Mme Snowden, femme du membre du parlement britannique, « défaitiste » et bolcheviste de la première heure, et elle-même très germanophile et bolcheviste, a déclaré à son retour de Russie que le paradis bolcheviste ressemblait beaucoup à l’Enfer, décrit par Dante Alighieri. Elle attribue une grande partie du mal au blocus ; il faut que le blocus soit levé à tout prix. Nul esprit sensé ne le conteste. Mais le blocus existait avant l’avènement du bolcheviste en Russie, et pourtant, tant bien que mal, le peuple mangeait ; aujourd’hui c’est la famine complète. Pourquoi cela ? Mme Snowden, nous le dit tout de suite. Le paysan russe, devenu possesseur du sol, se refuse à ravitailler les villes petites et grandes, et il se moque de tous les décrets et de toutes les proclamations de Lénine et de ses acolytes. En échange de ses produits il exige quelque chose d’une valeur tangible ; pour lui le papier-monnaie du Gouvernement de Moscou n’a aucune valeur, il veut donc qu’on lui donne des objets dont il peut de suite tirer un profit avantageux, c’est-à-dire, des instruments divers, des vêtements, des conserves, etc. C’est précisément ce que ne peut lui fournir les soviets. Puis, au paysan russe il est inutile de parler de sentiments, de lui dire que la nation entière se meurt de manque de blé, cela ne l’émeut guère ; il veut d’abord travailler pour lui, ensuite pour lui encore, et enfin, pour lui toujours. C’est sa morale, et il sera bien difficile de la lui changer.
Un professeur français de retour de Russie, où il a vécu pendant des années, nous donne une idée de ce qu’est actuellement la mentalité du peuple dans l’ex-empire des tsars : « Malgré les rigueurs bolchevistes, déclare ce Français, pour faire fonctionner dans leur affreux désespoir l’armée du travail qu’ils venaient de créer, ils n’ont pu arriver qu’à une chose : à n’obtenir qu’un rendement nul de l’effort de chacun. Car si les clous manquent et les haches et les scies, quand le fer et le bois sont dans le pays, c’est une chose bien terrible, mais à laquelle on pourrait avec le temps et la paix, remédier. Ce qu’on ne pourrait faire, c’est reconstruire, rebâtir la machine humaine. Tout le monde au travail, ont-ils crié, la journée de huit heures… Rêve que cela, au travail ! Car tout le monde travaille, mais personne ne fait rien. Vous avez brisé les forces, l’énergie, la fierté de l’homme et la machine humaine ne peut donner aucun rendement. On ne travaille pas, parce qu’on ne le peut, et le résultat de l’effort de chacun est l’improduction ! »
Mais l’instruction publique dans la grande République russe, n’est-ce pas quelque chose d’admirable ? Écoutez plutôt ce que nous dit le camarade A. Lounatcharsky, Commissaire du Peuple pour l’Instruction Publique, dans un article publié par les Izvestia, un organe bolcheviste : « En vérité, écrit ce ministre de Lénine, parlant de son ministère, c’est un commissariat malheureux. Les locaux des écoles sont occupés sans aucun égard et sans pitié, tantôt par des hôpitaux, tantôt par des casernes, tantôt par des écoles militaires. Et avec la même rigueur on mobilise les instituteurs, les étudiants, les élèves des classes supérieures et les employés du commissariat. Les besoins de l’instruction publique sont toujours rejetés au dernier plan et on satisfait en premier lieu les autres administrations, même en ce qui concerne le papier monnaie. À côté des actes effectifs et douloureux d’un demi-sabotage de la part des instituteurs, il fallait enregistrer, et il le faut encore à présent, que les instituteurs sont traités comme des parias. J’ai des tiroirs pleins de lettres et de télégrammes témoignant que dans toute une série de départements et de districts les instituteurs ne reçoivent aucune ration. Nous avons des cas de suicide dus à la faim ; il y a même des désertions parmi les instituteurs des écoles. »
Notre grand Cachin, un des plus dignes représentants de la dictature du prolétariat en France, vient de se faire traiter de « sale bourgeois »n par une assemblée de bolchevistes ; ce qui veut dire, que si bolcheviste que soit un homme il trouve toujours un plus bolcheviste que lui pour lui coller au front le qualificatif qu’il mérite. Mais l’humour de cette histoire, c’est que ceux qui voulaient insulter le plus Cachin bolcheviste de France appartiennent à la même espèce bourgeoise que lui.
Par contre les membres de la délégation italienne ont été royalement reçus et fêtés par les Camarades du Gouvernement de Moscou, et soulevé par un enthousiasme qu’il est facile de comprendre, l’un des Italiens s’est écrié : « Bientôt on n’entendra plus par le monde que le son du canon de l’Armée Rouge. » C’est que cette délégation n’était composée que de « Camarades » triés sur le volet, par le grand Parti Socialiste italien, et ceux-ci ne sont pas que de simples politiciens, ils appartiennent aussi à cette espèce qu’il n’est pas possible de corrompre puisqu’elle l’est depuis longtemps déjà. Et notre Cachin, si cachin soit-il, ferait piètre figure à côté d’eux.