La Presse Anarchiste

Opinions

Notre cama­rade Des­planques n’a pu écrire d’article sur la der­nière grève. Il est pour­tant inté­res­sant de connaître son opi­nion, et je me per­mets de para­phra­ser une lettre, que je viens de rece­voir de lui.

Des­planques paraît tra­ver­ser une phase de pes­si­misme. Mais il retrouve son opti­misme en consta­tant que, lors de la der­nière grève, la pro­vince a mon­tré « plus de foi sin­cère dans l’action ouvrière et moins d’égoïsme que notre grande ville ».

C’est, en effet, une consta­ta­tion récon­for­tante. Jusqu’alors, dans l’histoire révo­lu­tion­naire, Paris était le centre, quel­que­fois unique, du mou­ve­ment. Ain­si s’explique la tac­tique de Blan­qui : sai­sir toute occa­sion pour ten­ter un coup de main en vue de s’emparer du pou­voir dans la capi­tale, et ins­tau­rer (bien avant les bol­che­vistes) la dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat. C’était là, pour le moins, un pro­cé­dé un peu aléa­toire. Et il est plus ras­su­rant aujourd’hui de voir que, mal­gré la cam­pagne d’une presse men­son­gère, le der­nier mou­ve­ment gré­viste, quoique mal enga­gé et mal conduit, ait pu tenir si long­temps en pro­vince. Et encore s’agissait-il d’une reven­di­ca­tion d’ordre social, assez éloi­gnée des inté­rêts immé­diats. Vrai­ment, l’idée de révo­lu­tion a fait du chemin.

Tout a été mis en œuvre pour faire som­brer la grève. Il est même per­mis de sup­po­ser que le mou­ve­ment de révolte était dési­ré par le gou­ver­ne­ment, pour écœu­rer la classe ouvrière et immu­ni­ser la socié­té bour­geoise pour quelque temps contre de nou­velles secousses. Dans ce cas, les mino­ri­taires sont res­pon­sables d’avoir été aveu­glés par leur amour-propre et leur impatience.

Mais il ne faut pas oublier non plus la res­pon­sa­bi­li­té des majo­ri­taires. Et je reviens à la lettre de Des­planques. Celui-ci nous dit avec un peu d’amertume qu’il a vai­ne­ment com­bat­tu la grève par paliers, qu’il qua­li­fie d’expédient.

Il a aus­si lut­té inuti­le­ment contre la convo­ca­tion du Comi­té natio­nal, pro­cé­dé déloyal pour faire endos­ser à ce Comi­té la res­pon­sa­bi­li­té de la liqui­da­tion d’une situa­tion qui effrayait ceux qui l’avaient créée.

Des­planques fut seul de son avis.

« Le syn­di­ca­lisme, dit-il, s’embourbe daim l’équivoque de l’inté­rêt géné­ral, qui fait dis­pa­raître l’esprit de classe pour lui sub­sti­tuer un men­songe décevant. »

J’ajoute que toutes les for­mules géné­rales subissent le même sort. Celle de la lutte de classes a abou­ti à l’égoïsme de classe ; on s’en est ser­vi pour se dés­in­té­res­ser de tout idéa­lisme humain, pour s’abstenir de toute géné­ro­si­té qui dépas­sât les bornes de l’intérêt stric­te­ment corporatif.

L’intérêt géné­ral est une for­mule hypo­crite, employée pour sau­ve­gar­der les pri­vi­lèges de la bour­geoi­sie. Au nom de cette for­mule, on a la pré­ten­tion d’imposer à la classe ouvrière tous les devoirs et tous les sacri­fices — au pro­fit de qui ?

Des­planques a rai­son de dénon­cer l’équivoque.

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Laurent Casas, dans le der­nier numé­ro des Temps Nou­veaux, dit l’espérance des pro­lé­taires espa­gnols dans le triomphe du bol­che­visme uni­ver­sel et la venue du nou­veau Messie.

Faut-il s’en moquer ? Je crois, au contraire, qu’est tou­chante cette espé­rance de pauvres diables, ter­ri­ble­ment exploi­tés, vers une déli­vrance pro­chaine. Ils ont appris, plus ou moins confu­sé­ment, qu’en Rus­sie, et en Rus­sie seule­ment, il y a un essai d’émancipation pro­lé­ta­rienne, et que le gou­ver­ne­ment révo­lu­tion­naire de là-bas pro­clame sa soli­da­ri­té avec les pro­lé­taires du monde entier. 

Si nous n’avons pas d’admiration pour le régime bol­che­viste, recon­nais­sons la haine que les bol­ché­vistes ins­pirent aux bour­geois et la sym­pa­thie qu’ils ont par­mi la classe ouvrière.

[/​M. Pier­rot./​]

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