La Presse Anarchiste

Groupes autonomes et Confrontation Anarchiste

I. – Intervention au Congrès International à propos de la situation du mouvement français

Le mou­ve­ment anar­chiste avant mai 68 était squelet­tique et isolé de la réal­ité sociale. Il était con­sti­tué de quelques chapelles, représen­tées par quelques groupes, ani­més surtout par des luttes intestines. Une foule de minis­cis­sions a con­duit à nom­bre de dévi­a­tions et toutes sortes de sigles ne recou­vrant sou­vent que quelques individus.

Mai 68 est plus un grand soulève­ment intel­lectuel et psy­chologique qu’une Révolution.

La force du P.C.–C.G.T. fausse la con­créti­sa­tion du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire. Le gauchisme se ren­force en par­ti­c­uli­er au moyen de la récupéra­tion de l’idée lib­er­taire, et l’on assiste à une pre­mière erreur, celle de con­fon­dre anar­chisme et gauchisme.

Mais un souf­fle lib­er­taire est né. À la base, il se man­i­feste par la série de grèves sauvages. Partout des groupes neufs se sont con­sti­tués et ne trou­vent aucun pôle d’at­trac­tion anar­chiste. La sec­onde erreur a con­sisté à vouloir inté­gr­er ce souf­fle au mou­ve­ment dégénéré.

Ces groupes con­stituent la large majorité du mou­ve­ment. Ils rejet­tent tout dogme et tout dirigisme organ­i­sa­tion­nel. Ils ont pour principe majeur l’au­tonomie du groupe et en sont venus au refus de toute pra­tique gauchiste ou groupusculaire.

Ils ne recherchent pas le regroupe­ment de ce qui exis­tait, mais ten­tent de se rejoin­dre en se démar­quant de toutes les organ­i­sa­tions sclérosées ou autoritaires.

Pour cela, ils préconisent :
— les regroupe­ments locaux, régionaux dans le cadre de la coor­di­na­tion fédéraliste ;
— les échanges et con­fronta­tions théoriques pour une remise en ques­tion permanente.

Ils se sont retrou­vés grâce à cer­taines actions comme la pro­pa­gande sur le thème de la com­mune dans une pra­tique hors chapelle.

Un bul­letin est créé, en marge de ce con­grès, qui va tâch­er de sat­is­faire au souci de regroupe­ment et de recherche théorique.

II. – En marge de cette intervention et du Congrès lui-même

Le Gauchisme a redé­cou­vert du marx­isme l’In­ter­na­tion­al­isme Pro­lé­tarien comme lien con­tre tous les États. Mais la réal­ité révo­lu­tion­naire inter­na­tionale dépasse large­ment ce point de vue. Les luttes divers­es de par le monde sont menées par une foule anonyme de grands hommes (vrai­ment grands ceux-là), héros pour eux-mêmes et nulle­ment mar­tyrs, qui veu­lent dépass­er leur état de jou­ets des forces naturelles et d’in­stru­ments des sit­u­a­tions sociales – qui créent, mieux que l’aven­ture, une éva­sion effrénée vers une exis­tence qui leur est propre.

Ils sont une tache sur le soleil, une anom­alie dans l’u­ni­formi­sa­tion. Et ces hommes-là, tou­jours plus nom­breux, con­stituent une inter­na­tionale révo­lu­tion­naire qui lutte en dehors des cli­vages et des dogmes étab­lis au xixe siècle.

La ques­tion est là : est-ce une société « com­mu­niste », cod­i­fiée par des équipes de savants, que nous voulons – ou bien l’as­so­ci­a­tion de forces indi­vidu­elles, divers­es mais en har­monie dans leurs échanges mutuels, une démence d’être encour­agée par un amour sain et antiautoritaire.

La remise en ques­tion de la vie quo­ti­di­enne est le préal­able indis­pens­able à la vie révo­lu­tion­naire tri­om­pha­trice de demain. Et c’est de là que découlent nos con­cep­tions con­tre l’é­conomie cap­i­tal­iste et le sys­tème éta­tique, de là que découlent les struc­tures et le rôle de nos organ­ismes de lutte.

Pour nous le com­mu­nisme lib­er­taire est une forme d’as­so­ci­a­tion entre les hommes, l’au­to­ges­tion appliquée immé­di­ate­ment à tous les aspects de la vie. Le Com­mu­nisme Lib­er­taire absolu c’est l’anar­chie.

