­cip­i­ta­tion des par­tic­ules les plus usées, hâte leur dis­so­lu­tion. Ce phénomène per­met aux cel­lules de se débar­rass­er des vieux élé­ments du cyto­plasme. Il s’ag­it, comme on peut le voir, non seule­ment de la stim­u­la­tion, mais du raje­u­nisse­ment des cel­lules, con­séquence du choc pro­duit par la trans­fu­sion du sang.

C’est en se fon­dant sur cette théorie du choc col­loï­do­clas­tique que le Dr Arkhangel­sky opéra une trans­fu­sion de sang chez un jeune patient dont l’humeur vit­rée (sub­stance trans­par­ente, gélatineuse rem­plis­sant la cav­ité de l’œil située der­rière le cristallin) était dev­enue opaque et auquel la vue n’avait pu être ren­due par les méth­odes ordi­naires de traite­ment. Peu de temps après la trans­fu­sion, des flo­cons com­mencèrent à appa­raître dans le corps vit­reux jusque-là opaque et le globe de l’œil devint translu­cide. Les flo­cons se désagrégèrent alors et dis­parurent sans laiss­er de traces. Le malade avait recou­vré la vue.

L’ef­fet stim­u­lant de la trans­fu­sion san­guine se répand dans tout l’or­gan­isme et, par con­séquent, atteint les cel­lules du tis­su conjonctif.

Cepen­dant, il fal­lait trou­ver autre chose, un sérum ayant un effet plus direct sur le tis­su con­jonc­tif. Pour décou­vrir ce sérum, Alex‑A. Bogo­mo­lets se retour­na vers les enseigne­ments de Met­chinikoff qui, au début du siè­cle, expo­sait que la preuve avait été faite que de petites dos­es de sérums cyto­tox­iques, au lieu de tuer ou dis­soudre les élé­ments spé­ci­fiques des tis­sus, les affer­mis­sent, réac­tion observée d’ailleurs con­cer­nant maints poi­sons qui, pris à fortes dos­es, causent la mort, tan­dis qu’ab­sorbés à petites dos­es, ils guéris­sent et améliorent l’é­tat de cer­taines par­ties de l’or­gan­isme. Par suite, un sérum pos­sé­dant la fac­ulté de dis­soudre les cor­pus­cules rouges du sang aug­mentera leur nom­bre lorsqu’on les utilis­era à petits doses.

Alex. A. Bogo­mo­lets appro­fon­dit cette théorie trente-cinq ans durant. Ce n’est qu’en 1915 qu’il décou­vrit un sérum capa­ble d’a­gir sur les tis­sus con­jonc­tifs. Ses col­lab­o­ra­teurs et lui util­isèrent le sérum cyto­tox­ique dans des cas de can­cer (cyto­tox­ique veut dire tox­ique pour le cyto­plasme ; le terme exact est sérum cyto­tox­ique anti-rectic­u­laire. ou A.C.S.). On a observé que son emploi réduit con­sid­érable­ment les occa­sions de trans­plan­ta­tion du can­cer aux rats, la stim­u­la­tion des tis­sus con­jonc­tifs détru­isant, rapi­de­ment et. Com­plète­ment, les par­tic­ules de can­cer transplantées.

Ce sérum a été employé avec suc­cès pour hâter la guéri­son des frac­tures des os. Dans de nom­breux cas de fièvre scar­la­tine, admin­istré au début de l’in­fec­tion il enraye la maladie.

À l’In­sti­tut de Kiev, on a com­mencé étudi­er l’ac­tion du sérum A.C.S. sur le can­cer humain. Cette étude dur­era longtemps. Cepen­dant, l’on peut dire que dans la majorité des cas traités, l’on a pu ren­dre au sang sa pro­priété de dis­so­lu­tion des cel­lules can­céreuses. Cette pro­priété, pos­sédée par les gens en bonne san­té, dis­paraît en général lorsque le can­cer se développe. Puisque le sérum A.C.S. agit spé­ci­fique­ment sur le sys­tème du tis­su con­jonc­tif, c’est la preuve que les sub­stances qui détru­isent les cel­lules can­céreuses sont engen­drées par les cel­lules du dit système.

