La Presse Anarchiste

Tcherkesov

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Durant neuf ou dix années, jus­qu’en 1892, Tcher­ke­sov pas­sa quelques temps dans son pays, en Géor­gie même ; il res­ta aus­si en Asie Mineure, à Tré­bi­zonde, à Constan­ti­nople, en Bul­ga­rie et se trou­va en der­nier lieu à Plœ­sh­ti, en Rou­ma­nie, où demeu­rait un de ses amis, le socia­liste rou­main, C. Dobro­gla­nu-Ghe­rea, auteur très esti­mé, échap­pé, lui aus­si, de la Rus­sie. Je ne sais si ce furent les exi­gences de la vie (qu’il gagnait tou­jours par quelque tra­vail d’oc­ca­sion, res­tant très pauvre toute sa vie), ou les per­sé­cu­tions des mou­chards russes qui le déni­chaient par­tout, qui le refou­lèrent ain­si de pays en pays. En tout cas, c’est alors qu’il acquit une large expé­rience des pro­blèmes natio­naux du Cau­case, de l’A­sie-Mineure et des Bal­kans et il vit la « péné­tra­tion » russe de ces pays à l’œuvre. Durant ce temps, par exemple en Bul­ga­rie, le prince Alexandre et le ministre Stam­bou­loff, qui avait le mal­heur de déplaire à la Rus­sie, furent, l’un chas­sé, l’autre cou­pé en mor­ceaux ; et bien d’autres amé­ni­tés ana­logues avaient lieu. Tcher­ke­sov ne par­lait pas inuti­le­ment de ces choses, mais son coup d’œil fut vite aigui­sé et les allè­che­ments libé­ra­teurs pan­russes n’eurent pas d’at­trait pour lui quel que fût leur déguisement.

Pen­dant l’é­té de 1892, il arrive à Londres où son ancienne ami­tié avec Kro­pot­kine et Mala­tes­ta, Step­nick et d’autres Russes, lui donne immé­dia­te­ment une place recon­nue dans les milieux avan­cés russes, fran­çais, ita­liens et, dès que la langue le per­met, dans le milieu anglais de Free­dom. J’ai oublié si ce dépla­ce­ment avait pour but direct de s’ap­pli­quer à inté­res­ser l’o­pi­nion publique anglaise en faveur de la Géor­gie. En tout cas, ce fut là un but qu’il pour­sui­vit avec la même ardeur que la pro­pa­gande anar­chiste et le mou­ve­ment révo­lu­tion­naire russe.

Pour la liberté de la Géorgie

Il était pour ain­si dire l’am­bas­sa­deur des patriotes géor­giens qui, à défaut d’autres moyens, vou­laient que l’Eu­rope rap­pe­lât à la Rus­sie son obli­ga­tion de se confor­mer au trai­té de 1801, qui garan­tis­sait l’au­to­no­mie per­ma­nente de la Géor­gie dont les Russes avaient fait, depuis long­temps, une pro­vince russe. Il expo­sa la cause geor­gienne dans le Times, en 1886, puis dans un long article Geor­gian Trea­ties with Rus­sia, paru dans la revue Nine­teenth Cen­tu­ry, de mai 1895, pp 832 à 847. Il en par­la suc­ces­si­ve­ment avec des hommes poli­tiques anglais, sir Charles Dilke et d’autres, il gagna l’a­mi­tié d’un ancien consul anglais, Mr. W. qui, lui et sa sœur, aimaient vrai­ment la Géor­gie et en avaient, appris même la langue si dif­fi­cile. Lorsque Éli­sée Reclus vint à Bruxelles, Tcher­ke­sov fit, par son inter­mé­diaire, la connais­sance d’ex­perts en droit inter­na­tio­nal et leur pré­sen­ta le cas de son pays. Il se lia de vraie ami­tié avec le pro­fes­seur et juge Ernest Nys et aus­si avec le vieux socio­logue Guillaume De Greef. En 1900, paraît une bro­chure russe sans nom d’au­teur, due à Ham­ba­chid­zé père ; elle raconte une nou­velle offen­sive rus­si­fi­ca­trice ; cette fois diri­gée contre l’É­glise natio­nale géor­gienne, der­nier ves­tige de l’an­cienne indé­pen­dance. Un peu plus tard, d’autres amis de Tcher­ke­sov arrivent à l’é­tran­ger et publient, en fran­çais, La Géor­gie (en géor­gien Saghart­ve­to), à Paris, leur grou­pe­ment s’ap­pelle « Par­ti socia­liste-fédé­ra­liste-révo­lu­tion­naire géor­gien » (1903 1905), et une de leurs bro­chures donne le compte ren­du éten­du de leur pre­mière confé­rence (1904). Enfin, dès le mois d’oc­tobre 1905, la presse géor­gienne du pays même, désor­mais libre pour quelque temps, dis­cute ouver­te­ment ces revendications.

