La Presse Anarchiste

La dépouille de Pinelli terrorise les auteurs et les complices du massacre de Milan


La motion adop­tée à l’u­na­ni­mi­té à CIFA 2 ne doit pas être un vœu pieux.

En France, une cam­pagne en Décembre 69 s’est dérou­lée dont les thèmes étaient notam­ment : « l’at­ten­tat de Milan est une pro­vo­ca­tion fas­ciste » – « flics et fas­cistes la main dans la main tuent puis accusent les anarchistes ».

Pour les cama­rades ita­liens et pour les anar­chistes du monde entier, ceci était une cer­ti­tude, car jamais action anar­chiste [[sans doute une coquille dans le texte ori­gi­nal?]] n’a été comme celle-ci sau­va­ge­ment diri­gée contre la popu­la­tion laborieuse.

Cepen­dant, au len­de­main de ce crime, si les pré­somp­tions étaient grandes sur la culpa­bi­li­té des troupes d’ex­trême droite, les preuves n’é­taient pas encore établies.

Depuis, nos cama­rades ita­liens, unis dans cette tâche dif­fi­cile, ont patiem­ment recueilli témoi­gnages et indices, et aujourd’­hui c’est avec leur convic­tion sou­te­nue par les faits qu’ils vont abor­der la cam­pagne qui doit entou­rer le pro­cès de Val­pre­da et des autres cama­rades incul­pés et incar­cé­rés avec lui, ain­si que la qua­trième enquête sur la mort de Pinel­li

Il n’y a pas de degré dans l’hor­reur et la menace fas­ciste est la même en Espagne qu’en Ita­lie ou ailleurs. Le pro­cès de Bur­gos a sou­le­vé des pro­tes­ta­tions dans le monde entier, les­quelles ont fait recu­lé (bien peu il faut le dire car l’in­car­cé­ra­tion est bien sou­vent une mort à retar­de­ment) les bourreaux.

Nous devons tout mettre en œuvre pour que l’in­for­ma­tion bour­geoise se trouve, comme pour Bur­gos, dans l’o­bli­ga­tion de par­ler de la mort de Pinel­li et de l’in­car­cé­ra­tion arbi­traire de nos cama­rades. Nous devons tout mettre en œuvre pour dénon­cer un gou­ver­ne­ment qui « couvre » ces agis­se­ments de peur que ses « bien­veillances » une fois décou­vertes, le peuple ita­lien ne lui demande des, comptes.

Afin que cette cam­pagne soit effi­cace, nous pen­sons qu’il est néces­saire aujourd’­hui de dire où en sont les camardes ita­liens dans leur recherche (d’au­tant plus que, hélas, les infor­ma­tions ita­liennes n’ont pas sou­vent été tra­duites dans les jour­naux anar­chistes fran­çais, ce qui consti­tue une grave erreur de notre part).

Nous avons cher­ché dans la col­lec­tion d’Uma­ni­ta Nova les faits les plus mar­quants de cette longue enquête. Il est fort pro­bable que, n’é­tant pas spé­cia­listes, loin de là, de la langue ita­lienne, des faits nous aient échap­pé ou soient mal inter­pré­tés. Néan­moins nous pen­sons que faute de mieux ce tra­vail sera un point de départ pour la cam­pagne à envisager.

Ver­sion officielle

D’a­bord un « inter­ro­ga­toire » au cours duquel Pinel­li se montre « sou­riant, décon­trac­té, sûr de lui ». Puis on annonce à Pinel­li que Val­pre­da a avoué. Pinel­li crie « c’est la fin de l’A­nar­chisme » et se pré­ci­pite vers la fenêtre. Les poli­ciers essaient de le rete­nir, dans la lutte Pinel­li laisse une chaus­sure aux mains des flics, il se dégage et se jette du 4ème étage.

L’acte de Pinel­li prouve la culpa­bi­li­té de Val­pre­da, des autres cama­rades et du mou­ve­ment anar­chiste dans son entier.

Quoi de plus logique ?

