“Je ne suis pas raciste, mais il faut bien reconnaître que les Arabes…”. Combien de fois chacun de nous a‑t-il entendu cette phrase qui se termine immanquablement par la “constatation” que tel ou tel groupe humain (telle ou telle “race”) est naturellement porteur de telle ou telle tare – juifs rusés et voleurs – noirs stupides et paresseux – Arabes cruels et pédérastes, etc. Et allez donc, c’est pas ton frère ! Et c’est le drame.
Le drame c’est que le racisme est moins le fait de ceux qui se proclament racistes, que celui de tous ceux qui, un jour ou l’autre, ont ou peuvent prononcer la petite phrase “je ne suis pas raciste mais…”. Le drame c’est que tous ceux-là, l’immense majorité des Français par exemple, sont sincèrement convaincus de n’être pas racistes, désapprouvent sincèrement l’assassinat de 6 millions de juifs par les nazis comme ils désapprouvent ou même s’indignent des massacres d’Algériens. Mais ils ne se sentent pas intimement concernés, ils laissent faire. L’opinion publique, en restant passive devant le crime raciste, l’accepte donc le rend possible. Elle en est responsable. À Paris, en 1960, l’écrivain Noir, Fernand Oyono est lynché Boulevard St Germain par un commando de Jeune Nation : les passants regardent sans intervenir. Tous ces passants étaient racistes sans le savoir et s’indigneraient de se l’entendre dire.
Car le racisme est en nous. Tout dans l’éducation, l’instruction, la vie sociale, la vie familiale même, concourt à le faire naître, à entretenir. De plus les forces d’exploitation ont besoin que le racisme reste vivace car elles en tirent profit.
Qu’est-ce que le “Racisme ?
Tenter de définir le “racisme” est chose malaisée du fait de l’impossibilité scientifique de définir le mot “race”. Sociologues, anthropologues et biologistes n’ayant pas réussi à se mettre d’accord sur son contenu. En effet l’existence des groupes ethniques ayant des apparences physiques, des manières de vivre, de s’habiller, de parler, des gestes différenciés n’autorise pas la division de l’humanité en “races”. La division en races impliquant une différenciation biologique nette qui n’existe pas dans l’espèce humaine. Une erreur communément admise comme vérité consiste à imputer à un groupe ethnique physiquement reconnaissable les caractères mentaux et les manières que ce groupe a acquis dans un contexte social historique donné (généralement l’oppression). Ainsi au 18ème siècle le botaniste suédois Ch. Linné s’autorisait-il à classer les peuples comme il l’avait fait des plantes. Et cela donnait : “Européens, blancs et laborieux”, “Africains, noirs et veules”, “Asiatiques, jaunes et endurants”, etc. Il n’existe pas de vices ou de vertus inhérents à une couleur de peau, à une forme de nez, à une pilosité particulières. Il n’existe que des groupes humains dont les comportements particuliers ont été déterminés par leur histoire. La carte des populations divisant l’humanité selon le système établi par Blumenbach au 19ème siècle, système des cinq races “noire, brune, jaune, rouge et blanche” qu’on nous a enseigné sur les bancs de la communale, est à présent considéré comme antiscientifique.
Toutes les théories échafaudées pour justifier après coup l’intolérance “raciale” sont en fait un fatras de mensonges destiné selon les cas soit à faciliter l’exploitation éhontée de telle “race” déclarée inférieure, soit à charger une minorité ethnique de tous les maux, en faire un “bouc émissaire” sur lequel s’acharneront les opprimés pendant que leurs vrais oppresseurs pourront continuer à tirer profit d’eux impunément.
L’absence de fondements sérieux n’empêche pas les “théories racistes” d’avoir prise sur les peuples et de servir de prétexte ou de “justification“aux pires crimes contre l’humanité.
C’est que ces théories, pour mensongères qu’elles soient, trouvent un terrain fertile dans les masses.
Nationalisme, Xénophobie et Racisme.
