La Presse Anarchiste

Le “Birth control”

Depuis quelques années, “Com­bat”, “Marie-Claire”, “Elle”, “Science et Vie”, “France-Obser­va­teur”, “L’Ex­press”, etc. parlent de “birth control”. La ques­tion est deve­nue encore plus actuelle depuis quelques mois, avec l’é­mis­sion télé­vi­sée du 13/​10/​1960, puis l’en­quête de “France-Soir” du 11/​3/​1961 au 26/​3/​1961 – sans comp­ter tous les livres, confé­rences, et, en 1960, la trans­for­ma­tion de l’as­so­cia­tion “Mater­ni­té Heureuse“en “Mou­ve­ment fran­çais pour le Plan­ning Fami­lial” [[Mater­ni­té Heu­reuse, 97 rue de Mon­ceau, Paris 8.]].

La loi contre laquelle, en France, on s’in­surge ain­si date de 1920 (rap­pe­lons qu’elle inter­dit de “divul­guer ou d’of­frir de révé­ler les pro­cé­dés propres à pré­ve­nir la gros­sesse, ou de faci­li­ter l’u­sage de ces pro­cé­dés”). Pour­quoi aura-t-il fal­lu une qua­ran­taine d’an­nées pour que ces ques­tions remontent à la sur­face ? Que recherche-t-on et vers quoi peut-on main­te­nant espé­rer tendre ?

Pour éclai­rer ces pro­blèmes, nous pen­sons qu’il sera bon de décrire tout d’a­bord les tech­niques, car elles sont la plu­part du temps évo­quées très som­mai­re­ment et par “pudeur” peu de gens posent des ques­tions sur ce sujet “tabou”, puis de voir le point de vue dans lequel fonc­tionnent les cli­niques de birth control dans les pays qui les auto­risent ; enfin, par­tant des réac­tions indi­vi­duelles et psy­cho­lo­giques qui jouent un grand rôle dans ce domaine, nous ter­mi­ne­rons par les diverses posi­tions en présence.

Les techniques

Il s’a­git de per­mettre l’acte sexuel et d’empêcher la concep­tion : c’est la contra­cep­tion. Il existe de nom­breuses méthodes, dont cer­taines bien étu­diées et mises au point dans les pays rat­ta­chés à “l’In­ter­na­tio­nal Plan­ned Paren­thood Fede­ra­tion” [[I.P.P.F., 69 Eccles­ton Square, Lon­don SWI.]] (ces pays sont : l’Aus­tra­lie, la Bar­bade, Bel­gique, les Ber­mudes, Cey­lan, Dane­mark, Fin­lande, Grande-Bre­tagne, Hol­lande, Hong-Kong, Inde, Ita­lie, Jamaïque, Japon, île Mau­rice, le Népal Nou­velle-Zélande, Pakis­tan, Pologne, Por­to-Rico, Sin­ga­pour, Suède, Suisse, Thaï­lande, Union de l’A­frique du Sud, États-Unis d’A­mé­rique, Alle­magne de l’Ouest – La France y est repré­sen­tée par la “mater­ni­té heu­reuse”). L’en­semble en est décrit dans “La libre Concep­tion à l’Étranger”, du Dr Weill-Hal­lé [[“La libre concep­tion à l’É­tran­ger”, Dr Lagroua Weill-Hal­lé, Maloine 1958, 190p.]].

1) Méthodes sans inter­ven­tion médicale :

— colt inter­rom­pu : l’homme se retire avant l’é­ja­cu­la­tion, mais attend pour cela l’or­gasme de la femme. L’é­ja­cu­la­tion se fait à l’ex­té­rieur (c’est “le crime d’Onan”).

— coït réser­vé : l’homme ne va pas jus­qu’à l’é­ja­cu­la­tion, qui n’a pas lieu ; la femme peut atteindre l’orgasme.

— Ogi­no-Knauss : le couple limite ses rela­tions sexuelles aux périodes pré­su­mées infé­condes de la femme (en prin­cipe : sté­ri­li­té les 7 pre­miers jours à par­tir des règles, fécon­di­té les 12 jours sui­vants puis sté­ri­li­té jus­qu’aux règles sui­vantes). Ces périodes peuvent être pré­ci­sées par la prise de tem­pé­ra­ture quo­ti­dienne (déca­lage au moment de l’o­vu­la­tion, c’est-à-dire au 14ème jour, milieu du cycle).

— douche vagi­nale : elle agit davan­tage par action méca­nique, débar­ras­sant le vagin du sperme, que par les sub­stances chi­miques qu’on peut essayer d’employer.

2) Méthodes médi­cales à effet prolongé :

— pré­ser­va­tifs fémi­nins pla­cés dans le col ou dans l’u­té­rus par un spé­cia­liste, et éga­le­ment enle­vé par lui.

3) Méthodes médi­cales à effet définitif :

— vasec­to­mie : sec­tion chi­rur­gi­cale des conduits mas­cu­lins des spermatozoïdes.

— sal­pin­go­to­mie : inter­ven­tion sur les trompes, ou conduits fémi­nins des ovules.

Ces trois séries de méthodes ont toutes de gros inconvénients :

— L’ef­fi­ca­ci­té en est dis­cu­table : des sper­ma­to­zoïdes peuvent péné­trer et res­ter dans les voies fémi­nines, même avant l’é­ja­cu­la­tion – d’où gros­sesse, mal­gré le coït inter­rom­pu ; dans le cas de la méthode Ogi­no, un rhume, une insom­nie, une mau­vaise diges­tion peuvent modi­fier la tem­pé­ra­ture, cer­taines femmes peuvent avoir plu­sieurs ovu­la­tions dans le même mois, et enfin la durée exacte de sur­vie des sper­ma­to­zoïdes dans les voies géni­tales fémi­nines est mal connue – il n’y a donc aucune garan­tie, et l’on a vu des concep­tions après des rap­ports pen­dant les règles.

Quant à la douche vagi­nale, signa­lons qu’elle n’est effi­cace que si elle est pra­ti­quée dans les 2 minutes qui suivent l’é­ja­cu­la­tion, pas plus tard ; et que même quel­que­fois le sperme a péné­tré d’emblée au niveau du col, la douche ne l’at­teint pas.

Les pré­ser­va­tifs lais­sés en place à longue durée peuvent bou­ger et une gros­sesse s’en­suivre. Les inter­ven­tions chi­rur­gi­cales enfin, sont, elles, par­fai­te­ment effi­caces, mais irréversibles.

