Ce titre n’annonce nullement la venue d’une histoire extraordinaire qui servirait à alimenter l’imagination par trop gourmande de quelques lecteurs, c’est — tout simplement — le nom que porte le dernier livre du romancier Maurice Genevoix.[[ L’Assassin, par Maurice Genevoix. (Ernest Flammarion, Editeur.)]]
Si cet ouvrage était resté dans le cadre du « roman tout court », peut-être ne serais-je point venu vous en causer… Mais, puisque l’auteur semble vouloir se situer sur le terrain où siègent les thèses philosophiques et sociales, je me sens un tantinet émoustillé par le fervent désir de « pénétrer » à fond ce travail, afin de voir s’il est possible d’y rencontrer la lumière que cherchent les idéologues fervents et endurcis tout à la fois.
— Au fait ? ? ?
— J’y suis !
En trois cahiers, l’auteur inoubliable de Raboliot, nous présente un type assez bizarre de criminel : Peut-être cette bizarrerie est-elle le fruit provenant de l’hésitation et de la nonchalance apportées. par Genevoix dans son simili-plaidoyer ?
Un enfant fut construit par une mère que dévorait la phtisie, par un père que l’idiotie gagnait sans cesse. À cette alliance effroyable s’ajoutait la plus épouvantable des misères.
Le bambin s’en est venu au doux pays du débat continuel pour l’existence avec un si maigre apport de chances, qu’il lui faudra reconnaître — dès les premières heures de la vie — les affres de son infortuné destin.
Si l’enfance de Didier Soucaille fut affreuse et pénible, parce que privée de la légitime satisfaction animale, son adolescence fut déchirée, parce que marquée par les exigences d’un fatalisme qui ne peut que tourmenter les « âmes » nobles et hautaines.
« J’ai éprouvé moi-même, jusqu’à parfois en souffrir atrocement, la cruauté dont sont capables les petits d’hommes. Une loi règne parmi leurs clans, un ensemble de coutumes, de traditions qui les régissent impérieusement. La moindre singularité, à peine perçue et dénoncée, attire d’immédiates représailles. »
« Tout ce que j’ai écrit est vrai. Il est vrai que Didier Soucaille, dès le premier contact avec d’autres enfants, a été obligé de croire qu’il n’était pas semblable à eux. Immédiatement exclu et frappé à l’interdit, il devait par la suite être amené à cette conviction que toute tentative serait vaine, venant de lui, pour conquérir une place dans la tribu. »
À treize ans, Didier Soucaille est orphelin. Héritier d’un atavisme que lui confère un droit à la super-brutalité, seul, sans autre soutien que son entière sauvagerie qui semble déjà friser l’ample férocité, il se bat courageusement avec la vie et se mesure avec le dédain et l’hypocrisie des ambiances.
L’adolescent travaille chez des voisins : les Laborderie qui l’ont pris à demeure. — Animé par des impulsions qui l’obligent à subir l’emprise d’une criminalité qui commence à pointer, il blesse sérieusement un gars du patelin une nuit de ripaille.
Premier contact avec ce qui se nomme la Justice : Didier Soucaille s’en sort avec deux mois de prison.
Présentation incomplète, — parce que stimulée par une psychologie légère — qui fait dire au Dr Maurice de Fleury, qui semble vouloir repousser les appréciations de ce Dr Chabert, qui joue un rôle assez marquant dans ce roman :
« Il semble que le romancier se soit proposé de décrire le prototype du criminel meurtrier, celui dont le geste sanglant n’est point déterminé par quelque circonstance survenue. En ce Didier Soucaille quand il essaie une première fois de tuer et plus, tard quand il tue des gens qui ne lui ont fait que du bien — rien d’accidentel : il ne frappe ni par vengeance, ni par cupidité, ni par jalousie amoureuse. C’est l’assassin essentiel, idiopathique, per se, comme disaient nos pères ; le criminel-né, selon le mot vieilli de Lombroso : nous dirions aujourd’hui le pervers constitutionnel. Nous employons ce terme en pathologie mentale parce que les malheureux de cette sorte, dès leurs premières actions se montrent méchants, rebelles, dévastateurs de plantes et de fleurs, cruels envers les animaux, enclins à détruire la vie, indifférents à la souffrance… »[[Dr Maurice de Fleury : Les Nouvelles Littéraires du 4 octobre 1930.]]
