La Presse Anarchiste

À travers le Monde

De notre cor­res­pon­dant particulier

Com­pa­rées aux élec­tions pour la Consti­tuante, les nou­velles élec­tions ne montrent aucun chan­ge­ment réel dans les forces en pré­sence. La pro­por­tion des voix bour­geoises, en face de celles des socia­listes, c’est-à-dire des ouvriers, est res­tée envi­ron la même. La social-démo­cra­tie majo­ri­taire, mal­gré son affai­blis­se­ment impor­tant, est res­tée le par­ti le plus fort. Ce qu’il a per­du de voix est allé, pour la plus grande par­tie, aux socia­listes indé­pen­dants, qui sont deve­nus, par ordre d’importance, le deuxième Par­ti du Reichs­tag. La carac­té­ris­tique de ces élec­tions est le nombre impor­tant des abs­ten­tions, et une accen­tua­tion aus­si bien vers la droite que vers la gauche. Les indé­pen­dants comptent aujourd’hui les quatre cin­quièmes des sièges pos­sé­dés par les majo­ri­taires, contre un dixième autre­fois. L’accentuation de la droite se fait sen­tir par une forte rétro­gra­da­tion du par­ti démo­cra­tique qui, en face du par­ti natio­nal-alle­mand (autre­fois « conser­va­teur »), et du par­ti popu­laire (autre­fois « natio­nal-libé­ral »), a per­du toute impor­tance. Les rai­sons de ces abs­ten­tions et de cette accen­tua­tion vers la droite et la gauche sont, au fond, les mêmes : déses­poir en face de a faillite de ce gou­ver­ne­ment cen­tra­liste, qui n’a su maî­tri­ser les dif­fi­cul­tés énormes sus­ci­tées par l’effondrement mili­taire et la débâcle économique.

Que signi­fient ces élec­tions pour le déve­lop­pe­ment poli­tique à venir ? Leur signi­fi­ca­tion se mani­fes­te­ra en pre­mier lieu pour la for­ma­tion du cabi­net. Les majo­ri­taires sont réso­lus de ne pas prendre part à un cabi­net dans lequel sont repré­sen­tés les par­tis de la droite ; ils ne veulent pas non plus recons­ti­tuer la vieille com­bi­nai­son (démo­crates, centre catho­lique et social-démo­crates). Jusqu’à pré­sent, ils sont res­tés fidèles à cette déci­sion, et s’ils conti­nuent dans cette voie — ce qui est pro­bable — cela peut avoir des consé­quences impor­tantes sur la situa­tion poli­tique. La cause de cette orien­ta­tion se trouve dans les pertes énormes subies aux élec­tions, et ce mal­gré les nom­breux élé­ments de com­pro­mis­sion que ce par­ti ren­ferme. D’ailleurs, les élec­tions ont infu­sé un sang nou­veau au par­ti. Les déci­sions en ques­tion du Par­ti majo­ri­taire ont été prises presque una­ni­me­ment. Main­te­nant qu’une com­bi­nai­son socia­liste a échoué, à cause du refus des indé­pen­dants d’en faire par­tie, les majo­ri­taires n’ont guère d’autre res­source que de res­ter, avec les indé­pen­dants, dans l’opposition. Cela signi­fie, en réa­li­té, un revi­re­ment vers la gauche. Les par­tis bour­geois, qui ont sus­ci­té tant de dif­fi­cul­tés aux social-démo­crates oppor­tu­nistes et majo­ri­taires dans le gou­ver­ne­ment, ne seront pas contents de ce fait, et ils se repen­ti­ront de leur tac­tique imbé­cile, qui a été la cause de ce mou­ve­ment vers la gauche. Un cabi­net bour­geois n’aura qu’une base pré­caire, car une par­tie des démo­crates, véri­tables, bien que bour­geois, ain­si que les repré­sen­tants des inté­rêts des tra­vailleurs que compte le centre, seront, dans des ques­tions cri­tiques, enclins de voter avec la forte oppo­si­tion socia­liste. Un tel minis­tère dure­ra d’autant moins que le pays tra­verse de grandes dif­fi­cul­tés éco­no­miques. Jusqu’à la nou­velle mois­son, on aura de la peine à se nour­rir, et même après, ce ne sera qu’un court répit, mais nul­le­ment une amé­lio­ra­tion de la situa­tion ali­men­taire. Les dif­fi­cul­tés, qui découlent de la baisse de l’argent, etc., com­mencent seule­ment à se faire sen­tir d’une façon plus aiguë. On pré­voit de grandes grèves, et les mesures du gou­ver­ne­ment dans la voie des secours de chô­mage, qui néces­sitent natu­rel­le­ment de fortes dépenses, ne peuvent guère abou­tir. On a le sen­ti­ment de se trou­ver à la veille de grands évé­ne­ments éco­no­miques et poli­tiques, c’est-à-dire tou­jours au com­men­ce­ment de la Révo­lu­tion, car une année et demie n’est pas beau­coup, pour une Révo­lu­tion. Un cabi­net bour­geois, loin de remé­dier à une telle situa­tion, pro­vo­que­ra, au contraire, un conflit des forces en dehors du Par­le­ment. Le résul­tat des élec­tions sera donc plu­tôt d’amener des déci­sions dans la rue que dans le Par­le­ment. Il est dif­fi­cile de savoir si les social-démo­crates se réjouissent de ce résul­tat, car les indé­pen­dants ont, sur le ter­rain, de la poli­tique et de l’administration, des idées confuses. Autant nous appré­cions leur tem­pé­ra­ment révo­lu­tion­naire, aus­si peu claires et solides sont leurs concep­tions théo­riques. Nous crai­gnons qu’ils aient les mêmes pen­chants cen­tra­listes et jaco­bins que les majo­ri­taires. Pour cette rai­son, il est dif­fi­cile de dire si les élec­tions amè­ne­ront un pro­grès. Tout au plus pour­raient-elles contri­buer à un éclair­cis­se­ment de la situa­tion, par l’accentuation des contrastes entre les camps bour­geois et socialistes.

[/B.K./]

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