— Les consé­quences de leur uti­li­sa­tion peuvent être dan­ge­reuses : le coït inter­rom­pu, prin­ci­pa­le­ment, modi­fie l’acte sexuel et entraîne dans les deux sexes des troubles impor­tants liés à une insa­tis­fac­tion qui reten­tit sur l’en­semble de l’or­ga­nisme, en par­ti­cu­lier sur le psy­chisme avec inadap­ta­tions, dif­fi­cul­tés de tous ordres, jus­qu’à des névroses graves.

La méthode Ogi­no, à cause de ces périodes impo­sées qui ne cor­res­pondent pas aux besoins et aux ins­tincts nor­maux, et sur­tout par son insé­cu­ri­té déjà bien connue, d’où l’an­goisse, donne lieu éga­le­ment à des troubles psy­chiques. Quant aux pré­ser­va­tifs pla­cés en per­ma­nence, ils risquent tous d’en­traî­ner des infec­tions, des irri­ta­tions, des per­fo­ra­tions même, qui les rendent extrê­me­ment dangereux.

4) Méthodes ensei­gnées dans les centres de contra­cep­tion (Angle­terre [[The Fami­ly Pla­ning Asso­cia­tion, 64 Sloane street, Lon­don SWI (envoi de toute docu­men­ta­tion, biblio­gra­phie, films, maté­riels sur demande).]], U.S.A.):

— Pré­ser­va­tifs mas­cu­lins, ou condoms, ou capotes anglaises : indi­qués pour les couples dont ils ne gênent pas la sen­si­bi­li­té locale, lorsque l’homme est dési­reux d’as­su­rer lui-même la res­pon­sa­bi­li­té de la contra­cep­tion d’une manière sui­vie et sans négli­gences, ou lorsque la femme a des dif­fi­cul­tés psy­chiques ou locales à uti­li­ser les pré­ser­va­tifs fémi­nins. Pré­cau­tion : sur­veillance de l’in­té­gri­té du condom, uti­li­sa­tion paral­lèle de gelée par la femme.

— Pré­ser­va­tifs fémi­nins, ou pes­saires, ou dia­phragmes et capes, ain­si que sub­stances chi­miques seules ou associées :
– gelée seule intro­duite dans le vagin,
– tablettes effer­ves­centes seules, pla­cées dans le vagin. Dans les deux cas, il faut lais­ser le pro­duit agir pen­dant les 8 heures qui suivent l’acte sexuel, sans douche ni lavage pen­dant cette période,
– les capes coif­fant le col uté­rin et les dia­phragmes obtu­rant le fond du vagin dont le type et taille doivent être choi­sis par le méde­cin, sou­vent uti­li­sés avec la gelée – le tout mis en place par la femme elle-même (après deux essais sous sur­veillance médi­cale), de 2 heures à une demi-heure avant l’acte sexuel et lais­sé en place un mini­mum de 8 heures après, puis reti­ré et soi­gneu­se­ment net­toyé, conser­vé et véri­fié. Une sur­veillance médi­cale est néces­saire une fois par an et après chaque gros­sesse ou inter­ven­tion. Le maté­riel doit être éga­le­ment renou­ve­lé une fois par an,

— Les pilules [[“News of Popu­la­tion and Birth Control”, Bul­le­tin en fran­çais de l’I.P.P.F., novembre 1960.]] récem­ment entrées en usage (après cinq ans d’es­sais) doivent être prises à des dates bien pré­cises. Il semble qu’elles n’en­traînent plus actuel­le­ment de malaises, mais les effets à longue durée ne sont évi­dem­ment pas encore bien connus.

Ces méthodes, d’u­sage pra­tique, simple, rapide, employées cha­cune avec toutes les pré­cau­tions indis­pen­sables, donnent de bons résul­tats que l’on peut expri­mer ain­si : si l’on base le cal­cul (d’a­près les don­nées sta­tis­tiques) sur le chiffre de 100 années de vie fémi­nine, chaque méthode don­ne­rait pen­dant ces 100 années le nombre de gros­sesses suivant :

Coït inter­rom­pu 12,38
Ogi­no 14
Douche vagi­nale 36
Condoms 6,19
Gelée seule 9,38
Tablettes vagi­nales 17,27
Cape cer­vi­cale 8
Dia­phragme 6,29
Pilules (sous réserve) 2,2

Ces 100 années (qui cor­res­pondent à peu près à la vie géni­tale de 4 femmes) don­ne­raient un chiffre mini­mum de 40 gros­sesses chez des femmes n’u­ti­li­sant aucune méthode anticonceptionnelle.

Les principes du “Birth Control”

Les rai­sons invo­quées dans tous les pays “birth control“en faveur de la contra­cep­tion et de l’es­pa­ce­ment des nais­sances, sont déjà assez connues. Rap­pe­lons-les, ain­si que la prise de posi­tion de l’I.P.F.F.:

“Mal­thus avait pré­co­ni­sé de réduire le nombre des nais­sances de peur que la popu­la­tion ne s’ac­croisse trop par rap­port aux res­sources éco­no­miques de notre globe. Les néo-mal­thu­siens pré­co­nisent l’acte conju­gal modi­fié pour ne pas entraî­ner la concep­tion. L’es­pa­ce­ment des nais­sances est une mesure appar­te­nant à la méde­cine pré­ven­tive qui ne veut rien avoir de com­mun avec la théo­rie néo-mal­thu­sienne sur la sur­po­pu­la­tion. L’es­pa­ce­ment des nais­sances est ren­du néces­saire par le seul fait que l’in­ter­valle nor­mal entre les nais­sances dans des condi­tions pure­ment natu­relles n’est pas suffisant”.

En effet, en par­tant de ce point vue médi­cal, l’u­sage des contra­cep­tifs dimi­nue la mor­ta­li­té infan­tile. En dehors des cas de mala­die (dia­bète, car­diaques, pul­mo­naires, malades men­taux) contre-indi­quant la gros­sesse – et pour les­quels, sou­li­gnons-le, le méde­cin fran­çais n’est pas auto­ri­sé par la loi à pres­crire les contra­cep­tifs (illé­gisme de la loi elle-même, puisque le méde­cin pour­rait alors être condam­né pour “non-assis­tance à per­sonne en danger”).

“Lorsque la durée moyenne entre deux accou­che­ments ne dépasse pas 16 mois, une grave menace pèse sur la san­té des femmes qui sont vouées à mettre au monde 3 enfants en 5 ans, soit 15 enfants au cours de leur vie conju­gale”. (Dr Boas) [[“Le Plan­ning Fami­lial” confé­rence du Dr Boas, vice-pré­sident de l’I.P.P.F., repro­duite dans le bul­le­tin tri­mes­triel d’in­for­ma­tion “La Mater­ni­té heu­reuse”, sep­tembre 1960.]]