Les sociologues ont mis en évidence la tendance qu’ont les membres d’un “en-groupe” a avoir des préjugés à l’égard des membres “hors-groupe”. Cette tendance apparaît dans certaines conditions sociales ou historiques.
Le nationalisme, en exacerbant le sens d’être membres de “l’en-groupe”, engendre des préjugés, du mépris et bientôt de la haine et de la violence à l’égard de toutes les autres nations en général et, dans une situation historique donnée, à l’égard de telle nation en particulier. Dans ces conditions le sens de “l’en groupe” des nationalistes les prédispose naturellement au mépris et à la haine de tout ce qui est différent d’eux, par la religion, la langue, la couleur de peau, le vêtement…
Il y a dans tout groupe humain se considérant comme tel des réflexes de défense et d’agressivité à l’égard de tout ce qui n’est pas intégré au groupe. L’agressivité ne cessera que si le groupe cesse de se considérer comme supérieur ou s’il est battu sur les terrains qui lui faisaient croire à sa supériorité (politique, économique, géographique, scientifique, culturel, religieux). À cet égard la décolonisation, si elle engendre des rancœurs chez certains Blancs cramponnés aux privilèges du passé, aura certainement pour conséquence une modification des préjugés de couleur.
Dans le même ordre d’idées, il est intéressant de constater une modification dans l’attitude des Français depuis que les Algériens ont pris les armes pour devenir indépendants. Au mépris qui présidait le plus souvent au comportement des Français à l’égard des “Sidis” a fait place une sorte de respect, inamical certes, mais dont l’une des conséquences les plus apparentes est le remplacement du tutoiement par le vouvoiement. En l’espace de six ans une telle modification d’attitude n’est pas négligeable. De même, de plus en plus d’Algériens “osent” occuper une place assise dans le métro, par exemple. C’est un petit fait, mais symptomatique de l’évolution psychologique découlant de la lutte armée. La jeunesse algérienne, en tant que groupe, liquide dans la lutte une part du complexe d’infériorité qui paralysait ses aînés, complexe ayant pris racine dans ce groupe humain par un siècle d’esclavage colonial. Car là encore le béni-oui-ouisme n’est pas spécifique aux Arabes mais ce sont les conditions d’exploitation, de misère et de terreur qui leur furent imposées pendant plus d’un siècle qui ont engendré cet esprit de soumission chez quelques générations maghrébines.
Une propagande efficace.
Les préjugés que chaque groupe humain nourrit à l’encontre de tout ce qui ne lui est pas intégré ne seraient, compte tenu des comportements sociaux usuels dans les pays industrialisés, sans doute pas suffisants pour rendre possibles les crimes racistes et les pogroms s’ils n’étaient soigneusement entretenus par ceux qui en tirent profit et en premier lieu le Capital et l’État. La propagande est alors une arme redoutable qui insidieusement ou ouvertement tend à développer ou à infléchir les préjugés d’un peuple.
L’Allemagne nazie et la France pétainiste tentèrent, avec succès, d’accréditer la conscience d’appartenir à la “race aryenne” et, par la presse, le film, les expositions, parvinrent sans difficulté à imposer les déportations massives et les génocides “raciaux” contre les juifs.
En Angleterre, une propagande est menée, et pas seulement par les fascistes de sir Oswald Mosley, pour encourager le préjugé de couleur contre les Noirs, Antillais ou Africains, au nom de la défense de “l’Angleterre Blanche”.
Il y a six ans, en France, afin de faire mieux accepter l’idée de répression en Algérie, notamment à la suite de la résistance des rappelés, la presse gouvernementale entreprit une savante campagne raciste. Ne pouvant gagner l’enthousiasme des soldats par des arguments patriotiques, éculés et spécialement inapplicables à la question algérienne, les “France-Soir”, “Figaro”, “Parisien Libéré”, “Aurore”, etc. entreprirent la mise en valeur systématique des méfaits de droit commun commis par des Nord-Africains, afin de créer un réflexe d’hostilité à leur égard. À chaque méfait la qualité de Nord-africain s’étalait en caractères gras, à la “une” alors que souvent ces crimes plus graves mais commis par des Français étaient relégués en page 3 ou 8. Quelques photos d’atrocités commises par des Algériens aidèrent à retourner l’opinion publique française qui, après février-mars 1956 (point culminant de la campagne), alla parfois jusqu’à préconiser le napalm pour en finir avec les “ratons”.