Des faits troublants

- l’am­bu­lance arrive devant la pré­fec­ture de police quelques secondes à peine après la chute du corps. (ou bien le télé­phone marche beau­coup mieux en Ita­lie qu’en France, ou bien les poli­ciers ita­liens avaient quelque rai­son de pen­ser que Pinel­li allait « se suicider »).
– la police arrive à l’hô­pi­tal immé­dia­te­ment der­rière l’am­bu­lance (sans doute était-ce pour recom­man­der au corps médi­cal de prendre bien soin de la dépouille).
– Pinel­li porte tou­jours ses deux chaussures ;
– Pas de traces de sang à la tête (comme en pro­voquent de telles chutes) mais marque à la nuque carac­té­ris­tique d’un coup de Karaté ;
– traces sur le corps qui prouvent que celui-ci est tom­bé alors qu’il était déjà inanimé.

Témoi­gnages

Une phrase de Mgitre Cudillo (char­gé un moment, de l’af­faire) en dit, plus long que tout com­men­taire : « je ne com­prends pas pour­quoi, quand je fais citer comme témoin un élé­ment de droite, celui-ci s’i­ma­gine que je vais le faire arrê­ter ». Ce Mon­sieur Cudillo paraît pour le moins pué­ril et peu curieux car il n’a jamais cher­ché à com­prendre (à moins qu’on lui ai conseillé de jouer à l’imbécile).

D’autres témoins, qui n’é­taient pas tou­jours appe­lés (mais allez empê­cher les gens de vous rendre ser­vice !) sont venus :
– un moine par exemple qui a vu, après la seconde explo­sion un jeune gar­çon esca­la­der un mur de la rue. Quand on a vou­lu revoir ce moine il n’é­tait plus au couvent où il avait vécu jus­qu’a­lors et le Prieur, à la ques­tion : où est-il, répond : « qui le sait ? ».
– un nom­mé Almi­rante affirme connaître les noms des pro­vo­ca­teurs infil­trés dans les groupes anar­chistes et pro­pose de les citer quand on les lui deman­de­ra. Lors de l’ins­truc­tion, il se borne à répé­ter la même chose et per­sonne ne va plus loin. Or ici, de deux choses l’une : ou il a men­ti et devrait être incul­pé pour calom­nie, ou il ne ment pas, mais il doit par­ler ou être incul­pé de témoi­gnage réticent.
– un avo­cat Me Ambro­si­ni (élé­ment de droite au pas­sé déjà char­gé) convoque un jour l’ex-dépu­té com­mu­niste Achile Stua­ni à se rendre à son che­vet en cli­nique et raconte qu’il a assis­té le mer­cre­di 10 décembre 69 à une réunion au siège d’Ordre Nou­veau à Rome (pré­sent un dépu­té du MSI). Déci­sion prise : « aller à Milan pour tout foutre en l’air ». Ambro­si­ni ne com­prit que deux jours plus tard, il en tombe malade le pauvre homme ! (rai­son de son entrée en cli­nique). Stua­ni, mal­gré des demandes renou­ve­lées, n’a pas été reçu par le Minis­tère de L’Intérieur.

Mal­gré tout ceci, le juge char­gé de l’ins­truc­tion, un nom­mé Ama­ti, classe l’af­faire et décide de ne pas don­ner suite à la plainte de la com­pagne de Pinel­li, Licia Pinel­li, plainte contre le Pré­fet de Police Gui­da pour diffamation.

Pour­quoi vou­lez-vous que ce soit un atten­tat fasciste ?

On se demande vrai­ment ce que peuvent repro­cher les anars à un cer­tain Cartocci.

D’a­bord il faut vous dire que c’est lui qui esca­la­dait le mur (témoi­gnage du moine). Ren­sei­gne­ments pris, Car­toc­ci fut un temps étu­diant en comp­ta­bi­li­té, mais ce sont sur­tout ses acti­vi­tés extra-pro­fes­sion­nelles qui sont inté­res­sante Énu­mé­rons rapidement :
– il tra­vaille à la fusion du MSI et de divers groupes néo­na­zis italiens ;
– res­pon­sable à Rome de la dis­tri­bu­tion des fonds de « Secours Tricolore » ;
– entre­tient des contacts étroits avec les diri­geants de « Euro­pas Civi­li­ta » – pro­mo­teur de la recons­ti­tu­tion de « Avant­guar­dia Nazionale » ;
– membre de « Trente d’A­zione Stu­den­tes­co » qui n’est rien d’autre que la sec­tion des jeu­nesses d’Ordre Nouveau ;
– il est un des res­pon­sables d’Ordre Nou­veau (quand la police per­qui­si­tionne le local d’Ordre Nou­veau en Déc. 69, c’est lui qui signe le pro­cès-ver­bal en tant que responsable) ;
– en Décembre 69, il occupe des fonc­tions offi­cielles dans le PSI (lettres aux mains des cama­rades auteurs de la « Contre-enquête sur le Mas­sacre de Milan ») par les­quelles un diri­geant du MSI lui demande de faire un voyage « très dis­cret et en bonne forme » en Allemagne).

