La Presse Anarchiste

Pour l’ultime révolution anarchiste

Les luttes de pointe de l’A­nar­chisme se sont toutes sol­dées par un gâchis, et chaque fois tout fût à recommencer.

D’i­ci vingt ans l’hu­ma­ni­té va périr de par toutes les forces des­truc­trices qu’elle s’est for­gées contre elle même. La pro­chaine Révo­lu­tion éman­ci­pa­trice est l’ul­time recours et il s’a­git pour nous de pro­fi­ter des échecs passés :
– en appro­fon­dis­sant, radi­ca­li­sant et per­fec­tion­nant sans cesse nos struc­tures et nos méthodes de combat ;
– en créant dans la vie quo­ti­dienne la socié­té libre et saine qui demain suc­cé­de­ra à la socié­té actuelle en dégé­né­res­cence accélérée.

L’ex­pé­rience bul­gare : (lire à ce pro­pos le tra­vail de G. Bal­kans­ki sur Cheitanov)

Entre 1914 et 1925, les anar­chistes construisent des groupes d’ac­tion, par­viennent presque à la construc­tion de colonnes. Il faut voir le tra­vail d’a­ma­teurs, tel Chei­ta­nov, effec­tué dans ce des­sein ; ils se déplacent sans cesse, cou­rant des risques tou­jours plus grands.

La FACB, au départ, n’est pas clan­des­tine, mais elle pren­dra bien vite des revers du fait des rap­ports évi­dents qu’elle avait avec les groupes d’action.

La lutte des anar­chistes en Bul­ga­rie se ter­mine par une véri­table débâcle. S’in­sé­rant dans un « Front Uni » avec les com­mu­nistes et les Sociaux-Démo­crates, ils servent de chair à tor­ture et à exé­cu­tion, et perdent leur temps à traî­ner les autres par­tis der­rière eux.

Ils consti­tuent une mino­ri­té consciente et agis­sante, sans struc­tures de contact avec le peuple (ne serait-ce qu’a­vec ceux qui leur apportent leur sym­pa­thie et qui ne peuvent mani­fes­ter leur sou­tien dans l’action).

Ils ont for­mé des groupes de résis­tance armée sous forme de maquis ; c’est tout – mais non une arme per­fec­tion­née qui frappe là où il faut, quand il le faut.

La révo­lu­tion espagnole

À Bar­ce­lone, le len­de­main du 19 juillet, tous réclament le Com­mu­nisme Liber­taire, trois jours plus tard, le pas déci­sif dans ce sens n’ayant pas été accom­pli, la situa­tion se pour­rit dans cer­tains sec­teurs, où s’ins­talle le régime des pots de vin et du petit pro­fit (indus­trie maraî­chère entre autres).

Les Hommes révo­lu­tion­naires se voient contraints chaque jour de faire sor­tir de leur lit douillet bon nombre de lâcheurs.

Un an plus tard la FAI consta­te­ra la nais­sance d’une bureau­cra­tie. Cer­tains « res­pon­sables » ont ten­dance à se com­por­ter en PDG.

C’est aux struc­tures qu’il fal­lait s’en prendre !

Une orga­ni­sa­tion où les délé­gués n’ont de délé­gués que le nom, et où les struc­tures leur per­mettent de dis­po­ser d’un pou­voir plus exé­cu­tif qu’ad­mi­nis­tra­tif, de gar­der des secrets, de déci­der à l’in­su de la base et de l’in­for­mer ensuite – est une orga­ni­sa­tion qui engendre la bureau­cra­tie et qui tend à se trans­for­mer en Parti.

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Tirons quelques ensei­gne­ments des erreurs essen­tielles de la révo­lu­tion espagnole.