Tcher­ke­sov, nous l’a­vons dit, aimait pas­sion­né­ment son pays et ne se lasse pas d’en dépeindre les beau­tés natu­relles et son carac­tère culti­vé et antique. Le feu sacré enle­vé par Pro­mé­thée, enchaî­né au Cau­case, la Toi­son d’Or des Argo­nautes, d’autres mythes furent expli­qués par le naphte de la mon­tagne enflam­mé par un éclair, par les peaux d’a­ni­maux dont la laine cueillait l’or dans l’eau des tor­rents rapides, etc. Et les cottes de mailles qui, encore au xixe siècle, rap­pe­laient l’âge de la che­va­le­rie, les belles femmes, les ruines pit­to­resques et les gorges de mon­tagnes, la vigne des coteaux, les poé­sies et tra­di­tions, ce poète fameux dont la Kelm­scott Press de William Mor­ris publia une si belle édi­tion — comme Tcher­ke­sov fut heu­reux de nous en par­ler et nous en mon­trer des illus­tra­tions. Ain­si, la cause de la Géor­gie fut gagnée auprès de tous ceux qui l’ont connu et il s’a­gis­sait d’une indé­pen­dance ou d’une auto­no­mie douce et inof­fen­sive, sans haines, sans mono­pole, revanche et repré­sailles éco­no­miques ou guerre fis­cale odieuse, conti­nuelle. Il n’a pas un mot contre le peuple russe pour lequel il lut­tait lui-même, ni contre le peuple turc qu’il connais­sait de près et qu’il aimait, ni contre les Tar­tares qui s’en­tendent tou­jours bien avec les Géor­giens. Bref, ce fut un natio­na­lisme non agres­sif, mais de pure défen­sive et sans ambi­tions éco­no­miques aux­quelles on ne pen­sait même pas alors.