Le Dr Boas sou­ligne que, à par­tir du deuxième enfant, au désir natu­rel d’a­voir des enfants se sub­sti­tue l’an­goisse de l’en­fant, qui n’est pas névro­tique, mais qui mine psy­cho­lo­gi­que­ment la femme, sape l’ac­cord des époux, détruit l’har­mo­nie familiale.

La pré­sence de l’en­fant non sou­hai­té nuit au ménage, et fait de l’en­fant un “enfant-pro­blème :

“L’en­fant accueilli dans la joie a le maxi­mum de chances de se déve­lop­per heu­reu­se­ment, pour le plus grand bien de la socié­té comme pour son bien personnel”(Dr. Berge) [[“Pro­blèmes psy­cho­lo­giques indi­vi­duels et fami­liaux posés par la den­si­té fami­liale”, Dr Berge, Sau­ve­garde de l’en­fance et mater­ni­té heu­reuse, sep­tembre 1958.]].

C’est dans ce but qu’a­git le méde­cin des cli­niques de birth control, en se basant sur 3 faits que le nombre d’en­fants cor­res­pon­dant à cette défi­ni­tion n’est pas un nombre abso­lu : chaque couple peut en dési­rer une quan­ti­té dif­fé­rente, mais c’est sur ce nombre d’en­fants “dési­rés” que se fonde le déve­lop­pe­ment har­mo­nieux de la famille. Le conseil du méde­cin n’est pas pour autant limi­té, car cer­tains fac­teurs peuvent entrer en jeu sans que le couple en soit conscient : d’où l’im­por­tance de la “cli­nique” et non pas de la dis­tri­bu­tion auto­ma­tique des contra­cep­tifs ; en voi­ci quelques exemples une femme peut être sté­rile sans le savoir, et uti­li­sant dès le début de sa vie de femme des contra­cep­tifs, elle s’a­per­ce­vra trop tard, le jour où elle vou­dra des enfants, qu’elle ne le peut plus, alors que plus tôt elle aurait eu plus de chances de pou­voir être gué­rie ; ras­su­rées par les contra­cep­tifs, per­dant toute angoisse, cer­taines femmes les uti­lisent à tort et à tra­vers, c’est ain­si qu’au Japon les pre­mières années de birth control don­nèrent des résul­tats désas­treux ; enfin de nom­breux couples, pour des rai­sons éco­no­miques, ou psy­cho­lo­giques (soit que le couple ne soit pas par­ve­nu à la matu­ri­té affec­tive suf­fi­sante pour dési­rer des enfants ; soit que l’un des deux refuse l’en­fant à l’autre, par crainte de perdre son confort, de perdre sa liber­té, par jalou­sie, etc.), s’ar­rêtent au pre­mier enfant et reportent la venue du deuxième à une époque plus tar­dive, époque où la femme ayant plus de trente ans est sou­vent deve­nue stérile.

Or, si les méfaits des familles “nom­breuses” sur la femme, sur les enfants, sur l’har­mo­nie du couple sont en géné­ral connus, on n’in­siste peut-être pas assez sur les risques cou­rus par l’en­fant unique : que celui-ci ait été vou­lu unique pour réa­li­ser des ambi­tions per­son­nelles, qu’il n’ait pas été vou­lu du tout, ou que les parents n’aient pu en avoir d’autres, il vient en tête de la pathologie :

“Il y a sur lui conver­gence de toutes les inquié­tudes, de toutes les angoisses, de toutes les ambi­tions, de toutes les exi­gences”. (Dr. Berge)

Le méde­cin se base donc sur le chiffre de 3 à 4 enfants par famille (Pro­fes­seur Debré), ce qui donne le moins d’en­fants carac­té­riels, le moins de délin­quants, le moins de troubles ner­veux, tout en tenant compte des dési­rs et des pos­si­bi­li­tés du couple, pour le conseiller, sachant par ailleurs que le bon­heur conju­gal est lié à la pos­si­bi­li­té d’é­vi­ter les gros­sesses lors­qu’on ne les désire pas.

Aspect individuel et psychologique

Il est néces­saire, après les don­nées tech­niques et médi­cales que nous venons de voir, et avant d’en­vi­sa­ger les prises de posi­tions théo­riques de diverses sortes, d’é­clai­rer les atti­tudes par­ti­cu­lières des indi­vi­dus de nos régions et de notre socié­té face à ce pro­blème ; car il s’a­git là en effet d’un pro­blème qui touche cha­cun en par­ti­cu­lier et sur lequel cha­cun réagit sui­vant sa for­ma­tion psy­cho­lo­gique et son condi­tion­ne­ment social, le fait prin­ci­pal étant que le chris­tia­nisme consi­dère l’acte sexuel comme “péché”.

L’a­na­lyse faite par Andrée Michel [[“À pro­pos du contrôle des nais­sances”, Andrée Michel, “Les Temps Modernes”, mars 1961.]] dans les “Temps Modernes” de toutes les ques­tions par­ve­nues à la Télé­vi­sion pen­dant l’é­mis­sion “Faire Face” du 13/​10/​1960, il res­sort que la grosse majo­ri­té des télé­spec­ta­teurs ignorent tout du birth control, se sentent uni­que­ment atteints dans leur liber­té par la loi de 1920, mais ne savent pas qu’il y a d’autres méthodes que l’a­vor­te­ment ou la sté­ri­li­sa­tion pour limi­ter les naissances.

Cette igno­rance explique en par­tie ce long temps mort depuis 1920, sans réac­tions, ou tout au moins sans réac­tions à reten­tis­se­ment. On peut dire aus­si qu’elle cor­res­pond un peu à ce grand dés­in­té­rêt géné­ral, à cette perte de res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle qui carac­té­risent la France actuelle ; W.Reich donne à cette atti­tude géné­rale une expli­ca­tion inté­res­sante, qui sans résoudre tout le pro­blème l’é­claire d’une lumière particulière :

“L’in­di­vi­du insa­tis­fait orgas­ti­que­ment (c’est-à-dire sexuel­le­ment) déve­loppe un carac­tère inau­then­tique et une peur de tout com­por­te­ment qu’il n’a pas médi­té aupa­ra­vant, c’est-à-dire de tout com­por­te­ment spon­ta­né et vrai­ment vivant” [[“La fonc­tion de l’or­gasme”, Wil­hem Reich, éd. L’Arche, 1952, 300p.]].

La sup­pres­sion sexuelle est un ins­tru­ment essen­tiel dans la pro­duc­tion de l’es­cla­vage éco­no­mique. Le refou­le­ment sexuel est d’o­ri­gine socio-éco­no­mique et non pas d’o­ri­gine bio­lo­gique”. (id.)

