La Presse Anarchiste

Steven Byington

Ste­ven Bying­ton est né à Ben­son, Ver­mont, aux États-Unis, le 20 décembre 1868. Sa puis­sance intel­lec­tuelle s’af­fir­ma de bonne heure et il était encore très jeune lors­qu’il s’a­don­na à l’é­tude des langues et des mathé­ma­tiques. À peine par­ve­nu à l’âge d’homme, il fut atti­ré par les ques­tions poli­tiques et éco­no­miques et, en 1894, il se fai­sait remar­quer dans les colonnes Liber­ty par sa défense de la thèse de l’Im­pôt Unique contre les attaques de Tucker, l’é­di­teur de ce jour­nal. Plus tard, Bying­ton devint un des inter­prètes les mieux doués et les plus intel­li­gents de tous les aspects de l’a­nar­chisme et fut géné­ra­le­ment recon­nu comme tel. The Eagle and Ser­pent (L’Aigle et le Ser­pent) de Londres a racon­té à son sujet une anec­dote typique. Comme on lui deman­dait de sou­te­nir une cam­pagne poli­tique en faveur de cer­taines. Réformes, Bying­ton rétor­qua qu’é­tant don­né les choses telles qu’elles étaient, les membres du Congrès coû­tant si cher, mieux valait « cor­rompre » le Congrès actuel qu’en « ache­ter » un neuf, ce serait plus pra­tique et meilleur marché.

Le nom de Bying­ton ne se sépa­re­ra jamais de sa magni­fique tra­duc­tion de l’U­nique et sa Pro­prié­té (The Ego and his Own). Seuls ceux qui ont quelque connais­sance de cette œuvre pour­ront appré­cier le tra­vail que coû­ta cette tra­duc­tion. La logique ser­rée de l’ou­vrage, son style lit­té­raire rami­fié, les façons dont il exploite les pos­si­bi­li­tés ver­bales de la langue alle­mande pour s’en ser­vir comme d’un écho pour son argu­men­ta­tion, en jouant conti­nuel­le­ment sur les mots ― tout cela ren­dait la tache de Bying­ton gigan­tesque. Il fut aidé, certes, par George et Emma Schumm, voire par Tucker, agis­sant comme arbitre final en cas de désac­cord, mais l’œuvre de la tra­duc­tion demeure essen­tiel­le­ment celle de Bying­ton. Seul un homme de sa capa­ci­té pou­vait mener à son terme une telle besogne. Elle lui prit cepen­dant plus long­temps qu’il l’es­pé­rait. En juillet 1899, Hen­ry Bool avi­sait Tucker que Bying­ton lui pro­met­tait le manus­crit de la tra­duc­tion pour le 15 sep­tembre sui­vant, mais il fal­lut attendre jus­qu’en 1907 pour la voir paraître. Le matin du 30 mars de cette année-là, les jour­naux de New York parurent avec des annonces occu­pant une pleine page, ain­si rédi­gées : « L’U­nique et sa Pro­prié­té, par Max Stir­ner, tra­duit de l’al­le­mand par Ste­ven T. Bying­ton, en col­la­bo­ra­tion avec des experts au cou­rant de l’al­le­mand et de Stir­ner. Le livre le plus révo­lu­tion­naire qui ait jamais été écrit ».

À peine cette tâche était-elle ache­vée que Bying­ton s’at­te­la à la tra­duc­tion de « L’A­nar­chisme » d’Eltz­ba­cher. Le 8 avril 1907 dans une lettre adres­sée à George et Emma Schumm et tout en les remer­ciant de l’aide qu’ils lui avaient four­nie, il leur annon­çait la nou­velle. Tucker put édi­ter cette tra­duc­tion en 1908. Pas très long­temps après, la tra­duc­tion anglaise de « l’u­nique » était réédi­tée par A.C. Fil­fied à Londres. 