Cette ques­tion qui lui était si chère, n’en­trait du reste aucu­ne­ment dans sa pro­pa­gande anar­chiste, qui fut iden­tique aux grands cou­rants anar­chistes, une voie moyenne entre Kro­pot­kine et Mala­tes­ta peut-être, entre les­quels, eux que la dis­tance sépa­rait, il fût un lien com­mun, aus­si par les rela­tions per­son­nelles. Il se lia d’a­mi­tié avec B. Kampff­meyer, avec le mys­té­rieux George Guyon (Paul Reclus) de cette époque (1894 – 95-96), avec Éli­sée Reclus et Dome­la Nieu­wen­huis ; il fré­quen­tait V. Richard, Gué­ri­neau, Alfred Marsh, Mrs. Dry­hurst, H. W. Nevin­son, Her­mann Jung, le doc­teur G. B. Clark, plus tard miss G. Davis et bien d’autres. À un moment, je me rap­pelle, sa san­té parut sérieu­se­ment ébran­lée ; il alla alors se refaire en Suisse, chez des Russes du côté de Cla­rens, et, en voie de gué­ri­son, il entra en lice dans une réunion russe, à Genève, contre le grand Ple­kha­nov qui ne s’y atten­dait pas. Il revint rajeu­ni ; c’est à cette époque, vers 1897, qu’il fit un long voyage secret en Géor­gie où il ren­con­tra beau­coup de ses amis de jeu­nesse. Il y avait un grand nombre de Géor­giens par­mi les accu­sés du grand pro­cès de Mos­cou (1875), appe­lé le pro­cès des 50, celui de Sophie Bar­di­na. Ce fut par excel­lence le pro­cès des plus dévoués pro­pa­gan­distes et leur trai­te­ment féroce, contri­bua à don­ner au mou­ve­ment russe une direc­tion ter­ro­riste. Vingt ans plus tard, une par­tie de ces vic­times était ren­trée en Géor­gie et ins­pi­raient alors les nou­veaux mou­ve­ments et celui de la renais­sance natio­nale. Tcher­ke­sov nous revint retrem­pé et il fit, alors, quelques voyages moins éten­dus en Hol­lande, dont l’un abou­tit à sa ren­trée à Londres, en octobre 1899, avec une vaillante jeune com­pagne, qui depuis a par­ta­gé son sort, en Angle­terre, en France, en Rus­sie et au Cau­case. Ils trouvent, en plein Ken­tish Town, un quar­tier popu­laire de Londres, à côté de la grande rue, une petite oasis de rues propres et tran­quilles et leur grande chambre hos­pi­ta­lière fut un des rares endroits de Londres où on sen­tait un souffle de la vie libre et fra­ter­nelle de l’a­ve­nir que nous ne ver­rons plus.

Les écrits de Tcherkesov

Tcher­ke­sov était indi­gné comme nous tous, des pré­ten­tions de la social-démo­cra­tie qui, tout en pro­cla­mant un socia­lisme tou­jours plus émas­cu­lé et réfor­miste, repré­sen­tait cet avor­te­ment comme le pro­duit d’une essence scien­ti­fique abso­lu­ment unique, d’une science dévo­lue sur Marx et Engels et à la rigueur, et à dis­tance propre, sur Karl Kauts­ky et un petit nombre d’autres. C’é­tait inepte, mais les ouvriers n’a­vaient pas les moyens de véri­fier ces asser­tions et Tcher­ke­sov fil une besogne excel­lente, en mon­trant l’o­ri­gine et la filia­tion du socia­lisme qui ne fut jamais l’œuvre de quelque pen­seur unique, mais fut éla­bo­ré col­lec­ti­ve­ment par des hommes qui pui­saient aux sources vivantes de la pen­sée libre de tous les siècles et qui furent fiers d’ad­mettre cette soli­da­ri­té avec la pen­sée com­mune de l’hu­ma­ni­té et ne rêvaient pas à se créer un mono­pole d’i­dées. Ces études parues dans les Temps Nou­veaux et dans Free­dom forment les petits bou­quins : Pages d’His­toire socia­liste (au Temps Nou­veaux 1896, 64 p.) et Pré­cur­seurs de l’In­ter­na­tio­nale (à la biblio­thèque des Temps Nou­veaux, de Bruxelles, 1899, 144 p.) ; men­tion­nons encore quelques paroles adres­sées à Liebk­necht, lors du congrès inter­na­tio­nal de Londres, Let us be just (Soyons justes, dans free­dom et en bro­chure, 1896, 10 p.), un rap­port adres­sé au Congrès anar­chiste de Paris (1900), L’Ac­tion éco­no­mique et révo­lu­tion­naire (en ita­lien, Londres, 1903, 16 p.), Concen­tra­tion of Capi­tal, a Mar­xian Fal­la­cy (Londres, Free­dom, 25 p.). etc.