C’est grâce au fond raciste des Blancs que les bombes d’Hiroshima et Nagasaki ne soulevèrent pas vraiment d’indignation. Elles n’avaient tué “que” des Japonais. Il est permis de penser que les Alliés malgré la guerre, n’auraient jamais jeté, s’ils avaient été en mesure de le faire techniquement alors, la même bombe atomique sur Berlin ou Nuremberg.
Les Allemands sont “quand même” des hommes : ils sont Blancs…
Bien sûr, ces choses dites tout à trac heurtent et chacun ne se reconnaît pas dans ces comportements.
Le Racisme ouvrier.
On comprend que les exploiteurs, au hasard des conjonctures économiques ou politiques, utilisent les armes telles que la xénophobie et plus facilement encore le racisme.
Ce qui est particulièrement pénible pour le militant révolutionnaire non raciste c’est la constatation de l’existence de ces préjugés au sein des masses laborieuses.
Si, généralement, les Noirs ne sont pas trop mal vus des ouvriers, c’est paradoxalement on fonction d’un préjugé de couleur : les ouvriers français n’en ont pas peur, puisque “ce sont de grands enfants” et que, de plus, ils parlent français. Ce qui n’empêchera pas les ouvriers de baptiser avec une inconsciente cruauté leur camarade de couleur “Blanche-neige” et d’en faire plus ou moins le “rigolo” de l’atelier. À part ça, on est pas racistes, bien sûr.
À l’égard des Asiatiques les ouvriers sont plus réservés. Ils s’en méfient le plus souvent, les épient et les respectent. (C’est que bien souvent les ouvriers asiatiques que l’on rencontre en France sont d’anciens étudiants vietnamiens, qui faute de ressources durent entrer en usines. “On” se méfie donc car ils sont généralement plus instruits que la moyenne des ouvriers français. Ils sont souvent des “professionnels”.)
L’attitude à l’égard des Algériens a évolué, on l’a vu, du mépris hostile de naguère jusqu’à une espèce de statu-quo plutôt respectueux et méfiant. D’ailleurs, depuis la guerre, les Algériens surtout lorsqu’ils sont nombreux évitent le contact avec les Français en usine.
Toutefois on verra que le “racisme” des travailleurs est moins vif (tout au moins tant que des rivalités d’intérêt ne viennent envenimer les choses : chômage, heures supplémentaires, acceptation de sous-salaires, etc.) que leur antisémitisme.
En ce qui concerne les Noirs, les Jaunes et les Nord-Africains, et surtout pour ces derniers, les ouvriers français notamment dans les grandes usines ou dans le bâtiment en côtoient quotidiennement sur le lieu de travail. Même s’ils n’en n’ont généralement pas pleine conscience ils sont tous composants d’un même groupe “les travailleurs de l’entreprise”, ils ont en face d’eux, contre eux la même direction, le même patron. Ils passent leurs journées entre les mêmes murs, sont libérés le soir par la même pendule pointeuse. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont liés. Sans doute le seraient-ils bien plus si au sein même de l’entreprise ils n’étaient le plus souvent divisés par leurs fonctions, par la catégorie. Des ouvriers nord-africains n’ayant le plus souvent qu’une fonction de manœuvre, faute d’avoir eu l’occasion de pouvoir apprendre un métier, les “sales boulots”, les plus mal payés leur sont réservés.
“Apartheid” à Billancourt
Dans un but évident de division ouvrière, les patrons emploient généralement le système qui a déjà porté ses fruits pour mettre en échec le “À travail égal – Salaire égal” qui devait en son principe supprimer la discrimination entre le travail masculin et le travail féminin.