Voici la guerre : Didier part et va se montrer un nettoyeur de tranchées de première catégorie. — Là, ce déterminé, cet irresponsable, va pouvoir, donner libre cours à son instinct sanguinaire. Cruelle démonstration des faits : Pourquoi le « milieu » qui devrait chercher à
Retour : accalmie qui semble vouloir prêter main forte aux désirs qui récupèrent de la force, pour devenir bientôt d’une extrême violence.
Le crime : Didier Soucaille tue les Laborderie qui l’avaient recueilli et chez lesquels il avait si longtemps travaillé.
Fuite. — Chasse a l’homme qui nous montre combien sont canailles et mauvais ces gens qui représentent le meilleur Ordre dans le meilleur des mondes.
« Ils étaient là, peut-être trente chasseurs presque tous armés, qui d’un fusil, qui d’un revolver. Et pourtant leur premier mouvement, quand ils eurent découvert. Soucaille, a été un mouvement de recul. Individuellement, chacun de ces hommes a eu peur.
« Mais ainsi entassés ils ont senti la chaleur de leurs corps. ils ont vu leur nombre, leurs armes ; ils ont pris lâchement conscience de leur force. »
La bête vaincue se rend.
Arrestation ! Jugement ! Condamnation.
Je suis trop ennemi de, ces choses pour vous les narrer.
Mais, sans fiel et sans haine, froidement, je vous livrerai cette réflexion faite par Soucaille à son juge d’instruction : « Si ça n’avait pas été moi, l’homme caché sous le buisson de ronces ? Quand ils ont commencé à tirer, ils ne savaient pas sur qui. ».…. : « S’ils avaient pu en fusiller un autre ! »
« S’il est un grand pervers, un cruel né, nous savons bien qu’il ne saurait être tenu pour moralement responsable d’être venu au monde doué d’instincts carnassiers ; nous le savons, nous en souffrons. Mais ce n’est pas uniquement par lâcheté et bassesse d’âme que nous voulons le mettre hors-d’état de nuire une fois pour toutes : c’est parce, que nous le savons presque fatalement récidiviste pour peu que Dieu lui prête vie. [[Dr Maurice de Fleury, Les Nouvelles Littéraires (4 – 10-30).]] » ; je me sens quasiment obligé d’ajouter :
— Gestes qui peuvent sembler beaux que ceux faits par le Dr Chabert — homme qui trouve encore le moyen de respecter le secret professionnel ; par ce juge d’instruction qui, sur le tard, apprend à se juger lui-même, mais qui n’est ni assez fort ni assez logique, pour se dresser nettement contre les procédés dont le seul résultat est d’empirer le mal ; paroles généreuses mais combien fragiles que celles lancées — sur la grande foire — par cet avocat, qui se laisse trop facilement cajoler par une sociologie charmeuse et trompeuse ; confiance très discutable que celle qui mène le train dans le livre de Maurice Genevoix ; réflexions sensées mais imparfaites, par ce que — (peut-être !) — suggérées, par trop de dilettantisme, que celles jetées dans la mêlée par le Dr Maurice de Fleury. Le tout : remèdes inefficaces, parce que ne touchant point le mal à sa racine.
S’il est indiscutable que ce Soucaille serait nocif aussi pour ceux qui savent, par grandeur et dignité, se situer hors les clans des commandeurs et des obéisseurs : tellement qu’il leur faudrait se prémunir contre les dangers qui émaneraient de la nature naturante ; il faut oser aller jusqu’au bout de la pensée qui nous agite quand il nous arrive de chercher à philosopher afin d’être à la hauteur de notre tâche en reconnaissant combien est néfaste, pour l’épanouissement individuel, ce Milieu trop étroit et trop vicié pour l’être bien sentant et bien pensant — (ceci en dehors des Morales : ces choses communes et fausses.)
Je n’ai pas trouvé la lumière qui m’aurait montré la vaillance se promenant au bras de la plus fervente des générosités j’ai vu, par ci par là, quelques tisons qui se consumaient sans avoir fourni l’étincelle qui viendrait allumer le feu de l’espoir.
Puis-je en vouloir à l’homme qui s’essaya au désir, de bien faire ?
Non !… mais j’ai bien le droit de conserver mes exigences.
L’ouvrage de Mauriçe Genevoix se prête aisément à la curiosité du lecteur, parce qu’il possède tous les charmes qui savent empoigner les grands amoureux du style simple et clair. Sans embarras et sans aucune prétention, le romancier — qui dépasse dé beaucoup le penseur — vous brosse quelques traits d’une façon de maître.
Puisse, dans son œuvre prochaine, Maurice Genevoix, fouiller plus profondément la question qui tente de se préciser dans L’Assassin et qui nous intéresse tant.
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