Bref un cur­ri­cu­lum vitae bien char­gé qui peut se résu­mer ain­si : il appar­tient et par­ti­cipe à tout ce qui peut y avoir de fas­ciste et nazi en Ita­lie et en Europe.

À la suite du témoi­gnage du moine, Car­toc­ci fut convo­qué. L’in­ter­ro­ga­toire dura 20 minutes (pour Pinel­li il dura 3 jours et 3 nuits, pour Val­pre­da, pour les pre­miers mois seule­ment d’in­car­cé­ra­tion : 200 heures et peut se résu­mer en deux questions :

Q – que fai­siez-vous sur les lieux du massacre ?

R – je n’y étais pas ! me pren­driez-vous pour un anarchiste ?

Q – que fai­siez-vous alors ce jour là à cette heure là ?

R – (après longue réflexion) j’é­tais au ciné­ma, j’ai vu un des­sin animé.

Ouf ! voi­là au moins un ali­bi qui tient ! vous voyez bien qu’il est innocent !

Quelque temps après, à la suite d’autres accu­sa­tions, Car­toc­ci est convo­qué à nou­veau : Il est introu­vable. Pas pour tout monde : il a été vu dans toutes les mani­fes­ta­tions qui se sont dérou­lées en Ita­lie depuis Reg­gio de Calabre et autres), et un jour­na­liste de l’U­ni­ta a eu le plai­sir de le décou­vrir à Bar­do­nec­chia par­ti­ci­pant acti­ve­ment à un camp de pré­pa­ra­tion para­mi­li­taire d’Ordre Nouveau.

Puis­qu’on vous dit que ce sont les anars les coupables ! !!

Pinel­li s’est sui­ci­dé, donc Val­pre­da est cou­pable. C’est clair, non ? Qu’im­porte si aucune preuve n’a pu être rete­nue contre Pinel­li et si Val­pre­da vivait à cette époque sous une sur­veillance constante (les flics, vexés par les échecs suc­ces­sifs, l’a­vaient d’ailleurs aver­ti : « la pro­chaine fois qu’on te coin­ce­ra, on s’ar­ran­ge­ra, ton compte sera bon »).

Qu’est-ce que cela peut faire que Val­pre­da ait reçu un télé­gramme du juge Ama­ti (encore lui !) le convo­quant le 12 décembre 69 à Milan et que Val­pre­da ait été arrê­té en sor­tant de chez le Juge.

Que s’est-il pas­sé depuis ?

Beau­coup de pro­cès : celui des jeunes (anar­chistes et gauche extra par­le­men­taire) impli­qués dans l’af­faire des atten­tats du 25 avril ; pro­cès conduit en vio­la­tion ouverte vis-à-vis des droits de la défense. Magis­trat : AMATI (tiens ?)

Le pro­cès de Cala­bre­si contre le jour­nal « Lot­ta Conti­nua », pour dif­fa­ma­tion ou « l’ac­cu­sa­teur accusé ».

Plus toutes sortes de machi­na­tions, de blo­cage de cour­rier, etc., trop longues à énu­mé­rer dans le cadre de ce travail.

Où en sommes-nous ?

Aujourd’­hui, l’ou­ver­ture de la qua­trième enquête sur la mort de Pinel­li est pro­vo­quée par l’in­cul­pa­tion des flics Alle­gra et Cala­bre­si pour « déten­tion illé­gale » (lisez séques­tra­tion) et « homi­cide par coup » (lisez homi­cide volon­taire). Le sub­sti­tut pro­cu­reur (nom­mé Gres­ti) a noti­fié leurs incul­pa­tions à ces deux mes­sieurs puis il est par­ti en congé tout sim­ple­ment, pour ne ren­trer que le 10 octobre.