Dans les entreprises employant beaucoup de femmes, celles-ci au lieu d’être affectées à telle ou telle catégorie en rapport avec leurs compétences individuelles, ce qui amèneraient à ne pas tenir compte du sexe du travailleur et réaliserait en fait le “travail égal – salaire égal” dans chaque catégorie, sont souvent groupées dans une seule catégorie, OS1 par exemple, les hommes aptes aux mêmes tâches étant délibérément classés dans une catégorie supérieure OS2 ou 3. Ainsi on conserve en fait, quoi qu’en disent les “lois sociales”, la pratique de sous-rénumération des femmes. Les “jeunes ouvriers de production” connaissent aussi, pour en être victimes, ces combinaisons patronales. En ce qui concerne les travailleurs nord-africains, le bénéfice patronal de ce système est double : 1°) ils sont moins payés et 2°) ils restent groupés, isolés des travailleurs français. Leurs intérêts étant différents ils sont donc peu enclins à revendiquer ensemble.
Le “diviser pour régner” restant en tout domaine la tactique patronale il eût été étonnant qu’elle méconnaisse les avantages d’un “racisme” bien compris.
Antisémitisme ouvrier
L’antisémitisme est de loin le préjugé le plus profondément ancré en France, le plus difficilement extirpable.
À cela plusieurs “raisons”. En premier lieu bien sûr, la permanence des propagandes réactionnaires.
Il existe chez beaucoup d’ouvriers, un certain sens d’être victimes de machination occulte, la croyance qu’une force invisible mais omniprésente et machiavélique est la vraie responsable de leurs malheurs.
Bien sûr le patron on ne l’aime pas, “il a la belle vie pendant qu’on se fait ch…”, mais pour beaucoup de travailleurs la notion confuse de leur exploitation et la présence physique du patron ne se superposent pas exactement. Le patron ne suffit pas, il ne fait pas le poids dans la balance, ou le plateau ouvrier déborde de misères, de grossesses permanentes, de murs lépreux, de gosses malades, de sexualités asphyxiées, de chiottes au fond de la cour près des poubelles. Il faut le dire : bien des ouvriers respectent leur patron, ne l’aiment pas, d’accord, mais ils lui sont liés par d’obscurs liens, parfois ils en sont fiers et peut-être faut-il voir là un des éléments de l’incroyable et pourtant très répandu “patriotisme de boîte”.
Ce respect explique sans doute aussi la rareté des crimes de classe dans les rubriques de faits divers. Il semble en effet curieux qu’on ne tue presque jamais son patron qui pourtant vous vole tout au long de votre vie, vous vole votre vie, alors que l’on tue quotidiennement des femmes (ou des hommes) qui après vous avoir beaucoup donné prétendent vous quitter et combler désormais une tierce personne. Quoi qu’il en soit, beaucoup d’ouvriers n’ont pas eu l’occasion de comprendre que le vrai responsable de leur misère c’est le système d’exploitation, l’hydre à deux têtes, Capital et État. Connaissant leur misère mais n’en comprennent pas l’exacte cause, toute propagande leur désignant un responsable trouve en eux un terrain fertile.
Les propagandes réactionnaires servent le patronat clérical. En désignant “le Juif” comme responsable de la misère ouvrière elles assurent au patronat clérical une ombre propice à la continuation paisible de son exploitation.
Bien sûr on proposera “les Juifs“en tant que “Race : on dira “s’ils vous exploitent c’est parce qu’ils sont Juifs, ce sont donc eux vos vrais ennemis” laissant ainsi faire son chemin à l’idée que seuls les Juifs exploitent… etc.
À cela l’ouvrier conscient à beau jeu de répondre : “que mon exploiteur soit blanc, vert, noir, jaune, catholique, juif, français, bérichon m’importe peu, mes vrais ennemis sont ceux qui m’exploitent, parce qu’ils m’exploitent”.
