Dans la règle de conduite que tout homme devrait se tracer, règle pratique et efficace, il lui faudrait inclure, en premier lieu, de se défier non seulement des autres, mais de lui-même et de ses jugements. Il est parfois injuste et déraisonnable de s’ériger en censeur, de céder à cette néfaste tendance qu’on a de juger de tout et de tous d’après soi-même et d’avoir la prétention souvent grotesque de se poser en arbitre de la morale, des mœurs, etc. Avant de vouloir corriger les défauts des autres, commençons par nous examiner et nous corriger nous-mêmes, car j’estime que la force de l’exemple vaut toutes les critiques.
Certes, il faut combattre les erreurs, les préjugés, les doctrines fausses, qu’elles soient littéraires, philosophiques, politiques, religieuses, morales ; mais il serait bon d’apporter moins d’âpreté dans la discussion, de faire preuve de plus de compréhension à l’égard du raisonnement d’autrui. S’il est avéré que de tout homme il y a quelque chose à apprendre, il est non moins réel que toute opinion qui paraît erronée renferme une parcelle d’idéal et de vérité. N’oublions pas non plus qu’à la base de nos rivalités, de nos incompréhensions, il y a, la plupart du temps, un simple malentendu, une blessure d’amour-propre inavouée, une vexation que nous n’avons pas su dissimuler, y attachant une importance démesurée.
Il ne faut pas craindre quand on porte jugement sur le comportement d’autrui, de tenir compte des exceptions, de faire montre de quelque générosité. Il ne faut pas oublier que l’esprit de tolérance est synonyme de respect des droits d’autrui en même temps qu’une œuvre de justice, qui passe avant la charité.
La fameuse question sociale n’est pas seulement une question d’heures de travail plus ou moins longues, de salaires plus ou moins élevés — c’est aussi une question de bons rapports entre les hommes et de compréhension mutuelle.
Naturellement, il importe de faire quelques restrictions et de distinguer entre le véritable esprit de tolérance et sa contrefaçon, c’est-à-dire user de cet esprit critique dont l’absence fait de nous des êtres incomplets.
Mais cette critique sera bienveillante, nuancée, éveillée, tiendra compte des constances, des impossibilités matérielles, des incapacités intellectuelles, etc. Ce qui ne veut pas dire encourager la paresse d’esprit, la timidité — exagérer la bonté — se prêter à certaines complaisances qui friseraient la complicité. Non, ce dont il s’agit, en somme, c’est à chaque fois qu’il nous échet de juger les intentions de ceux qui pensent et agissent autrement que nous — d’éliminer de nos jugements la passion, le mépris, le dédain.
Réagir contre les extrêmes, se refuser à être plus royaliste que le roi, plus rigoriste que le professeur de morale, se souvenir que c’est dans un juste milieu que se tient la raison, la sagesse, la domination de soi — voilà toute une philosophie dont la pratique instaurera de meilleurs rapports entre les hommes sur le plan individuel et social, à commencer par ceux auxquels la vie nous mêle quotidiennement.
[/Maurice