Ain­si 21 mois après, on accuse gen­ti­ment les deux tor­tion­naires (mais on se garde bien de tou­cher au Pré­fet de Police Gui­da) mais l’on ne parle tou­jours pas de faire effec­tuer une nou­velle autop­sie du corps de Pinel­li, ou, de faire ouvrir le pro­cès de Val­pre­da et des autres cama­rades. Il s’a­git avant tout de gagner du temps.

Depuis 21 mois, dans toutes les mani­fes­ta­tions, assem­blées au tri­bu­nal même, des hommes se sont levés et ont crié « Cala­bre­si assas­si­no » et il ne s’est pas trou­vé dans toute l’I­ta­lie un seul avo­cat capable de faire ouvrir la tombe de Pinel­li. Le but est évident : il faut attendre que l’é­tat de décom­po­si­tion du corps ne puisse plus per­mettre d’af­fir­mer quoi que ce soit.

Pinel­li a payé de sa vie son refus de col­la­bo­rer à l’ar­res­ta­tion de Val­pre­da. Après « il en savait trop » comme on dit dans les mau­vais romans poli­ciers. Et puis il y a un hic. Cala­bre­si ne veut pas payer seul les pots cas­sés en com­mun. Certes la mort de Pinel­li n’é­tait pas au pro­gramme de ses chefs, mais dans toute entre­prise, il y a des risques, n’est-ce pas ? Cha­cun doit les assu­mer, non ?

Tout ceci ce sont des faits. L’heure des pré­somp­tions est bel et bien pas­sée. Notre cam­pagne doit com­men­ce­ra mais nous devons avoir deux objectifs :
Sau­ver la vie et obte­nir la liber­té pour les cama­rades emprisonnés.

Là est l’Ob­jec­tif essen­tiel. Nous avons besoin de tous nos cama­rades et jamais nous ne devons perdre cela de vue. Val­pre­da est incar­cé­ré dans la pri­son la plus ignoble et insa­lubre de l’I­ta­lie, son pro­cès est repor­té sans cesse. Atten­drons-nous qu’il meure de mala­die et des mau­vais traitements ?
– Mon­trer par tous les moyens que Alle­gra et Cala­bre­si ne sont que de minus­cules rouages de la machine infer­nale lan­cée contre le mou­ve­ment anar­chiste (pre­mier but de l’ex­trême droite mais non le der­nier, mes­sieurs de la « gauche » par­le­men­taire ou non). Au-des­sus d’eux, il y a Gui­da, le pré­fet de police, il y a la mon­tée fas­ciste en Ita­lie, ces gens n’ont pas oublié les leçons de leurs pré­dé­ces­seurs (incen­die du Reichs­tag, atten­tat à l’O­pé­ra de Milan). Mais il y aus­si le gou­ver­ne­ment « démo­cra­tique » qui comme tou­jours pré­fère cou­vrir les hor­reurs fas­cistes plu­tôt que d’ai­der ceux qui sont pour une véri­table éman­ci­pa­tion de l’homme.

Tous ceux qui, direc­te­ment ou indi­rec­te­ment, sont com­pro­mis dans cette affaire doivent être dénon­cés, y com­pris la presse tra­di­tion­nelle qui se met à récla­mer « jus­tice » une fois que les incul­pa­tions de Alle­gra et Cala­bre­si ont été pro­non­cées (il faut prendre le train coûte que coûte et ils sont des spé­cia­listes de la prise du train une fois qu’il est mis en marche).

Val­pre­da est inno­cent, l’État non !

Les patrons ont mis les bombes – Les poli­ciers ont tué Pinelli

Les magis­trats ont cou­vert le véri­table assas­sin
.

Tels sont les faits

N’at­ten­dons rien de la « jus­tice démo­cra­tique » qui ne peut tra­hir sa fonc­tion spé­ci­fique de gen­darme de l’État.

[/​Sylvie/​]

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