Pourtant, il n’est pas rare d’identifier des séquelles d’antisémitisme même chez des ouvriers “communistes”, et même chez des “anarchistes”.
Si la propagande antisémitique peut demeurer si vivace c’est qu’elle s’appuie sur une réalité : il n’y a pour ainsi dire pas d’ouvriers juifs en France, dans les usines, sur les chantiers. De là à y voir le fait que les Juifs ne sont qu’exploiteurs, il n’y a qu’un pas, franchit d’autant plus allègrement… qu’il y a pas mal de Juifs dans le Patronat, la haute Banque et la Finance.
Cependant cette situation est expliquée par l’histoire du peuple juif, par l’histoire des conditions qui furent faites aux Juifs par les chrétiens depuis près de 2.000 ans. On oublie trop souvent que l’antisémitisme théologique accusant les Juifs d’être les assassins du Christ remonte au début du christianisme, qu’il fut enseigné dans les catéchisme et dans la liturgie, que dès les premières Croisades les grands massacres de Juifs eurent lieu, que les Juifs, réduits par les Chrétiens à l’état de parias de l’Europe, ne furent proclamés égaux en droit par rapport au reste de l’humanité qu’au 18ème siècle, et non sans luttes. Si cette égalité permit au peuple juif de se lancer dans l’ascension sociale, les préjugés accumulés contre eux pendant deux millénaires ne furent pas éteints pour autant. Bien au contraire, à l’antisémitisme théologique dépassé, il fallut trouver un successeur.
Le 19ème siècle, siècle de la science, vit naître l’antisémitisme dit “scientifique” parce que fondé sur des théories anthropologiques que l’on tenait alors pour certaines – et qui étaient fausses, on le sait maintenant. Dès lors ce fut donc la “race” juive qui fut combattue, au nom de la science.
Et pourtant, il est avéré à présent que pas plus qu’il n’existe de race jaune ou noire, il n’existe de race juive. Il existe des Juifs, ayant leur religion, leurs mœurs, leurs habitudes, leurs gestes façonnés par 20 siècles d’oppression. Il existe un peuple juif, et même une nation juive pourrait-on dire. Mais de race, mille regrets pour les racistes… (On se demande comment les racistes font pour s’y retrouver, eux pour lesquels le Juif, le “métèque” a obligatoirement “le teint olivâtre, la bouche lippue, le nez crochu, les cheveux noirs et crêpés”, en présence des Juifs chinois jaunes, des Juifs nègres d’Afrique, d’Amérique et de Madagascar, noirs, des Juifs polonais aux lèvres minces, blancs, des Juifs à peau sombre de l’Inde…).
La discrimination dont les Juifs furent victimes jusqu’au 16ème siècle leur interdisait d’appartenir aux corporations, celles-ci étant chrétiennes et placées chacune sous le patronage d’un saint ou d’une sainte. Les Juifs n’avaient donc aucune possibilité d’exercer les grands métiers corporatifs, chasse gardée des Chrétiens.
Par contre l’Église interdisait aux Chrétiens le prêt à intérêt depuis le Concile de Trente : les Juifs furent confinés dans ces fonctions.
Ces conditions imposées aux Juifs expliquent qu’aujourd’hui encore peu de Juifs soient occupés à des tâches productives et que la majorité des Juifs, dans un pays chrétien comme la France, occupent des fonctions distributives (commerce), ou artistiques ou “libérales”.
Le banquier ou le financier juif d’aujourd’hui est descendant du “changeur d’argent”, du prêteur à intérêt.
Le 20ème siècle avec la création d’Israël en Palestine vient brouiller les cartes de l’antisémitisme ouvrier.
Les kibboutz de l’époque héroïque de l’entre-deux guerres mériteraient d’être tout particulièrement étudiés par les ouvriers en général, et par les anarchistes en particulier.
Ces fermes collectives, de structure anarchique, administrées par leur conseil, par l’assemblée des fermiers, où l’argent était volontairement supprimé, étaient de nature, s’ils en avaient connu l’exemple, de faire changer d’avis à pas mal d’ouvriers antisémites.