Tout le pas­sé chré­tien de notre socié­té s’est char­gé à long terme de “culpa­bi­li­ser” et de réfré­ner au maxi­mum la sexua­li­té ; cette for­ma­tion de cha­cun d’entre nous, ce refou­le­ment, mis en lumière par Freud, mais attri­bué par lui à une évo­lu­tion nor­male dans la psy­cho­lo­gie de l’in­di­vi­du, serait pour Reich le moyen de “tenir” l’in­di­vi­du au ser­vice de cette socié­té, de l’en rendre esclave.

Le tabou sexuel est en effet tou­jours là, tout autour de nous, en nous sans que nous le sachions : choi­sis­sons n’im­porte qui, nos voi­sins, des connais­sances, ceux avec qui nous tra­vaillons tous les jours, est-il fré­quent, est-il facile (sur­tout avec les femmes), de savoir quelque chose de leurs pro­blèmes sexuels, de leurs tech­niques de birth control ? Avec qui, et où peut-on évo­quer sans malaise les réa­li­tés de la sexualité ?

“Je sais, pour avoir tra­vaillé pen­dant de nom­breuses années par­mi les masses, que ce qu’elles vou­laient pré­ci­sé­ment, c’é­tait tou­cher au cœur du pro­blème : la recherche du bon­heur sexuel. Elles étaient déçues lors­qu’on leur don­nait des confé­rences savantes sur l’eu­gé­nique au lieu de leur expli­quer comme elles devaient éle­ver leurs enfants pour qu’ils soient vivants et non inhi­bés, com­ment les ado­les­cents pou­vaient faire face à leurs pro­blèmes sexuels et éco­no­miques, et com­ment les couples mariés pou­vaient affron­ter leurs conflits typiques”. (Reich)

“Faire des ser­mons sur la liber­té sans lut­ter conti­nuel­le­ment et réso­lu­ment à libé­rer la res­pon­sa­bi­li­té impli­quée dans la liber­té pour qu’elle puisse être à l’œuvre dans les évé­ne­ments de chaque jour, et sans créer en même temps les condi­tions préa­lables néces­saires à une telle liber­té, mène au fas­cisme”. (Reich)

L’homme de notre socié­té est deve­nu inca­pable de liber­té et avide d’au­to­ri­té, parce qu’il est plein de contra­dic­tions, ne peut se fier à lui-même et a peur. Si cet homme est ain­si, c’est que l’é­du­ca­tion sert uni­que­ment les fins de l’ordre social de l’é­poque, et n’a pas du tout pour but celui qu’elle pré­tend : “le bien-être” de l’en­fant. Dès le plus jeune âge, l’é­du­ca­tion de la pro­pre­té, l’exi­gence d’être sage, dis­ci­pli­né, ne cor­res­pondent pas à des besoins de l’en­fant, mais à ceux de la socié­té. Ils nous imprègnent tel­le­ment que nous n’y sommes même pas sen­sibles : qui d’entre nous, devant un enfant, n’au­ra pas eu cette exi­gence, et dès 3 ans celle qui la suit : l’in­ter­dic­tion de la mas­tur­ba­tion. Par la suite, toute une série d’in­hi­bi­tions de la sexua­li­té jus­qu’à la pri­va­tion sexuelle de l’a­do­les­cence, nous rendent nous-mêmes ins­tru­ments de cette famille et cette socié­té contrai­gnantes, en pas­sant bien sou­vent à côté de la famille “natu­relle” construite sur la rela­tion pro­fonde d’a­mour entre parents et enfants.

La conti­nence sexuelle exi­gée de l’a­do­les­cent a pour but de le rendre sou­mis à la socié­té et capable de mariage : plus tôt un ado­les­cent com­mence des rap­ports sexuels satis­fai­sants et moins il devient capable de se confor­mer à la stricte exi­gence morale sui­vant laquelle il ne peut avoir qu’un seul par­te­naire, et celui-ci pour toute la vie.

Du même ordre est l’in­ter­dic­tion offi­cielle ou morale de l’u­sage des méthodes anti­con­cep­tion­nelles : on condamne le plai­sir sexuel, même dans le mariage, s’il n’a pas pour but la pro­créa­tion, but “social” (il n’est pas éton­nant, de ce fait, que la reli­gion catho­lique par­ti­cipe à cette “contrainte”, comme nous le ver­rons plus loin).

“Si cha­cun sait que le mariage est une ins­ti­tu­tion sociale dont le but prin­ci­pal est d’as­su­rer la repro­duc­tion, il n’en est pas moins évident que la réus­site d’un mariage n’est pas fonc­tion du nombre d’en­fants qui en sont issus. C’est avant tout la réus­site des rela­tions humaines qui s’é­ta­blissent entre mari et femme”. (Cathe­rine Vala­brègue) [[“Contrôle des nais­sances et pla­ning fami­lial”, C. Vala­brègue, éd. de la Table Ronde,1960, 254p.]].

Les consé­quences de ces contraintes sociales sont alors la peur de la gros­sesse inévi­table ; celle-ci réveille les angoisses sexuelles infan­tiles et tous ces élé­ments se com­binent : de l’in­ter­dic­tion de la mas­tur­ba­tion pen­dant l’en­fance vient, par exemple, la peur de tou­cher le vagin et de là chez les femmes la crainte de l’u­sage des pro­cé­dés anti­con­cep­tion­nels et le recours comme moyen ultime lors­qu’elles sont accu­lées à l’a­vor­te­ment “cri­mi­nel” lequel à son tour est un point de départ pour de nom­breuses mani­fes­ta­tions névrotiques.

La peur de la gros­sesse altère la satis­fac­tion dans la joie chez l’homme et chez la femme et sup­prime l’at­ti­tude calme, aimante vis-à-vis des enfants qui en découle natu­rel­le­ment et qui est le mieux réa­li­sée quand le bon­heur, sexuel est le plus complet.

Ain­si naît un cercle vicieux : édu­ca­tion contrai­gnante don­nant des indi­vi­dus crain­tifs, inca­pables de res­pon­sa­bi­li­tés et inca­pables à leur tour de créer une famille har­mo­nieuse, d’a­gir effi­ca­ce­ment dans la socié­té, d’a­voir une vie “vivante”, créa­trice. Il y a donc aus­si une oppo­si­tion cer­taine entre la vie sexuelle nor­male, natu­relle, et la socié­té, celle-ci cher­chant à main­te­nir l’i­gno­rance et conser­ver ses contraintes pour gar­der l’homme dans un état d’escla­vage men­tal qui le rend inepte à toute atti­tude révolutionnaire.