La popu­la­ri­sa­tion de la « pro­pa­gande par les papillons » est, aux États-Unis, due à Bying­ton et peut-être la créa-t-il ? En 1902, Hen­ry Bool lui avait écrit lui deman­dant de lui faire par­ve­nir quelques maximes ou sen­tences « courtes, mais cas­santes ». D’East Cam­bridge, Mas­sa­chu­setts, Bying­ton, entre autres, lui envoya celles-ci : « Le gou­ver­ne­ment ne pour­rait exis­ter si de nom­breux êtres humains n’ac­cep­taient pas d’être ses agents pour la per­pé­tra­tion de ce qu’ils consi­dèrent per­son­nel­le­ment comme d’i­gnobles crimes. » ― « Dans toutes les formes ordi­naires de gou­ver­ne­ment, les diri­geants sont, en moyenne, pire que les diri­gés, de sorte que ce sont les mau­vais qui contrôlent les bons ; le seul moyen qu’on ait décou­vert pour y remé­dier est de confier le choix de l’au­to­ri­té suprême à une lote­rie ou au résul­tat d’un match de boxe. » On voit réap­pa­raître là son humour bien connu. Ces apho­rismes furent dif­fu­sés bien­tôt sous forme de « papillons » jus­qu’en 1900, époque où tout fut remis à Tucker qui sor­tit une liste révi­sée de 48 textes et conti­nua jus­qu’au moment où deux ans plus tard, son éta­blis­se­ment ayant été détruit par un incen­die, il renon­ça à toute pro­pa­gande. Bying­ton était assez fier de ses papillons. Récem­ment encore il écri­vait : « Il fut un temps où j’af­fir­mais qu’un débat sur l’a­nar­chisme pou­vait être mené rien qu’en affi­chant ma série de papillons et en indi­quant du doigt celui répon­dant à l’ob­jec­tion présentée. »

Bying­ton fut étroi­te­ment asso­cié aux groupes connus sous le nom de Mutuel Asso­ciates (Les Asso­ciés Mutuels) et The Libe­ta­rian League (La Ligue Liber­taire). Ces groupes comp­taient en leur sein des per­sonnes comme John Barn­hill, Jo Laba­die, Cla­rence Swartz, Theo­dore Schroë­der, Hans Ross­ner. Ils défen­daient l’i­dée du Mutuel Ban­king (la banque mutuelle), telle qu’elle était expo­sée par William Greene. Ils favo­ri­sèrent l’é­di­tion par « The Van­guard Press » en 1927 de l’ou­vrage de Swartz « What is Mutua­lism ? » (Qu’est-ce que le Mutua­lisme ?) Edward Ful­ton, de Clin­ton, Iowa, avait assu­mé la res­pon­sa­bi­li­té des dif­fé­rents pério­diques lan­cés par ces groupes. Juste après la guerre de 1914 – 1918, ils publièrent une revue The New Order (L’Ordre Nou­veau) dont plu­sieurs fas­ci­cules furent consa­crés à l’ex­po­sé de la « consti­tu­tion anar­chiste » de Bying­ton. Il s’a­gis­sait de pré­sen­ter le fonc­tion­ne­ment pos­sible d’une socié­té anar­chiste et d’or­ga­ni­ser un milieu social où seraient appli­quées les pro­po­si­tions for­mu­lées dans « L’Ordre Nou­veau ». Ce fut un échec. Seul Ful­ton s’é­tait sérieu­se­ment inté­res­sé aux idées de Bying­ton. Néan­moins, ce plan consti­tue un docu­ment utile qui pour­rait encore ser­vir comme base de discussion.

Bying­ton s’in­té­res­sait à une foule d’ac­ti­vi­tés. Il prit part à l’a­gi­ta­tion en faveur de l’or­tho­graphe sim­pli­fiée, col­la­bo­ra à toutes sortes de jour­naux extré­mistes. On ren­contre ses articles dans Fire­brand (Le Bran­don.) de Port­land, Ore­gon — dans Mother Earth (Mère la Terre) de New-York ― Age of Thought (l’Âge de la Pen­sée) et autres publi­ca­tions pério­diques édi­tées par Ful­ton ― Man (l’Homme) de Mar­cus Gra­ham. Il s’in­té­res­sait vive­ment à « l’en dehors ».

Ste­ven T. Bying­ton est tou­jours vivant. Âgé de 77 ans, il réside à Bal­lard Velay (Mass., U.S.A.). Il semble tout dis­po­sé à écrire et à par­ler au sujet de ses acti­vi­tés d’an­tan. Tout récem­ment The Bos­ton Globe a publié un article le concer­nant. Il ne s’est jamais repen­ti de l’œuvre qu’il a accom­plie en faveur de la liber­té. Il appar­tient aux liber­taires de s’en sou­ve­nir et de voir en lui le pion­nier de jadis et le grand vieillard d’aujourd’hui.

/​Alan Smith/​]

La Presse Anarchiste