Mais l’anar­chisme, c’est :
— en pre­mier lieu, un mou­ve­ment de lutte pour par­venir au Com­mu­nisme Lib­er­taire en l’ap­pli­quant si pos­si­ble déjà dans le présent entre mil­i­tants sous forme d’or­gan­i­sa­tion communautaire,
— c’est aus­si une façon d’être et de voir qui boule­verse toutes les valeurs et qui d’un rêve tend à faire la réalité.

Dans cet ordre d’idée, la « respon­s­abil­ité col­lec­tive » man­i­festée, par exem­ple, dans la rédac­tion col­lec­tive d’un texte, ne peut se met­tre en pra­tique que si les mem­bres de la col­lec­tiv­ité en ques­tion ont des con­tacts fréquents entre eux. Ceci n’est pos­si­ble qu’au sein d’un groupe local (voire d’une fédéra­tion locale de groupes). Mais sur les plans région­al et nation­al, le prob­lème se pose de désign­er des délégués chargés d’un pou­voir exé­cu­tif, qui par­lent au nom de tous, qui rédi­gent des textes et les sig­nent pour l’or­gan­i­sa­tion tout entière.

Tout ceci con­duit à une pas­siv­ité de tous qui accor­dent une con­fi­ance absolue à quelques-uns. Le sys­tème lui-même est faux d’un point de vue fédéral­iste lib­er­taire et présente assez peu de dif­férences avec un Par­ti ayant son Bureau Poli­tique. Chaque fois qu’il faut remanier le bureau, cela s’ac­com­pa­gne d’une offen­sive ambitieuse et bien­tôt d’une purge.

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Pour nous l’ex­pres­sion de l’or­gan­i­sa­tion régionale et nationale ne peut être que la résul­tante des efforts divers, se con­frontant et s’u­nis­sant quand ça devient logique (ce qui est ren­du pos­si­ble par une clar­i­fi­ca­tion issue de la confrontation).

Ces efforts ne peu­vent être issus que de groupes autonomes cor­re­spon­dant à une réal­ité locale, for­més d’in­di­vidus pou­vant se retrou­ver le plus sou­vent pos­si­ble – de groupes cor­re­spon­dant à une réal­ité psy­choso­ciale (de 3 à 15 indi­vidus, au sein desquels cha­cun peut s’ex­primer et où il n’y a que des degrés dif­férents entre des mem­bres tous ani­ma­teurs, et non cli­vages entre ani­ma­teurs et animés),

– de groupes cor­re­spon­dant à une réal­ité anar­chiste (union d’in­di­vidus au sein d’un groupe par affinité, sépa­ra­tion dès que deux ten­dances s’af­fir­ment, mais coor­di­na­tion main­tenue au sein d’une fédéra­tion locale ou régionale de groupes).

Là il peut y avoir respon­s­abil­ité col­lec­tive et même rédac­tion col­lec­tive de textes.

Sur les autres plans, tout peut être soumis à appro­ba­tion et n’en­gager que ceux qui ont approu­vé. Là est l’au­tonomie de la struc­ture de base.

III. – Confrontation Anarchiste

Autonomie ne sig­ni­fie nulle­ment Autar­cie. D’un groupe à un autre, d’une ville à l’autre, les prob­lèmes sont très divers. Ils se retrou­vent pour­tant sur nom­bre de points com­muns, ne serait-ce que celui de la répression.

Sou­vent égale­ment les prob­lèmes internes des groupes se répè­tent de local­ité à local­ité, d’an­née en année.

L’A­n­ar­chisme sem­ble un peu un par­ent déshérité quand on se retrou­ve à quelques-uns face au PC, à la Ligue Com­mu­niste, quand ces derniers mènent une stratégie inter­na­tionale, et que le groupe anar en est réduit à une stratégie de cer­cle restreint.

Il est dif­fi­cile de demeur­er encore Anar­chiste quand on vient de con­stituer un groupe jeune, que le mou­ve­ment « organ­isé » ne vous apporte rien et que ce groupe meurt.

L’au­tonomie sous-entend la coor­di­na­tion des activ­ités et la con­fronta­tion des points de vue et des expériences.

Tous les groupes neufs, nés en très grande par­tie après mai 68 ont man­i­festé un souci de coor­di­na­tion. Des ren­con­tres ont eu lieu, des régions, des jour­naux sont nés puis ont disparu.

Un groupe meurt d’être seul ; un anar­chiste renonce à l’A­n­ar­chisme quand il ne trou­ve pas dans le mou­ve­ment ce qu’il recherchait.