Ter­mi­nons cette étude par quelques mots sur les dif­fé­rences dans les atti­tudes sur le birth control entre l’homme et la femme.

Signa­lons en par­ti­cu­lier que, par­mi les méthodes anti­con­cep­tion­nelles employées, les pré­ser­va­tifs mas­cu­lins le sont envi­ron pour 15% aux U.S.A., et seule­ment pour 2% à peu près en France, comme si l’homme, deve­nu égoïste et ne pre­nant pas ses res­pon­sa­bi­li­tés vis-à-vis de la femme, négli­geait l’u­sage pour­tant pos­sible même en France des pré­ser­va­tifs mas­cu­lins sous des pré­textes secon­daires, pré­fé­rant la lais­ser “se débrouiller”.

Signa­lons aus­si l’é­ton­ne­ment de l’é­cri­vain Han Suyin devant l’at­ti­tude “lâche” des hommes de nos pays qui par­tagent rare­ment les res­pon­sa­bi­li­tés de la concep­tion avec les femmes [[Lettre de Han-Suyin à la “Mater­ni­té heu­reuse”, bul­le­tin de sep­tembre 1960.]].

Il y a là une résis­tance de la popu­la­tion mas­cu­line à “l’é­man­ci­pa­tion” de la femme par la maî­trise de son rôle sexuel qui fait que dans notre socié­té la femme n’est pas encore éle­vée à la “digni­té de per­sonne” (Andrée Michel) [[“La Per­sonne, la Femme et le Mythe”, Andrée Michel, “La Mater­ni­té heu­reuse”, mars 1960.]].

L’homme s’op­pose aus­si à la “liber­té” de la femme que lui donne l’u­sage des contra­cep­tifs vis-à-vis de tous les hommes – et ce sont les hommes qui, en majo­ri­té, font les lois…

Positions théoriques

“Tous les cama­rades du bureau ont déci­dé d’é­ta­blir cette semaine leur plan de nais­sances pour la période du second plan quin­quen­nal. Les cama­rades de la cli­nique pour femmes et enfants ont ter­mi­né leur pla­ni­fi­ca­tion avant la date pré­vue et ont lan­cé un défi aux autres sec­tions du bureau… La sec­tion médi­cale et pré­ven­tive du bureau a accep­té le défi ; pas moins de 64% des membres ayant déjà des enfants ont garan­ti qu’ils n’au­raient plus d’en­fants pen­dant le second plan quin­quen­nal. D’autres sec­tions ont cer­ti­fié qu’ils dimi­nue­raient le nombre de nais­sances de 20%. pen­dant le pre­mier plan quin­quen­nal, à 4% pen­dant le deuxième plan quin­quen­nal ” (Wen Hui Pao, Shan­ghaï, 23/​1/​1958, cité par C. Valabrègue).

Le texte ci-des­sus n’est pas des­ti­né à pré­sen­ter ou dis­cu­ter les moyens et les buts là pour­sui­vis, mais à illus­trer le sens de res­pon­sa­bi­li­té qui doit être au centre de toute prise de posi­tion théorique.

Bref rap­pel historique.

Si le mou­ve­ment “Mater­ni­té Heu­reuse” date de 1955, la recherche d’un contrôle des nais­sances date de tou­jours. Sans aller jus­qu’à l’An­ti­qui­té (tous les livres “sacrés” juifs, hin­dous, musul­mans, chré­tiens, etc. donnent leurs opi­nions sur cette ques­tion) il est géné­ra­le­ment admis que Mal­thus (1766 – 1834) a été le pre­mier dans son “Essai sur le prin­cipe de la popu­la­tion” (1798) à envi­sa­ger théo­ri­que­ment le pro­blème de la popu­la­tion. Il nous semble que le pro­blème était à l’é­poque à l’ordre du jour car Condor­cet le traite dans son “Pro­grès de l’es­prit humain” (écrit en pri­son, 1790); d’autre part, Mal­thus a pris comme point de départ de ses réflexions le livre de William God­win (“Recherches sur le Jus­tice poli­tique” 1793).

À par­tir de cette époque, la plu­part des hommes poli­tiques, des éco­no­mistes ont à prendre position.

En 1873, la loi de Constock aux U.S.A., la loi du 23/​7/​1920 en France marquent les vic­toires de l’op­po­si­tion au contrôle des nais­sances. Mais dès 1823 (publi­ca­tion du livre de Fran­cis Place) en Angle­terre s’or­ga­nise un impor­tant mou­ve­ment qui sous l’im­pul­sion du Dr Drys­dale en 1877 forme la Mal­thu­sian League ; la doc­to­resse Jacobs ouvre en 1878 à Amster­dam la pre­mière cli­nique de birth control. En France, sous l’im­pul­sion de Paul Robin, en 1896, est fon­dée la “Ligue de régé­né­ra­tion humaine”. En 1900, au pre­mier congrès néo-mal­thu­sien inter­na­tio­nal se crée la “Fédé­ra­tion uni­ver­selle des Ligues mal­thu­siennes”. On connaît les efforts per­sis­tants et cou­ra­geux de nom­breux mili­tants de cette lutte : P ; Robin, Eugène et Jeanne Hum­bert, Dr Dal­sace, E. Armand, Deval­dès, L. Lecoin, Ch. A. Bon­temps, A. Devraldt, etc.

Actuel­le­ment, le point de départ dans la lutte pour le contrôle des nais­sances est avant tout médi­cal. Nous avons déjà mon­tré dans les prin­cipes de l’I.P.P.F. qu’elle ne se base pas sur une posi­tion néo-mal­thu­sienne mais sur la méde­cine pré­ven­tive. Elle pré­tend même que dans les pays comme les U.S.A., l’An­gle­terre, la France, la pra­tique du birth control n’in­fluence pas sen­si­ble­ment le taux de nais­sances ; le point de départ n’est donc pas démo­gra­phique et les consé­quences ne le sont pas non plus (celles-ci sont indi­vi­duelles ; bon­heur sexuel, enfant dési­ré, dimi­nu­tion des avor­te­ments, etc.). Dans d’autres pays comme le Japon, les Indes, la Chine, on uti­lise le même moyen, contrôle des nais­sances, dans un but avant tout démo­gra­phique, et les résul­tats sont appré­ciables. Cette contra­dic­tion n’est qu’ap­pa­rente car le birth control n’a pas un rôle iso­lé et entre dans un contexte beau­coup plus vaste socio-éco­no­mique (il suf­fit de rap­pe­ler entre autres le rôle des allo­ca­tions fami­liales chez des couples où faire un enfant est seule­ment un moyen de faire entrer de l’argent [[“Chro­niques du “Canard enchaî­né” – L’en­fant de la feuille rose”, Mor­van Lebesque,éd. Pau­vert, 1960, 285p.]] les avan­tages des familles nom­breuses – ou les pla­ni­fi­ca­tions dans le sens inverse en Chine).