À côté des gens qui aujourd’­hui nous disent : « c’é­tait impos­sible », nous avons recueilli d’autres témoi­gnages de cer­tains de ceux qui prô­naient alors déjà le « tout est pos­sible ! ». Nous n’a­vons aucune « période de tran­si­tion » à accep­ter. Dès la pre­mière heure de l’in­sur­rec­tion, toute pers­pec­tive révo­lu­tion­naire qui appa­raît avec clar­té doit être immé­dia­te­ment auto­ri­sée et encou­ra­gée. L’ac­cep­ta­tion de com­pro­mis ren­voyant cer­tains objec­tifs à « plus tard » (c’est-à-dire jamais), c’est la poli­tique du Rien en guise du Tout, et si on risque de perdre en s’é­lan­çant vers le Tout dès le pre­mier jour, on est cer­tain de ne jamais atteindre la vic­toire si on aliène la révo­lu­tion dès les pre­miers bal­bu­tie­ments à des consi­dé­ra­tions d’é­chi­quier politique.

1) Dès le 19 juillet, il fal­lait, implan­ter le com­mu­nisme liber­taire sinon dans toute l’Es­pagne, du moins en Cata­logne et en Ara­gon et cer­taines autres pro­vinces à pré­pon­dé­rance libertaire.

2) La par­ti­ci­pa­tion à la Géné­ra­li­té puis au gou­ver­ne­ment étaient à refu­ser caté­go­ri­que­ment. Le 2 mai 1937, les com­mu­nistes (mino­ri­té ter­ro­riste et pas peuple) auraient dû être neutralisés.

3) Il fal­lait écou­ter ceux qui refu­saient la mili­ta­ri­sa­tion et pro­lon­ger en par­ti­cu­lier une cer­taine expé­rience de la F.A.I. et de la C.N.T. de la lutte clandestine.

Un homme clan­des­tin bien pla­cé, ayant pour objec­tif la des­truc­tion de points pré­cis des centres ner­veux enne­mis, lais­sant peser sur eux la menace d’é­pée de Damo­clès, est un titan. Ce même homme, un fusil entre les mains, jeté sur un front de ligne, n’est qu’un jeton par­mi les autres – et dans le jeu d’é­chec, il est le pion de peu de pos­si­bi­li­tés face aux autres mieux armés, mieux sou­te­nus et mieux diri­gés pour une telle sorte de combat.

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Si on a pu com­mette de telles erreurs, ce n’est pas par mal­adresse. Une orga­ni­sa­tion aus­si nom­breuse que la CNT ne pou­vait pas se trom­per du seul fait des déci­sions d’une mino­ri­té, même pla­cée à sa tête.

Les causes sont à recher­cher dans la concep­tion même de l’or­ga­ni­sa­tion de lutte, en se gar­dant bien de dénon­cer des indi­vi­dus comme « cou­pables » des erreurs, et de s’en tenir uni­que­ment à la prise en consi­dé­ra­tion des échecs.
– Le mou­ve­ment doit se remettre en ques­tion en per­ma­nence sur l’es­sen­tiel. Non seule­ment les hommes, mais aus­si les réso­lu­tions doivent être révo­cables à merci.
– Les expé­riences anar­chistes russe et bul­gare, syn­di­ca­liste révo­lu­tion­naire en France, et l’ex­pé­rience espa­gnole, devraient nous suf­fire lar­ge­ment pour refu­ser dès aujourd’­hui tout « Front Uni », toute liai­son « Popu­laire », tout effa­ce­ment de l’A­nar­chisme qui nous bouffe idéo­lo­gi­que­ment et tactiquement.

Le camp anar­chiste doit se construire en dehors de toutes les struc­tures du sys­tème (ou à son image), les débor­der et les anni­hi­ler en cas­cade au moment oppor­tun (celui de l’in­sur­rec­tion spontanée).

J’en­tends par struc­tures du sys­tème autant l’École Publique que les syn­di­cats clas­siques, les par­tis et orga­ni­sa­tions grou­pus­cu­laires avant-gar­distes, les sectes petites-bour­geoises et cha­ri­tables, les églises et les contre-églises.

Sur le plan posi­tif, les solu­tions orga­ni­sa­tion­nelles et pra­tiques doivent être adop­tées à la lueur d’un anar­cho-syn­di­ca­lisme réac­tua­li­sé, au moyen d’un tra­vail de confron­ta­tion tel que celui que se fixe le pré­sent bul­le­tin, tout en s’as­su­rant l’or­ga­ni­sa­tion d’une résis­tance pour parer les coups.

[/​Léonard Mis­tral/​]

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