Il était néces­saire de créer un lien, une tri­bune per­ma­nente de con­tact entre tous les groupes qui se sont créés, un sou­tien à la for­ma­tion et à la pro­gres­sion d’autres groupes, une planche de départ à la con­sti­tu­tion durable de struc­tures fédéral­istes, un point de ral­liement anar­chiste où la dis­cus­sion est con­stam­ment en évo­lu­tion et où une dynamique col­lec­tive se crée résul­tant de tous les efforts de base dans l’unité pour reporter une force à la base dans la diversité.

Et c’est pourquoi nous avons créé « Con­fronta­tion Anar­chiste ».

S’il s’avère, ce qui n’est pas cer­tain, qu’il a tapé juste, il peut devenir le point de ral­liement de tous les groupes Autonomes Anar­chistes de France (quelle que soit leur actuelle appar­te­nance organ­i­sa­tion­nelle), leur instru­ment total, totale­ment auto­géré par tous ces groupes.

« Con­fronta­tion Anar­chiste » n’ap­par­tient qu’au mou­ve­ment anar­chiste à con­stru­ire, et c’est de la con­fronta­tion que naî­tra ce mouvement.

IV. – Quelques remarques

La pre­mière cir­cu­laire que j’ai rédigée con­tient peut-être une mal­adresse : « … un lien fédératif de tous les groupes autonomes anar­chistes. » Je tiens à pré­cis­er qu’un indi­vidu peut aus­si (pour moi) y par­ticiper à part entière, même en vue de la per­spec­tive finale.

Pourvu :
— qu’on respecte le principe d’autonomie
— qu’on se dise Anarchiste

Ce bul­letin n’est pas en con­tra­dic­tion avec l’ap­par­te­nance à la F.A., ni à l’U.F.A. qui sont d’ac­cord avec le principe d’au­tonomie du groupe. Je dirais même plus, après la paru­tion des deux ou trois pre­miers numéros, pour ne pas y par­ticiper, on ne peut avoir que deux raisons :

  1. comme l’O.R.A. des raisons fondamentales
  2. un attache­ment de clan et un refus du débor­de­ment des chapelles.

Nous sommes quelques-uns prêts à lut­ter con­tre tout indi­vidu ou groupe qui vien­dra à l’en­con­tre du principe de l’U­nité dans la Diversité.

En réal­ité l’A­n­ar­chisme doit être plus un mou­ve­ment qu’une organ­i­sa­tion unique ; cer­taines par­ties du mou­ve­ment coor­don­nant leurs actions en cer­taines occa­sions, et le mou­ve­ment tout entier pra­ti­quant un échange con­stant d’aides et de points de vue.

De ce bul­letin peu­vent naître simul­tané­ment deux choses :
— une coor­di­na­tion per­ma­nente (mais jamais oblig­a­toire ni défini­tive) de groupes autonomes ;
— un con­tact per­ma­nent entre tous les aspects de l’A­n­ar­chisme (ORA, CNT, Free Press, Indi­vid­u­al­isme, Non vio­lence, Com­mu­nautés, etc…).

Il est un lieu de ren­con­tre sans engage­ment de la part de ceux qui y vien­nent (sauf celui du respect de l’au­tonomie et de l’é­ti­quette Anar­chiste), et ceux qui y vien­nent s’y ren­con­trent libre­ment avec qui bon leur semble.

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Il est impos­si­ble à noy­auter car il ne vit que d’un engage­ment automa­tique sur le principe d’Au­tonomie et sur l’A­n­ar­chisme. Sa struc­ture est l’im­age d’une coor­di­na­tion de groupes autonomes (com­mis­sion tech­nique, plusieurs équipes de tirage, lib­erté totale d’ex­pres­sion…) et il n’ap­par­tient qu’à ceux-là mêmes qui con­vi­en­nent de cette structure.

Si demain la com­mis­sion tech­nique était ten­tée de le noy­auter, il se dégon­flerait de ses adhé­sions et la créa­tion du même bul­letin par une autre com­mis­sion tech­nique, s’adres­sant à ceux qui veu­lent se retrou­ver sur les principes énon­cés plus haut, cette créa­tion est pos­si­ble dans la semaine qui suit, les équipes de tirage étant décen­trées et exerçant un con­trôle direct du fait qu’elles expé­di­ent le bul­letin à tour de rôle.

[/P. Méric/]


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