Pour pla­cer le pro­blème dans un cadre plus géné­ral, nous don­ne­rons quelques posi­tions théoriques.

Posi­tion catholique.

Nous avons dit l’im­por­tance de l’op­po­si­tion des catho­liques au birth control dans notre socié­té. En voi­ci les arguments :

“Même avec la femme légi­time, l’acte matri­mo­nial devient illi­cite et hon­teux dès lors que la concep­tion de l’en­fant est évi­tée”. (Pie XI) [[Ency­clique Cas­ti Conu­bi­li, Pie xi, 31/​12/​1930.]].

“Nous por­tons en nous la marque du péché, il nous faut lut­ter sans cesse… quand il y a union, aucun obs­tacle volon­taire ne doit être appor­té aux pos­si­bi­li­tés de fécon­da­tion” (R.P. Tes­son) [[Action Catho­lique Ouvrière, R.P. Tes­son, “Mater­ni­té heu­reuse”, sept. 1960.]].

“C’est par leur libre res­pon­sa­bi­li­té que l’homme et la femme doivent construire leur foyer et non en tru­quant la nature” (Mago­nette) [[Lettre de l’ab­bé Mago­nette, Caen, à la “Mater­ni­té heu­reuse”, déc. 1959.]].

“Ces pra­tiques abo­mi­nables qui sup­priment la vie dans sa source même” (les méthodes anti­con­cep­tion­nelles) (Pie XI) [[Lettre apos­to­lique de Pie xi à l’Épiscopat des Phi­lip­pines, 18/​1/​39.]]

Les catho­liques refusent donc le birth control, sauf la méthode Ogi­no, et refusent de dis­tin­guer entre fonc­tion sexuelle et fonc­tion de repro­duc­tion, alors que cette dis­tinc­tion même est ins­crite par la nature dans l’es­pèce humaine par l’al­ter­nance de périodes de sté­ri­li­té et de fécon­di­té à un rythme pré­vi­sible puisque régulier.

Moins donc, que leurs argu­ments (qui varient d’ailleurs, la méthode Ogi­no n’é­tant pas recon­nue par eux autre­fois) compte le fait qu’ils s’ef­forcent d’impo­ser leur point de vue à des pays entiers (seuls les pays à majo­ri­té catho­lique sont hos­tiles au birth control). Mais cela même com­mence ici à leur échap­per, comme le prouvent les nom­breux mani­festes qu’ils publient sur ce sujet pour res­sai­sir les fidèles. Leur influence actuelle directe – en dehors de la culpa­bi­li­sa­tion de notre socié­té dont nous avons par­lé – est d’ailleurs plus forte au som­met qu’à la base :

“Tous les 9 mois, de la puber­té à la méno­pause une femme chré­tienne peut conce­voir un enfant. En fai­sant la part des impon­dé­rables, un ménage catho­lique devrait donc offrir au Sei­gneur un enfant tous les ans. Même en cal­cu­lant lar­ge­ment, nous devrions avoir quan­ti­té de familles de 10 à 15 enfants. Il n’en est rien. Il y a beau temps que les catho­liques pra­tiquent la limi­ta­tion des nais­sances, comme ils le peuvent, sans plus s’in­quié­ter d’ir­ri­ter leurs prêtres et divi­ni­tés” [[Une lec­trice de la “Mater­ni­té heu­reuse”, sept. 1959.]].

Posi­tion marxiste.

Il est assez désa­gréable de consta­ter que la posi­tion du par­ti com­mu­niste rejoint celle de l’é­glise catho­lique, du moins dans sa flui­di­té, sinon par oppo­si­tion directe. Dès l’é­poque de Karl Marx, ses dis­ciples se sont oppo­sés à la pro­pa­gande néo-mathu­sienne ; pour eux, “la pres­sion de la popu­la­tion, non pas sur les sub­sis­tances comme le pré­tend Mal­thus, mais sur les emplois. Dans la socié­té sans classes, qui pro­cu­re­ra du tra­vail à tous et adap­te­ra sa pro­duc­tion à ses besoins, il ne sera pas ques­tion de sur­po­pu­la­tion” (cité par le Dr Fabre) [[“La Mater­ni­té consciente”, Dr Hen­ri Fabre, éd. Denoël, 1960, 168p.]]. Lénine qua­li­fie le néo-mathu­sia­nisme de “ten­dance propre au couple petit-bour­geois recro­que­villé et égoïste… Cela ne nous empêche pas d’exi­ger un chan­ge­ment com­plet de toutes les lois inter­di­sant l’a­vor­te­ment ou la dif­fu­sion d’ou­vrages de méde­cine ayant trait aux moyens anti­con­cep­tion­nels” [[“La classe ouvrière et le néo-mal­thu­sia­nisme”, “Prav­da”, juin 1913.]]. Et Mau­rice Tho­rez : “le conte­nu réac­tion­naire de la doc­trine de Mal­thus… et les théo­ries bar­bares du néo-mal­thu­sia­nisme amé­ri­cain” [[“L’Hu­ma­ni­té”, 2 mai 1956.]].

La posi­tion offi­cielle en U.R.S.S. et en Chine popu­laire, après plu­sieurs fluc­tua­tions et mal­gré des contra­dic­tions, est actuel­le­ment pour une cer­taine limi­ta­tion des naissances.

Il faut sou­li­gner que le P.C. (s’il est encore mar­xiste?) accepte le contrôle des naissances.

Le mal­thu­sia­nisme.

Sa posi­tion théo­rique est connue : aug­men­ta­tion géo­mé­trique de la popu­la­tion, aug­men­ta­tion algé­brique de la pro­duc­tion ; ain­si que sa posi­tion pra­tique : abs­ti­nence, mariage tar­dif, prio­ri­té de la morale. Cette posi­tion est dépassée.

Le néo-mal­thu­sia­nisme.

Il a pour départ l’en­sei­gne­ment de Mal­thus, mais plus élar­gi, non seule­ment dans le sens démo­gra­phique et social, mais aus­si dans le sens individuel.