Un jour, en 1899, je pense, Tcher­ke­sov par­cou­rait par hasard, chez Dome­la Nieu­wen­huis, la bro­chure de Vic­tor Consi­dé­rant : Prin­cipe du Socia­lisme, Mani­feste de la Démo­cra­tie au xixe siècle (Paris, librai­rie pha­lan­sté­rienne, 1847, 157 p. in-16) ; il en existe une édi­tion de 1841. (Bases de la Poli­tique posi­tive, Paris, « La Pha­lange », IV, 119 p. in‑8°). C’est une des bro­chures fou­rié­ristes les moins rares. Il fut frap­pé par des res­sem­blances avec le Mani­feste du par­ti com­mu­niste de Marx et Engels (1848, février) qu’il avait gar­dé en mémoire d’a­près sa tra­duc­tion russe impri­mée à Londres dans les années soixante et attri­buée à Bakou­nine. Il véri­fia du reste d’a­près une autre édi­tion, et revint à Londres fer­me­ment convain­cu que Marx et Engels étaient de vul­gaires pla­giaires qui avaient volé le tra­vail de Consi­dé­rant. Il se mit à com­pa­rer les deux textes et ses articles Un Pla­giat très scien­ti­fique, À pro­pos de deux Mani­festes (Temps Nou­veaux, 14 avril au 26 mai 1900) sont le résul­tat de son tra­vail. Il en a par­lé plus tard, dans une réponse à Kauts­ky et il m’a mon­tré en 1903, de quelle manière peu conscien­cieuse F. Engels se ser­vit, pour un livre paru en 1845, d’un livre de Buret (1840) ; tout cela se trouve aus­si dans les Temps Nou­veaux et dans Free­dom.

Je crois qu’il n’est per­sonne ayant vu mes tra­vaux sur Bakou­nine, ou connais­sant l’es­prit de ce que j’ai pu écrire en obser­va­tions géné­rales, qui m’ac­cu­se­ra d’une ten­dresse quel­conque envers Marx et Engels et leurs adhé­rents. Et pour­tant, je dois dire que les argu­ments de Tcher­ke­sov ne m’ont jamais don­né com­plète satis­fac­tion et il a, du reste, tou­jours connu mon scep­ti­cisme à ce sujet.

1905. ― L’Université Populaire de Tiflis

L’an­née mémo­rable de 1905 s’ap­proche et la pre­mière révo­lu­tion russe s’an­nonce. Tous les Russes sont amnis­tiés et Tcher­ke­sov, lavé ain­si de son pas­sé noir, pro­cède bien­tôt en Rus­sie, avec sa femme, à un voyage pro­lon­gé, duquel un jour­nal amé­ri­cain le Chi­ca­go Dai­ly News, où il a beau­coup écrit, conser­ve­ra un récit inté­res­sant. II se fixa à Tiflis, où la réac­tion se fait bien­tôt jour comme par­tout ailleurs.

Mais, pen­dant ces mois d’une liber­té rela­tive, après la pre­mière révo­lu­tion russe, Tcher­ke­sov orga­ni­sa, à Tiflis, l’U­ni­ver­si­té popu­laire avec des confé­rences et des classes en russe, géor­gien, armé­nien et tar­tare. L’ad­mi­nis­tra­tion de cette uni­ver­si­té était entiè­re­ment entre les mains des ouvriers et chaque natio­na­li­té orga­ni­sa sa sec­tion auto­nome, invi­ta des confé­ren­ciers, etc., mais chaque mois les sec­tions se réunis­saient pour dis­cu­ter les ques­tions géné­rales. L’i­dée de Tcher­ke­sov était de réta­blir, en pra­tique, la soli­da­ri­té par­mi les natio­na­li­tés qui, quelques mois aupa­ra­vant, grâce aux ins­ti­ga­tions du gou­ver­ne­ment russe, était rude­ment ébran­lée par les mas­sacres armé­niens-tar­tares. L’U­ni­ver­si­té Popu­laire ne tar­da à jouir d’une grande faveur ; elle se déve­lop­pa et orga­ni­sa des filiales dans toutes les villes. Par la suite, cette ins­ti­tu­tion prit un grand élan, sous le régime de la répu­blique géor­gienne indé­pen­dante (1918 – 21), quand elle reçut des sub­sides du gou­ver­ne­ment ; on se pré­pa­rait alors à élar­gir le mou­ve­ment, lorsque l’in­va­sion bol­che­viste mit fin à tout. Le pré­sident de l’U­ni­ver­si­té Popu­laire, Natadze, fut arrê­té et mou­rut de faim en prison.

