La Presse Anarchiste

Le C.E.T. et la nationalisation

Ce n’est pas sans une cer­taine méfiance que les esprits fon­ciè­re­ment révo­lu­tion­naires ont accueilli la consti­tu­tion, par la C.G.T., du Conseil Éco­no­mique du Tra­vail. La démis­sion moti­vée d’un des membres de ce Conseil vient don­ner un ali­ment à nos craintes.

Disons tout de suite que la lettre de démis­sion du citoyen Lau­nat, que publie la Vie Ouvrière, tranche favo­ra­ble­ment par son ton sobre sur le lan­gage acri­mo­nieux de ce der­nier journal.

Lau­nat com­mence par décla­rer qu’il est « à l’aile droite du par­ti socia­liste » et qu’au sein de l’Union des Syn­di­cats de la Seine, il n’a ces­sé « d’y approu­ver la poli­tique des diri­geants de l’organisation syndicale ».

Cepen­dant, membre de la deuxième Com­mis­sion du C.E.T., char­gée de poser les prin­cipes de la « natio­na­li­sa­tion indus­tria­li­sée » et d’élaborer un pro­jet de natio­na­li­sa­tion des che­mins de fer, il a vai­ne­ment pro­tes­té contre le prin­cipe du rachat des entre­prises à natio­na­li­ser et celui de la conver­sion des titres capi­ta­listes en obli­ga­tions à inté­rêt fixe, garan­ti par l’État, prin­cipes adop­tés par la Com­mis­sion, qui a refu­sé d’examiner les contre-pro­po­si­tions de Launat.

Celui-ci sou­ligne les « charges écra­santes » que repré­sen­te­raient le rachat de toutes les entre­prises à natio­na­li­ser et la garan­tie d’intérêt. Et il poursuit :

J’estime que la classe ouvrière a mieux à faire qu’à ren­flouer les vieux bateaux du par­ti radi­cal des eaux stag­nantes où le temps, qui est un grand jus­ti­cier, les a ense­ve­lis. Vous tra­vaillez sur un plan où nous ne pou­vons plus mar­cher ensemble. Le C.E.T. entend conser­ver les prin­cipes essen­tiels de l’ordre capi­ta­liste — la pro­prié­té indi­vi­duelle et indé­fi­ni­ment héré­di­taire et, dans une large mesure même, la liber­té éco­no­mique : le pro­jet de direc­tion géné­rale de l’économie natio­nale que vous pré­pa­rez se borne à fédé­rer toutes les branches de l’activité capi­ta­liste et à les confé­dé­rer en un vaste trust natio­nal de la pro­duc­tion aux mains du grand patro­nat, sous la garan­tie illu­soire d’une par­ti­ci­pa­tion ouvrière que les capi­ta­listes intel­li­gents sont loin de redou­ter, allez, et qu’ils sou­haitent même afin de cou­vrir leurs pri­vi­lèges d’une appa­rence de légi­ti­mi­té et d’en per­pé­tuer les abus.

En véri­té, je n’ai plus rien à faire dans un tel C.E.T. ! À mesure que je vous connais­sais mieux, vos amis et vous, se révé­lait à moi la rai­son pro­fonde de l’opposition qui vous est faite, au sein de la C.G.T., et que j’avais le grand tort, jusqu’ici, d’attribuer à des res­sen­ti­ments per­son­nels. Mais non : c’est bien vrai qu’entre vos adver­saires et vous il existe une dif­fé­rence radi­cale d’interprétation du syn­di­ca­lisme et des aspi­ra­tions ouvrières ; entre eux et vous, il y a l’abime qui sépare ceux qui veulent trans­for­mer de ceux qui veillent conser­ver, qui sépare (lais­sez-moi vous le dire, après tout ce que j’ai vu et enten­du) ceux qui ont la foi socia­liste des scep­tiques qui l’ont perdue.

Je suis convain­cu aujourd’hui que, du C.E.T., tel que vous l’avez consti­tué, avec le concours d’éléments qui jouent un rôle pré­pon­dé­rant dans son comi­té direc­teur, quoique étran­gers à notre orga­ni­sa­tion syn­di­cale et même à la classe ouvrière (et ce n’est pas aux fonc­tion­naires que je pense), rien de bon ne sor­ti­ra pour le syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire et pour le socialisme.

Nous n’allons pas ici faire aujourd’hui le pro­cès du C.E.T. Mais nous revien­drons, dans de pro­chains numé­ros, sur la natio­na­li­sa­tion. Il serait, notam­ment, utile de connaître, sur cette ques­tion, l’opinion de tech­ni­ciens compétents

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