Mais sur­tout, sa posi­tion pra­tique est plus inté­res­sante : non abs­ten­tion mais accep­ta­tion des “pro­cé­dés vicieux” (Mal­thus), c’est-à-dire des moyens per­met­tant un frei­nage des nais­sances en même temps qu’une vie sexuelle nor­male. La plu­part des liber­taires se placent sur ce même plan :

“Par­mi les plus impor­tants bien­faits que doit appor­ter la réforme sexuelle… est celui de la pro­phy­laxie anti­con­cep­tion­nelle, grâce à la limi­ta­tion rai­son­nable, consciente des nais­sances. Au lieu des fac­teurs limi­ta­tifs de répres­sion (chas­te­té, conti­nence, céli­bat, avor­te­ment, pros­ti­tu­tion, infan­ti­cide, mort pré­ma­tu­rée, misère, famine, guerre), nous vou­lons sub­sti­tuer l’emploi judi­cieux des pro­cé­dés anti­con­cep­tion­nels pré­ven­tifs… Nous deman­dons aus­si que l’on nous auto­rise à ins­tal­ler des cli­niques où les femmes du peuple pour­raient trou­ver la connais­sance de la vie sexuelle qui leur fait défaut… nous récla­mons le droit de répandre la doc­trine néo-mal­thu­sienne… nous vou­lons sub­sti­tuer le seul, l’u­nique moyen vrai­ment humain de bor­ner la famille et par suite la popu­la­tion : la pro­créa­tion consciente et libre. Pas de libé­ra­tion pos­sible de l’a­mour sans la liber­té de la mater­ni­té. Nous deman­dons de voter et d’en­voyer au chef du gou­ver­ne­ment fran­çais un vœu récla­mant l’a­bro­ga­tion de la loi scé­lé­rate de 1920”. (Eugène et Jeanne Hum­bert) [[Rap­port fait au qua­trième congrès de la ligue mon­diale pour la réforme sexuelle, sept.1930.]].

“Enten­dez-moi bien Je ne veux pas dire par là que la solu­tion qu’on apporte à ce pro­blème de la popu­la­tion dans ses rap­ports avec les sub­sis­tances est la solu­tion du pro­blème tout entier : je ne le confonds pas avec le pro­blème lui-même, mais je dis qu’on ne par­vien­dra jamais à résoudre d’une façon défi­ni­tive, posi­tive, le pro­blème social sans résoudre, en même temps, le pro­blème de la popu­la­tion et des sub­sis­tances… Le but de la socio­lo­gie, c’est, si j’ose dire, d’or­ga­ni­ser le bon­heur dans la socié­té. Toute mesure qui à pour objet d’ac­croître le bon­heur humain est une mesure favo­rable à la solu­tion du pro­blème social”. (Sébas­tien Faure) [[“Pro­pos sub­ver­sifs”, S. Faure, éd des amis de Faure.]]

Posi­tion individualiste.

Elle a pour point de départ non pas les don­nées démo­gra­phiques et éco­no­miques, mais les inté­rêts individuels.

“Dans un milieu basé sur l’ex­ploi­ta­tion et l’au­to­ri­té, ce que cherchent les indi­vi­dua­listes des deux sexes, c’est vivre leur vie, sans renon­cer aux délices de l’a­mour sexuel.. Les pro­cé­dés pré­ven­tifs per­mettent à nos com­pagnes d’être mères à leur gré… Les indi­vi­dua­listes ne s’oc­cu­paient point du chiffre qu’at­tein­dra la popu­la­tion… Indif­fé­rents aux gémis­se­ments des mora­listes, des repo­pu­la­teurs par­le­men­taires, des chefs du socia­lisme qui comptent sur l’ac­crois­se­ment des mal­heu­reux pour les his­ser au pou­voir, les indi­vi­dua­listes oppo­saient au déter­mi­nisme aveugle et irrai­son­né de la nature leur déter­mi­nisme indi­vi­duel fait de volon­té et de réflexion. C’est en ce sens seule­ment que les indi­vi­dua­listes sont néo-mal­thu­siens. C’est sur­tout parce qu’elle leur paraît com­plé­men­taire de leur recherche du maxi­mum d’in­dé­pen­dance” (Emile Armand) [[“La limi­ta­tion rai­son­née des nais­sances et le point de vue indi­vi­dua­liste”, E. Armand, 1931.]].

Anar­chisme malthusien.

Il repré­sente un inté­rêt stric­te­ment his­to­rique. Il a sur­tout été expo­sé par C.L. James dans sa bro­chure “Anar­chism and Malthus”(1910) tra­duite en 1924.

“La théo­rie mal­thu­sienne est l’ob­jec­tion fatale à toute forme de socia­lisme – même lors­qu’il s’ap­pelle anar­chisme – qui encou­rage l’homme à pen­ser qu’il peut à la fois main­te­nir les femmes dans l’es­cla­vage et échap­per à la très juste consé­quence d’être esclave lui-même. C’est là l’ar­gu­ment le plus puis­sant en faveur de cette sorte de socia­lisme ou d’a­nar­chisme qui se pro­pose, par l’é­man­ci­pa­tion com­plète des femmes, d’a­bo­lir la tyran­nie fon­da­men­tale dont toutes les autres découlent… Les écri­vains bour­geois se sont empa­rés des doc­trines de Mal­thus et de Dar­win comme d’un argu­ment contre la coopé­ra­tion et l’as­sis­tance, et par-des­sus tout contre tout ce qui res­semble au com­mu­nisme. La lutte pour l’exis­tence, nous disent-ils est la source du pro­grès. Aider les faibles à vivre et sur­tout à se repro­duire, c’est de la part des forts, affai­blir l’or­ga­nisme social, et en même temps faire naître des espoirs irréa­li­sables. Mais… d’a­bord la coopé­ra­tion n’est pas de la cha­ri­té… ensuite, l’ef­fet pau­pé­ri­sant de la cha­ri­té dépend d’une dégra­da­tion préa­lable du dona­taire. Nul homme ne devient mora­le­ment pire du fait qu’il est aidé par un de ses com­pa­gnons de tra­vail. Mais c’est ce qui arrive à tout homme qui reçoit de la main d’un pro­tec­teur condes­cen­dant… Par­mi ceux qui ont accor­dé à cet aspect de la ques­tion l’at­ten­tion qu’elle méri­tait, Kro­pot­kine est le plus notoire” (C.L. James) [[“Mal­thus et l’A­nar­chisme”, C.L. James, la Bro­chure Men­suelle, juillet 1924.]]

Conclusion

Si nous n’a­vons pas abor­dé, jus­qu’à main­te­nant, cette ques­tion dans “NR”, ce n’est pas par indif­fé­rence, mais par manque de temps, et parce que d’autres ques­tions nous sem­blaient plus actuelles.