Vers le mois d’a­vril 1907, les Géor­giens rédi­gèrent une « Péti­tion du Peuple géor­gien à la Confé­rence inter­na­tio­nale de la Paix à La Haye, 1907. » (4 pp. Fol. 18, juin 1907), dont Tcher­ke­sov fut por­teur et qui lui valut un nou­vel exil, ce qui montre qu’il fut tou­jours le porte-parole de son pays devant l’o­pi­nion européenne.

Après 1907, il vit dans le même milieu anglais qu’au­pa­ra­vant. Ses voyages à Paris, ville où il se sent mieux, eut chaque fois pour effet de le rajeu­nir, en pré­sence de son opti­misme, de sa joie naïve à chaque suc­cès ouvrier, à chaque mani­fes­ta­tion de l’es­prit de révolte, on ne pense pas à son âge. La guerre arrive, et à sa manière de voir, pareille en ce moment à celle de Kro­pot­kine, le sépare de beau­coup de cama­rades, entre autres, de Malatesta.

1917. ― L’indépendance géorgienne

Lors­qu’en 1917, la seconde révo­lu­tion écla­ta et que la répu­blique y fut pro­cla­mée, tous les pros­crits ren­trèrent en Rus­sie. En mai 1917, deux semaines avant Kro­pot­kine, Tcher­ke­sov arrive à Petro­grad. Voyant que les par­tis socia­listes étaient aus­si cen­tra­listes que les réac­tion­naires russes, Tcher­ke­sov, après avoir pas­sé quelques semaines avec Kro­pot­kine, et envi­sa­gé la situa­tion avec celui-ci, par­tit pour la Géor­gie en vue d’y tra­vailler contre la ten­dance mar­xiste et éta­tiste qui se fai­sait jour en Russie.

Après le coup d’É­tat bol­ché­viste à Petro­grad et Mos­cou, les social-démo­crates (men­ché­vistes), géor­giens, armé­niens et tar­tares, pro­cla­mèrent la répu­blique fédé­ra­tive de Trans­cau­ca­sie. Les bol­che­vistes russes cédèrent, par le trai­té de Brest-Litowsk, quelques pro­vinces géor­giennes et armé­niennes aux Turcs qui s’empressèrent de s’emparer de ce ter­ri­toire. Les Géor­giens et Armé­niens essayèrent de s’y oppo­ser, mais les Tar­tares ne vou­laient pas se battre contre leurs core­li­gion­naires et la fédé­ra­tion trans­cau­ca­sienne fut dis­soute. Aus­si­tôt, la Géor­gie repre­nait, en mai 1918, son exis­tence natio­nale indé­pen­dante, inter­rom­pue par un siècle d’op­pres­sion russe.

Les Géor­giens se mirent à l’œuvre en vue d’or­ga­ni­ser leur vie sur une base vrai­ment démo­cra­tique et même socia­liste. Des réformes agraires très radi­cales, le suf­frage uni­ver­sel pour hommes et femmes, furent intro­duits. La Géor­gie se décla­ra neutre, et de même qu’elle avait refu­sé de prendre part, avec les Bol­che­vistes, au trai­té de Brest-Litowsk, de même elle refu­sait de se joindre aux inter­ven­tions armées de Deni­kine et de Wrangel.