En effet : ces pionniers d’Israël, ces paysans vivant le communisme intégral, qui étaient-ils ? Pour leur plus grande part des “intellectuels” juifs médecins, philosophes, musiciens, professeurs qui chassés d’Europe par les préjugés antisémitiques y abandonnaient parfois des professions lucratives pour devenir de simples paysans, des travailleurs manuels et construire avec quelques paysans juifs palestiniens les cellules de base de ce qui aurait pu être un vrai communisme.
Quel démenti à la “race juive qui ne veut qu’exploiter et méprise le travail productif !
Aujourd’hui, on sait que le magnifique mouvement kibboutzim a été réduit par l’État d’Israël qui, comme tout État l’aurait fait, a su voir le danger que représentait pour lui un tel réseau de collectivités agraires.
Cependant l’existence de l’État d’Israël d’aujourd’hui peut faire ouvrir les yeux aux ouvriers français antisémites puisqu’il offre le spectacle d’un pays qui comme tous les pays est basé sur le profit, où le peuple (juif) travaille et est exploité par le patronat et l’État (juifs) où le prolétariat (juif) observe de moins en moins les rites religieux, tout comme à Billancourt ou Aubervilliers le “prolétariat” préfère le football à la messe ce que déplorent respectivement les politiciens, les nationalistes, les patrons d’Israël comme de France.
Mais Israël est loin et si les ouvriers français mangent des oranges de Jaffa, de Valence ou d’Afrique du nord, ils n’en sont pas informés pour autant de la lutte de classe des travailleurs juifs d’Israël, des travailleurs espagnols, des fellahs…
Y a‑t-il des remèdes ?
Quelles sont les mesures propres à faire disparaître les préjugés “racistes ?
De la part de l’État, on ne peut rien attendre en ce domaine : le peuple français doit rester apte à toute guerre coloniale future, doit pouvoir comprendre si besoin est que c’est le fourreur juif du coin qui est responsable de son exploitation et non pas les actionnaires ou le patron de la boîte où il s’échine.
Il faut que le peuple français, comme tous les peuples occidentaux (et même soviétique au besoin, puisque Blanc), reste en mesure de comprendre un éventuel péril jaune afin de “casser” du Chinois allègrement au nom de la “civilisation” blanche.
Du côté des exploiteurs il n’y a rien à attendre. Et il ne faut pas non plus tomber dans le panneau de l’Église catholique, apostolique et romaine qui se livre actuellement à une démagogie antiraciste, notamment à l’égard des peuples noirs pour mieux survivre à la décolonisation et aussi pour de prosaïques questions de “personnel”. Il y a en effet de moins en moins de “vocations” chez les Européens, les Bretons et les Basques produisent moins de soutanes, moins de cornettes, alors qu’avec un peu de baratin les Pères Blancs vous fabriquent encore des sœurs de charité noires sans trop de difficultés.
Non, comme en tout domaine, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour faire reculer les préjugés “racistes” des ouvriers. En expliquant bien sûr, mais ce n’est pas suffisant. D’abord en faisant le ménage en nous-mêmes pour être sûr que ne subsiste aucune réaction raciste. Chercher des réponses à des questions comme : “que penserais-je si ma sœur (ou ma fille) se mariait avec un Juif, avec un Noir, avec un Arabe?” nous permet parfois de découvrir la trace d’un préjugé qui vivotait en nous, malgré toutes nos splendides prises de consciences matérialistes, marxistes ou anarchistes.
Mais tout cela n’est pas suffisant. Comme toujours c’est l’ignorance qui fait le lit des préjugés, qu’ils soient d’ordre racial, national, sexuel, etc. C’est donc principalement à l’école et dans l’éducation familiale des enfants qu’on peut le plus pour empêcher que s’agrippe et se développe chez nos enfants le cancer raciste.
