La Presse Anarchiste

Réunion de Paris – Août 1971

[(Textes dis­cu­tés :
– Décla­ra­tion du groupe Voline à une réunion en marge du 2e congrès de l’I.F.A. le 1/​8/​71 et regrou­pant une par­tie de la délé­ga­tion française ;
– préa­lable en six points pré­sen­tés par des mili­tants de l’U.F.A.)]

Groupe Voline (F.A.) – Strasbourg-Mulhouse

Il y a plu­sieurs façons d’a­bor­der ce regrou­pe­ment néces­saire du mou­ve­ment liber­taire. Nous pen­sons que celle pré­co­ni­sée par Pierre Méric est la bonne, à condi­tion tou­te­fois de ne pas brû­ler les étapes. Expliquons-nous :

Si au lieu d’a­jou­ter une orga­ni­sa­tion sup­plé­men­taire à celles déjà exis­tantes, et donc d’ac­croître la divi­sion et la confu­sion, nous créons un organe de confron­ta­tion per­ma­nente, organe ouvert à toutes les expres­sions anar­chistes, nous allons nous aper­ce­voir que les posi­tions expri­mées, les cli­vages qui se feront jour, ne recoupent pas tou­jours les divi­sions orga­ni­sa­tion­nelles, nous allons nous aper­ce­voir qu’il est pos­sible à ces dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions d’œuvrer en com­mun sur des objec­tifs pré­cis ; enfin nous aurons fait la démons­tra­tion que les rap­ports froids, dis­tants et sou­vent hos­tiles entre les orga­ni­sa­tions n’ont la plu­part du temps comme seule jus­ti­fi­ca­tion que de vieilles ani­mo­si­tés et ran­cunes personnelles.

Nous admet­tons bien enten­du que cet organe de confron­ta­tion sera dou­blé par un col­lec­tif coor­don­nant, dif­fu­sant les dif­fé­rentes pro­po­si­tions de pro­pa­gande et d’ac­tion, pro­po­si­tions que chaque com­po­sant est libre d’a­dop­ter ou non. Un tel pro­gramme se concré­ti­sant, nous débou­che­rons plus ou moins rapi­de­ment sur un regrou­pe­ment struc­tu­rel des orga­ni­sa­tions anarchistes.

La deuxième méthode, tout à fait clas­sique, consiste à se mettre d’ac­cord sur un cer­tain nombre de pro­po­si­tions théo­riques et à par­tir de là, de pré­pa­rer un congrès de réuni­fi­ca­tion. Or ici, nous allons buter sur un nombre incal­cu­lable d’obs­tacles, nous allons mettre l’ac­cent avec pas­sion sur nos diver­gences, nous allons ravi­ver les vieilles que­relles théo­riques, et en défi­ni­tive, cet essai de regrou­pe­ment fini­ra en queue de pois­son, ou n’au­ra fait que ren­for­cer une cha­pelle au détri­ment d’une autre.

Quoique l’O.R.A. ne par­ti­cipe pas à cette ren­contre, elle touche le fond du pro­blème en se réfé­rant à la plate-forme d’Ar­chi­nov. Ce qui est en cause, ce n’est pas la rigueur orga­ni­sa­tion­nelle dont nous sommes les pre­miers à déplo­rer l’in­suf­fi­sance dans nos orga­ni­sa­tions, ce ne sont pas les centres de coor­di­na­tion à dif­fé­rents niveaux et la cohé­rence de l’or­ga­ni­sa­tion, c’est l’au­to­no­mie du groupe de base.

À par­tir du moment où cette auto­no­mie du groupe est mise en ques­tion, nous assis­tons à une pre­mière cou­pure ; non que nous soyons hos­tiles à une délé­ga­tion de pou­voir pour la coor­di­na­tion néces­saire de la pro­pa­gande et d’é­ven­tuelles actions, mais cette délé­ga­tion ne peut por­ter pour nous que sur des tâches bien défi­nies, une coor­di­na­tion admi­nis­tra­tive si l’on veut, ce qui n’ex­clut pas, bien au contraire, un rôle d’im­pul­sion à ces dif­fé­rents centres de coor­di­na­tion, mais ce que nous ne pou­vons accep­ter, c’est que l’o­rien­ta­tion de l’or­ga­ni­sa­tion soit déter­mi­née à par­tir d’un comi­té inves­ti ou non par un congrès.

Nous res­pec­tons nos enga­ge­ments, hono­rons nos contrats d’as­so­cia­tion, fai­sons confiance aux cama­rades res­pon­sables que nous avons dési­gné pour des tâches pré­cises, mais nous ne recon­nais­sons à per­sonne le pou­voir d’im­po­ser une ligne à notre groupe, cette orien­ta­tion du groupe, il nous appar­tient de la déter­mi­ner nous-mêmes.