Le can­cer étant l’un des plus grands fléaux de l’im­mu­nité, tout ce qui peut arrêter son développe­ment con­tribue à la longévité humaine.

On a essayé de petites dos­es d’A.C.S. dans des cas très sérieux et des formes plus com­munes de cette psy­chose dénom­mée schiz­o­phrénie (désagré­ga­tion psy­chique de la per­son­nal­ité). Selon les rap­ports des psy­chi­a­tres, ce sérum réus­si à remet­tre en leur état nor­mal l’e­sprit des malades, lesquels, dans un grand nom­bre de cas, ont pu retourn­er chez eux et repren­dre leurs occupations.

Il ne s’ag­it pas d’un élixir de longue vie, mais de fournir aux cel­lules l’én­ergie néces­saire à leur régénéra­tion biochim­ique, à la mobil­i­sa­tion de toutes les forces défen­sives de l’organisme.

Si l’on arrive à démon­tr­er que, pris à cer­taines dos­es, l’A.C.S. est capa­ble d’empêcher la sclérose pré­maturée des tis­sus con­jonc­tifs, ce sérum sera d’une grande impor­tance dans la lutte pour la pro­lon­ga­tion de la vie. Mais la réponse à cette ques­tion demande une grande cir­con­spec­tion et de longues expéri­men­ta­tions, tant sur les hommes que sur les animaux.

En atten­dant que le prob­lème soit résolu, l’être indi­vidu­el peut, de sa pro­pre ini­tia­tive, pro­longer sa vie.

D’abord l’ac­tiv­ité. Le corps tout entier, ses organes sans excep­tion doivent tra­vailler. Mais sans sur­me­nage. L’abus de toute fonc­tion — excès dans le domaine de la nour­ri­t­ure, des rela­tions sex­uelles, du tra­vail ― con­duit à une vieil­lesse pré­maturée. Le repos doit précéder la fatigue ; il empêche plus qu’il ne guérit cette fatigue.

Il faut éviter une ali­men­ta­tion trop carnée. Il est néces­saire d’ab­sorber des pro­téines pour rem­plac­er celles du cylo­plasme. Mais la quan­tité utile quo­ti­di­en­nement est peu con­sid­érable. Bien que la viande soit une nour­ri­t­ure très riche en pro­téines, elle forme des pro­duits de déchet nuisibles.

Pour rem­plac­er l’én­ergie dépen­sée, mieux vaut se nour­rir de matières grass­es et hydro­car­bonées (beurre, pain, végé­taux, sucre), oxy­dées dans l’or­gan­isme pour la for­ma­tion de car­bone dioxyde et d’eau. Il est extrême­ment dan­gereux de manger trop, d’en­graiss­er. « Grossir c’est vieillir ».

L’in­testin dort être vidé au moins une fois par 24 heures. Un verre de lait aigri pris avant de se couch­er règle la fonc­tion intesti­nale et détru­it les bacilles pro­duc­teurs de putréfaction.

L’ex­er­ci­ce et le mas­sage sont utiles pour empêch­er la con­ges­tion san­guine. Marcher une heure chaque jour est une néces­sité pour tous les sédentaires.

Con­serv­er la peau pro­pre — la peau étant un impor­tant organe d’échange.

Le som­meil a une grande impor­tance. On devrait dormir sept à huit heures quo­ti­di­en­nement, y com­pris une heure après le repas prin­ci­pal. Le som­meil pro­cure du repos à toutes les fonc­tions du corps, par­ti­c­ulière­ment aux per­son­nes nerveuses.

Si la fonc­tion sex­uelle n’est pas sur­menée, elle con­servera plus longtemps son activ­ité et favoris­era la longévité.

Le principe fon­da­men­tal de la lutte pour la longévité est d’éviter la satiété. 

De sorte que la pos­si­bil­ité de pro­longer la vie dépend de la capac­ité de ne pas l’abréger.