Bien des instituteurs font déjà un travail magnifique en ce domaine. Hélas les livres de Géographie et d’Histoire qu’ils ont à leur disposition sont généralement très orientés, de nature à donner à l’enfant un préjugé de supériorité de la “race” blanche détentrice de
De même les lectures de loisirs destinées aux enfants sont empreintes des mêmes préjugés : les Indiens y sont cruels, les Noirs (bien que “paresseux !) n’y sont que portefaix des Blanc, les Jaunes sont toujours aussi perfides dans la contrebande et l’espionnage… alors que les Jim la Jungle et autres supermen blancs y portent de très belles tenues “coloniales”, accumulent les actes héroïques (où le colt, à force de courage, vient à bout des arcs et des flèches!), de ravissantes pin-up bottées, au teint de rose, avec des poitrines conformes aux normes de la civilisation occidentale font un contraste éloquent auprès des négresses portant l’enfant sur le dos et pilant le manioc.
Une éducation a‑raciste doit avant tout être basée sur la vérité. Le problème n’est pas de faire aimer par l’enfant blanc un lointain petit camarade jaune ou noir en lui disant “tu vois, il est comme toi, il aime jouer, il aime sa maman, il a la peau noire parce qu’il y a beaucoup de soleil et que ça le protège, mais il est comme toi…etc.”
Beaucoup de parents antiracistes tiennent de semblables discours à leurs enfants. Bien sûr c’est mieux que d’ignorer le problème ou d’enseigner le mépris, mais il ne nous semble pas que le vrai problème soit là. Moins que de chercher à nier les différences et à proclamer des similitudes souvent hypothétiques, que l’enfant lui-même pourra par son observation mettre plus ou moins en échec, il est nécessaire de proclamer ces différences, de les expliquer par la vie, l’histoire des peuples considérés, de les faire comprendre et admettre par l’enfant. Le sentiment de fraternité humaine qui nous anime ne peut se fonder sur l’uniformité des hommes (ce qui porterait en soi un néo-colonialisme par lequel tous les peuples pour être égaux devraient s’aligner sur les peuples les “plus avancés” techniquement, et adopter leurs normes, leurs dogmes, leurs “humanismes”) mais doit trouver son expression dans la reconnaissance de la diversité et son acceptation. Notre conception de l’égalité des hommes n’a rien à y perdre.
Félicitons-nous du travail accompli par certains cinéastes qui n’hésitent pas à attaquer les préjugés de couleur et l’antisémitisme. Plus que de longs discours, le film qui émeut le spectateur en mettant en scène des protagonistes de groupes ethniques différents détruit à lui seul nombre de séquelles racistes. La liste serait trop longue des films qu’il faut donner à voir dans ce domaine, “d’Hiroshima mon amour” à “Étoiles”, d’ ”On n’enterre pas le dimanche” à “Come back Afrika”, de “Moi un Noir” au “Journal d’Anne Franck”, des “Tripes au Soleil” à “La chaîne“etc. De tels films, quelle que soit leur valeur sur le seul plan cinématographique, du chef-d’œuvre au navet, agissent, et bien sûr surtout lorsqu’ils sont des chefs-d’œuvre, comme des contrepoisons.
Pour terminer ces réflexions dont le seul but est d’attirer l’attention sur la gravité du racisme qui ne dit pas son nom, il nous semble utile de citer le sociologue Cyril Bibby dont les très intéressants travaux dans ce domaine sont empreints d’un respect de l’homme que les anarchistes ne sauraient désavouer :
“Il y a, dans le monde moderne en général, une tendance trop répandue à l’uniformité et au conformisme en toutes choses et nous risquons de perdre de vue l’énorme pouvoir humain d’idiosyncrasie et d’originalité. Nous ne savons pas quelles combinaisons de caractéristiques souhaitables, quelles possibilités de diversité culturelle nous attendent dans un monde qui cessera de mesurer tous les hommes à l’aune des “Blancs”, mais qui, en revanche, encouragera les peuples de toutes couleurs à développer au maximum leurs qualités propres et à les appliquer à des associations nouvelles.” (“Race, Prejudice and Education”).
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