La vie éco­no­mique com­men­çait à reprendre, et l’ordre et la tran­quilli­té rela­tive fai­saient dire aux réfu­giés russes que la Géor­gie était le seul coin de l’an­cien empire où régnaient la paix et la liber­té. De son côté, la délé­ga­tion socia­liste inter­na­tio­nale qui se ren­dit en Géor­gie, en sep­tembre 1920, se décla­ra enchantée.

L’invasion bolcheviste

Mal­heu­reu­se­ment, le peuple géor­gien ne devait pas conti­nuer à jouir de son droit de vivre sa vie natio­nale. Trots­ky, le chef du mili­ta­risme bol­che­viste, sut impo­ser son plan de conquête impé­ria­liste aux autres Bol­che­vistes, et en février 1921, sans décla­ra­tion de guerre, les armées rouges com­man­dées par des géné­raux tsa­ristes, enva­hirent la Géor­gie. Mal­gré une résis­tance héroïque de toute la nation, le triomphe res­ta au nombre écra­sant des Russes, et la Géor­gie fut sovié­ti­sée. Les réqui­si­tions pour­sui­vies métho­di­que­ment, en vue de trans­por­ter en Rus­sie toutes les richesses, toutes les den­rées, cau­sèrent en peu de temps la famine. Toute liber­té poli­tique et civile fut sup­pri­mée, la Tché­ka et l’ar­mée russe régnant en maîtres tout puis­sants. Les élé­ments avan­cés, socia­listes et intel­lec­tuels furent arrê­tés comme otages. Jamais le régime tsa­riste n’a cau­sé autant de misère, de déses­poir que le règne san­gui­naire des bol­che­vistes s’a­bri­tant. sons les plis du dra­peau ronge, soi-disant socia­liste. Tou­jours ami du peuple russe, le peuple géor­gien est abso­lu­ment uni dans sa demande d’être libé­ré des armées russes.

En voyant qu’au­cune pro­pa­gande contre le pré­ten­du socia­lisme-mar­xisme bol­che­viste n’é­tait pos­sible en Géor­gie et que tout autre tra­vail d’or­ga­ni­sa­tion sociale lui était inter­dit sous le régime de ter­reur en vigueur, Tcher­ke­sov se déci­da à reve­nir en Europe pour défendre les droits de son pays devant ceux qui sont convain­cus que la liber­té et la jus­tice doivent faire les bases de l’exis­tence natio­nale et individuelle.

Tcher­ke­sov a été actif jus­qu’au moment où la mala­die l’a ter­ras­sé. Il a pris la parole en public, pour la der­nière fois, le 30 mai 1921, au cours d’un mee­ting orga­ni­sé sur son ini­tia­tive, en faveur des révo­lu­tion­naires empri­son­nés en Rus­sie. C’est un sujet qui ne lais­sait son esprit en repos, ni jour, ni nuit. Le mee­ting, pré­si­dé par le syn­di­ca­liste Tur­ner, fut un suc­cès. Quelques semaines avant sa mort, il s’oc­cu­pait encore à tra­duire une bro­chure publiée par des Géor­giens en pro­tes­ta­tion contre le régime bol­che­viste et sa défense plus ou moins avouée, par la délé­ga­tion des Trade Unions, en Russie.

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Voi­là donc quelques pages de la vie d’un homme qui a tou­jours tra­vaillé à nous rap­pro­cher de l’âge de la liber­té et de la soli­da­ri­té, et qui a fait cela en créant autour de lui une atmo­sphère d’op­ti­misme cou­ra­geux, de cama­ra­de­rie et de bons pro­cé­dés réci­proques, qui a ensei­gné à ceux que la pro­pa­gande avait tou­chés, à se sen­tir at home dans l’a­nar­chie. La Géor­gie telle qu’il la rêvait nous, a tou­jours paru extraite d’une uto­pie liber­taire. Puisse, en sou­ve­nir de Tcher­ke­sov, ce rêve deve­nir une réa­li­té, pour la Géor­gie et pour nous tous.

[/​M. Net­tlau/​]

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