La Presse Anarchiste

A travers le monde

Ce pays est réel­le­ment gou­ver­né par une caste mili­taire qui, en 1918, fit un coup d’État (pro­nun­cia­mien­to) qui réus­sit à mer­veille. Et depuis, les juntes ou clubs mili­taires (Jun­tas Mili­tar de defen­sa), avec l’aide de leurs amis insé­pa­rables, les jésuites, sont tout puis­sants ; ils font et défont les minis­tères à leur guise et sui­vant leurs caprices. Aus­si toute l’Espagne se mili­ta­rise fié­vreu­se­ment, elle suit dans cette voie la libre Amé­rique. Inutile de dire que la réac­tion y bat son plein. Il y a, certes, résis­tance, mais celle-ci est impuis­sante. Les par­tis poli­tiques sont tous divi­sés et ont trop peur de se com­pro­mettre. Les spé­cia­listes, à mesure qu’ils acquièrent de l’importance poli­tique deviennent de plus en plus conser­va­teurs. Les syn­di­ca­listes, sur­tout les cama­rades du Syn­di­cat Unique, ont, une atti­tude vrai­ment digne et remar­quable. Il y a eu chez eux des traits d’un héroïsme très émou­vant, des mili­tants se dis­tinguent comme de vrais apôtres, les per­sé­cu­tions les plus féroces ne peuvent en rien les inti­mi­der. Autant qu’ils le peuvent, ils rendent à la bour­geoi­sie coup pour coup, La Fédé­ra­tion patro­nale décla­rait récem­ment que 400 patrons avaient mor­du la pous­sière depuis la décla­ra­tion du « lock out », c’est-à-dire, depuis envi­ron huit mois ; quant aux poli­ciers qui ont subi le même sort, leur nombre ne se compte plus. À Bar­ce­lone et dans toute la pro­vince de ce nom, les Syn­di­cats sont mis hors la loi ; mal­gré cela, le mou­ve­ment syn­di­ca­liste est tou­jours aus­si fort et se mani­feste chaque jour sous une forme invi­sible qui décon­certe et ter­ro­rise les défen­seurs de l’ordre, des indi­vi­dus aux ins­tincts féroces qui avouent avoir fait le sacri­fice de leur vie. Un cama­rade meurt en pri­son ; toutes les usines s’arrêtent, et au moment où le corps va sor­tir pour être trans­por­té au lieu de l’inhumation, les syn­di­ca­listes en foule sont là prêts à rendre les der­niers hom­mages à leur cama­rade. Pour­tant toutes les mesures avaient été prises pour qu’il n’y ait aucun arrêt de tra­vail et que per­sonne ne puisse assis­ter à l’enterrement du syn­di­ca­liste. Le chef de police, devant cette tou­chante soli­da­ri­té, hoche la tête et s’avoue impuis­sant à impo­ser sa dic­ta­ture aux tra­vailleurs rebelles.

Mais nos cama­rades espa­gnols, eux aus­si, ont mis beau­coup de leur confiance aux suc­cès des « années rouges ». D’après eux, elles arri­ve­ront bien­tôt en Espagne pour réduire en pous­sière tout le vieux régime. Lénine ouvri­ra de ses propres mains les portes des pri­sons. Pour les pay­sans illet­trés et super­sti­tieux, le dic­ta­teur de toutes les Rus­sies est une sorte de Christ qui doit nous libé­rer du joug capi­ta­liste pour nous faire connaître toutes les dou­ceurs du régime sovié­tiste. Mais quelle dés­illu­sion si les contin­gents bol­che­vistes, com­man­dés par Lénine, ne peuvent fran­chir les Pyré­nées pour déli­vrer à temps les mal­heu­reux pro­lé­taires espa­gnols si igno­mi­nieu­se­ment exploi­tés par un régime, certes très ver­mou­lu, mais que les intrigues des poli­ti­ciens de tout aca­bit et l’ignorance des masses, assurent encore d’une longue existence

[/Laurent-Casas./]

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