Nous pas­sons sur d’autres écueils comme la dis­cus­sion sur la syn­thèse anar­chiste, nous dirons sim­ple­ment que l’a­nar­chie est un tout dif­fi­ci­le­ment dis­so­ciable, une expé­rience de groupe nous rap­pelle aus­si que l’at­trac­tion des idées liber­taires sur la jeu­nesse est loin de se réduire au seul com­mu­nisme liber­taire et ajoute volon­tiers au mili­tan­tisme « poli­tique » une remise en ques­tion de la vie quo­ti­dienne ; limi­ter le mou­ve­ment anar­chiste à un rôle d’a­vant-garde « lutte des classes » est une façon sin­gu­lière de tirer les ensei­gne­ments de 68, d’au­tant que sur ces sen­tiers bat­tus de l’a­vant-gar­disme, nos petits copains mar­xistes-léni­nistes-trots­kystes-maoïstes ont une tout autre séduc­tion auprès des aspi­rants activistes.

Pour nous la dif­fi­cul­té ne réside pas dans la coor­di­na­tion de l’ac­ti­vi­té des groupes (une coor­di­na­tion fédé­ra­liste excluant toute cen­tra­li­sa­tion bureau­cra­tique est un pro­blème rela­ti­ve­ment simple à résoudre si elle concerne des groupes suf­fi­sam­ment solides et consé­quents), la dif­fi­cul­té réside au niveau du groupe quant à la notion de res­pon­sa­bi­li­té indi­vi­duelle et col­lec­tive, res­pon­sa­bi­li­té qui implique l’en­ga­ge­ment moral du mili­tant d’as­su­mer les tâches entre­prises et de res­pec­ter les déci­sions prises col­lec­ti­ve­ment par le groupe, et c’est sans doute là où nous pou­vons nous ins­pi­rer le plus lar­ge­ment de la plate-forme d’Archinov.

La force du mou­ve­ment anar­chiste ne réside pas dans une quel­conque cen­tra­li­sa­tion plus ou moins diri­giste, mais dans la pro­fonde ori­gi­na­li­té de chaque groupe à condi­tion que celui-ci soit homo­gène, cohé­rent, res­pon­sable. Ceci n’est pas trans­for­mer ou main­te­nir le mou­ve­ment en une pous­sière de micro-grou­pus­cules, mais le meilleur moyen d’at­teindre à cette uni­té dans la diver­si­té qui est la carac­té­ris­tique du mou­ve­ment anarchiste.

Encore fau­drait-il que nous nous don­nions les moyens per­met­tant de tra­vailler ensemble dans une sin­cère et loyale confron­ta­tion de nos thèses et options, et pour ce faire, les pro­po­si­tions de Pierre Méric nous semblent réel­le­ment sus­cep­tibles d’a­mor­cer un pro­ces­sus de réuni­fi­ca­tion du mou­ve­ment anarchiste.

Préalable en six points présentés par des militants de l’U.F.A.

- Néga­tion de toute struc­ture sociale repo­sant sur le prin­cipe d’autorité ;
– Néces­si­té d’en­vi­sa­ger l’or­ga­ni­sa­tion sociale sur des bases fédé­ra­listes-anar­chistes, ce qui rejette tout recours à l’État ;
– Néces­si­té pour chaque mili­tant de se sen­tir plei­ne­ment concer­né par tous les pro­blèmes pou­vant sur­gir au sein du groupe, et de s’as­treindre au tra­vail et aux efforts que demande le fonc­tion­ne­ment de celui-ci ;
– Néces­si­té d’ad­mettre que cha­cun puisse expri­mer ses points de vue sans être taxé de sec­ta­risme, même si ces vues ne vont pas dans le sens de celles admises par la plus grande par­tie du groupe ;
– Néces­si­té d’ad­mettre que l’a­nar­chisme n’est pas conci­liable avec les cou­rants mar­xistes (mais aus­si avec toute pen­sée méta­phy­sique, per­son­na­liste ou plus sim­ple­ment phi­lo­so­phique fai­sant appel au dogme), dont les vues sur l’or­ga­ni­sa­tion sociale sont fata­le­ment autoritaires ;
– Néces­si­té de main­te­nir le mot anar­chisme pour dési­gner les idées qui sont les nôtres et de se récla­mer de l’anar­chie, sans sou­ci de déplaire, l’a­nar­chisme étant l’a­ve­nir alors que toutes les autres doc­trines appar­tiennent au passé.

La Presse Anarchiste