La Presse Anarchiste

Lettres impies contre l’institution de la famille

[/À Madame V. M./]

Sixième lettre

Un des élé­ments le plus dis­solvant de la famille chez les civil­isés est inclus dans la loi qui donne à l’homme une autorité sur la femme hors de pro­por­tion avec la fonc­tion qu’il a accom­plie bien plus en vue de sat­is­faire son plaisir que peur créer et per­pétuer l’e­spèce. D’où lui vient cette autorité qu’il invoque à tout pro­pos et à toute fin pour s’ar­roger la toute puis­sance dans la famille et dans la con­duite des affaires publiques et privées ? On l’at­tribue générale­ment à son intel­li­gence supérieure, dit-on, à celle de sa com­pagne. Et sur ce pos­tu­lat arbi­traire­ment établi, on a insti­tué des lois léonines que ne légiti­ment guère les tares intel­lectuelles dont beau­coup de maris sont affec­tés, comme l’im­bé­cil­lité, l’id­i­otie, la folie même. Un psy­chi­a­tre voit des fous en très grand nom­bre dans nos sociétés. « L’im­mense majorité des malades ou des infirmes du men­tal, n’est pas internée, dit-il. Quel aliéniste pour­ra jamais dire d’un client : il n’a point d’anom­alie, pas de syn­dromes schiz­o­phrénique, psy­chasténique, para­noïaque, con­fu­sion­nel, déli­rant ; pas de déséquili­bre men­tal ; pas d’hys­térie ; dans son cerveau n’est-il aucune trace d’ul­tra virus meningo-encéphalite psy­chosante ? » [[Hen­ry Demay : Paix et morale par la sci­ence, p.148 à 150, Alcan 1934.]]

Voilà l’é­tat men­tal qui affecte un grand nom­bre de « chefs de famille » que la loi investit du droit exclusif de régen­ter les mem­bres qui la com­posent et aux­quels l’opin­ion unanime des hommes accorde une intel­li­gence supérieure à celle de leur con­jointe. La cau­tion n’est pas bour­geoise si l’on con­sid­ère les tristes et déplorables effets de la roy­auté du mari, non seule­ment ou sein du foy­er con­ju­gal, mais aus­si dans la for­ma­tion de nos sociétés dont tous les penseurs actuels de tous les pays s’ac­cor­dent à dire qu’elles ont fait fail­lite dans le domaine de l’in­tel­li­gence accoucheuse de l’or­dre actuel, poli­tique, social et religieux, — l’in­tel­li­gence de l’homme seul, puisque, seul il est l’au­teur, jusqu’à tout récem­ment de toutes les normes, sous quelque forme qu’on les envis­age, qui prési­dent à la marche de nos sociétés.

Depuis que les femmes ont con­quis, de haute lutte, les droits, en très petit nom­bre encore, qui leur per­me­t­tent de dis­put­er aux hommes les sit­u­a­tions les plus envi­ables dans la con­duite des affaires, dans les sci­ences et dans les arts, elles ont déployé une telle intel­li­gence, de tels tal­ents d’or­gan­i­sa­tion et de savoir, que l’on est sur­pris qu’en si peu d’an­nées elles aient con­quis une supéri­or­ité intel­lectuelle sur les hommes, atteignant par­fois au génie.

À quoi a tenu leur pré­ten­due inféri­or­ité men­tale au cours des siè­cles passés ? Au fait que pen­dant des mil­lé­naires, les hommes usant et abu­sant de leur supéri­or­ité physique très réelle, les ont tenues en charte privée, sous le pré­texte fal­lac­i­eux qu’elles étaient dépourvus d’in­tel­li­gence et de tout esprit d’ini­tia­tive. Le con­cile d’Elvire est allé jusqu’à décréter qu’elles étaient aus­si dépourvues d’âme. En remon­tant le cours des temps, en peut affirmer que ce qui a con­tribué, à l’o­rig­ine, à la for­ma­tion de la famille sous l’égide de l’homme, c’est, d’une part, en effet, la faib­lesse physique de la femme, à la recherche du mâle pro­tecteur, et, d’autre part, la jalousie de l’homme s’ap­pro­pri­ant en exclu­siv­ité l’être faible qui lui demandait asile dans ses bras con­tre les entre­pris­es mul­ti­pliées d’autres mâles. Il s’ap­pro­pri­ait la femme comme il s’ap­pro­pri­ait par la force le sol qu’il dis­putait à un plus faible que lui. Que pou­vait faire la femme ? Accepter tris­te­ment le sort que sa faib­lesse lui impo­sait et dont la jalousie de l’homme fai­sait d’elle une esclave, et des enfants la pro­priété exclu­sive du mari. Voilà les deux sen­ti­ments peu recom­mand­ables qui sont à la base de l’in­sti­tu­tion de la famille. Et cet esclavage de la progéni­ture de l’homme, la soumis­sion aveu­gle de celle-ci à la tyran­nique volon­té du mâle, se per­pé­tu­ant à tra­vers les âges, vont ingér­er à la famille un virus malé­fique et dis­solvant, meur­tri­er dans la con­jonc­tion des sex­es, de l’amour-sen­ti­ment, lequel jus­ti­fie et anoblit la pos­ses­sion ; meur­tri­er de la progéni­ture même viciée dans sa cel­lule-mère, par défaut de cette attrac­tion mutuelle qui seule eût été sus­cep­ti­ble d’in­fuser à l’en­fant né d’un amour réciproque, l’in­tel­li­gence, la bon­té, la sen­si­bil­ité et l’amour de son frère con­san­guin. Par exten­sion, ce virus malé­fique et dis­solvant ira se trans­met­tre de généra­tion en généra­tion aux sociétés nées de l’ensem­ble des familles qui com­posent le clan, la tribu, le peu­ple, la nation, dernier terme de l’évo­lu­tion de la famille primitive.

Si M. André Mau­rois con­de­scendait à me suiv­re sur ce ter­rain et à adopter mes vues, je recon­naitrais avec lui que la famille est « durable », oui, mais, avec toutes les tares et le virus malé­fique et dis­solvant que l’homme prim­i­tif lui a inoculé.

Et c’est ce virus que j’am­bi­tionne de lui extirper.

Veuillez agréer, madame, mes plus respectueux hommages

[/Alber­ix/]


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