Les pré­vi­sions de Mal­thus en ce qui concerne les sta­tis­tiques futures de la popu­la­tion ne se sont pas réa­li­sées, ou plu­tôt ne sont réa­li­sées qu’en par­tie (d’a­près Sau­vy [[De Mal­thus à Mao Tsé-Toung”, A. Sau­vy, éd. Denoël, 1958.]], Prof. Hans Thir­ring [[“49 mil­lions de mil­liards d’hommes en 2960?”, Thir­ring, voir le “Monde Liber­taire”, juin 1959.]], Prof. G. Bou­thoul [[“La sur­po­pu­la­tion dans le monde”, Gas­ton Bou­thoul, éd. Payot 58 (voir le Monde Liber­taire, juin 1958.]], etc.) Mais même Mal­thus a écrit que “la popu­la­tion tend à croître”.

Les pos­si­bi­li­tés d’ac­crois­se­ment de la pro­duc­tion sont actuel­le­ment plus grandes qu’au temps de Mal­thus : chi­mie et méca­nique agro­tech­niques, élec­tri­ci­té, éner­gie ato­mique, etc.

La dimi­nu­tion de la marge entre la pro­duc­tion et la popu­la­tion n’en­lève rien au fond du pro­blème. En effet, la pro­duc­tion ne signi­fie pas la dis­tri­bu­tion, dans le sys­tème éco­no­mique actuel les stocks de den­rées et les béné­fices finan­ciers énormes coexistent avec la famine et la misère. En outre, les pous­sées démo­gra­phiques res­tent tou­jours mena­çantes, sur­tout dans les pays dits sous-déve­lop­pés où elles com­pro­mettent tout effort d’in­dus­tria­li­sa­tion, d’é­qui­libre et d’hy­giène. En Europe, ce même pro­blème se pose­ra autre­ment, mais inévi­ta­ble­ment, mal­gré le taux rela­ti­ve­ment bas des nais­sances, vu que l’é­mi­gra­tion vers d’autres conti­nents, et leur colo­ni­sa­tion, est terminée.

Tout en tenant à la liber­té indi­vi­duelle, dans le sens d’être libre d’a­voir ou non des enfants, notre point de vue n’est pas celui des anar­chistes indi­vi­dua­listes, car nous ne nous consi­dé­rons pas “en dehors” de la socié­té, même si cette socié­té n’est pas la nôtre – nous sommes soli­daires des autres humains, parce que nous ne nous consi­dé­rons pas “qua­li­ta­ti­ve­ment” dif­fé­rents d’eux. Ensuite, le prin­cipe “moins de res­pon­sa­bi­li­té = plus d’in­dé­pen­dance” a fait plus de mal que de bien dans le mou­ve­ment liber­taire. Enfin, l’hu­ma­ni­té n’est pas faite d’une addi­tion arith­mé­tique des indi­vi­dus, le pro­blème sur le plan indi­vi­duel et sur celui de la socié­té ne se résout pas avec la même mesure – le bon­heur indi­vi­duel ne suf­fit pas.

L’as­pect pure­ment éco­no­mique de la ques­tion s’é­claire du fait que le nombre de la popu­la­tion ouvrière, l’offre et la demande de main-d’œuvre, les salaires, le pou­voir d’a­chat – ont mon­tré que le capi­ta­lisme a accru sa facul­té d’a­dap­ta­tion. Si le nombre des ouvriers est limi­té, l’aug­men­ta­tion des salaires n’est pas auto­ma­tique : les capi­ta­listes importent la main-d’œuvre, ils trans­fèrent leurs usines dans d’autres régions, d’autres conti­nents même, plus près des matières pre­mières et des marchés.

La lutte ouverte contre les lois dites liber­ti­cides, y com­pris les lettres de pro­tes­ta­tion, les pro­jets de loi, etc. au lieu d’ac­cé­lé­rer la solu­tion a éle­vé de nou­veaux obs­tacles. Les dépu­tés sont liés avec le sys­tème, non seule­ment direc­te­ment, mais aus­si par l’in­ter­mé­diaire des élec­teurs et il ne faut pas attendre grand chose du par­le­ment. Il en est de même avec l’al­coo­lisme, mal­gré l’é­vi­dence, aucune loi n’a pu sor­tir contre les bouilleurs de cru. En réa­li­té, comme le dit le pro­fes­seur Pie­de­lièvre, “presque tous les Fran­çais emploient l’une ou l’autre des méthodes anti­con­cep­tion­nelles – com­ment alors, arrê­ter tous les Fran­çais?”. La loi et l’Église n’ont donc plus une impor­tance prépondérante.

Ce qui est impor­tant c’est la prise de conscience indi­vi­duelle et sociale et le dépas­se­ment du tabou sexuel. Les pro­duits anti­con­cep­tion­nels mas­cu­lins sont en vente dans toutes les phar­ma­cies, les autres sont trou­vables, il ne manque que les cli­niques (celles-ci peuvent être ouvertes sans chan­ger la loi, dans un but de sta­tis­tiques). Ce sont donc actuel­le­ment les atti­tudes – elles peuvent être édu­cables – qui bloquent la pratique.

En somme, le but du contrôle des nais­sances dans la phase actuelle est une tâche limi­tée et pré­cise (même trop limi­tée pour nous). Les liber­taires qui ont été pen­dant des années aux pre­mières lignes de la bataille néo-mal­thu­sienne ne peuvent qu’ap­por­ter leur appui aujourd’­hui à cette même lutte. Plu­sieurs mou­ve­ments, comme la Libre Pen­sée, l’U­nion Ratio­na­liste, la Ligue Fran­çaise pour la Défense des Droits de l’homme, l’Église pro­tes­tante, le P.S.U., l’U.N.E.F. apportent le leur. Le fait que les ani­ma­teurs d’au­jourd’­hui ne sont pas des liber­taires, que le point de départ est plus médi­cal, qu’y par­ti­cipent des ten­dances très diverses, n’en­lève rien au problème.

“N’im­porte quel gou­ver­ne­ment auto­ri­taire peut – soit par la crainte, soit par l’ap­pât du gain – en mul­ti­pliant les enfants de la peur et les fils de l’al­lo­ca­tion, peut enfler déme­su­ré­ment ses effec­tifs en vue de manœuvres agres­sives… Ce pul­lu­le­ment accroît à la fois la méfiance entre les peuples, le natio­na­lisme et per­met à des chefs poli­tiques dédai­gneux de l’hu­ma­ni­té et de la morale de s’a­don­ner à des poli­tiques atroces. II rend conce­vable une poli­tique raciste qui consiste à sup­pri­mer les popu­la­tions rivales en les rem­pla­çant rapi­de­ment” (G. Bouthoul).

[/​Drs. C. et T./]

La Presse Anarchiste