La Presse Anarchiste

Aux camarades

Hier encore les anar­chistes savaient, du moins dans les grandes lignes, à quoi s’en tenir sur les moyens de pro­pa­gande à employer, pour abou­tir à la réa­li­sa­tion de l’i­dée de Jus­tice, de Véri­té, de Liberté.

Certes, les tac­tiques pou­vaient être dif­fé­rentes, les tem­pé­ra­ments l’é­tant, mais l’a­mour du vrai nous condui­sait tou­jours au même but, si bien que nous avions pour enne­mis com­muns tous les hommes d’in­jus­tice, tous les hommes de men­songe, tous les hommes d’au­to­ri­té. Oui, le clan enne­mi était et il est res­té fort, mais pas sans fai­blir quel­que­fois sous les ter­ribles coups, que lui por­tèrent les nôtres, trop peu nom­breux, hélas ! mais d’au­tant plus héroïques.

On pou­vait espé­rer alors : il ne s’a­gis­sait que de deve­nir plus nom­breux, et un beau jour, don­ner l’as­saut, ouvrir l’ère du bon­heur pour tous.

Ah, les temps sont bien chan­gés ! Nom­breux déjà étaient ceux que l’i­dée avait déga­gé de la pour­ri­ture pes­ti­len­tielle, qu’est la socié­té, bien d’autres en seraient sor­tis. Mais l’i­dée, si nette, si claire qui fai­sait jadis notre force, va si nous ni pre­nons garde de suite, se cor­rompre gra­duel­le­ment, à force de conces­sions de plus en plus plates et, abdi­quant de point en point, nous ne tar­de­rons pas, sous des pré­textes mul­tiples et divers, de ne conser­ver d’an-archiste, que le nom ; nous sau­ve­rons les appa­rences, nous res­sem­ble­rons à ces fruits de bel aspect, dont un para­site a ron­gé la chair.

Est-ce trop de sous-enten­dus, pour que vous com­pre­niez, cama­rades, faut-il des expli­ca­tions plus pré­cises encore ? N’a­vez-vous pas aper­çu. sor­tant des cha­peaux de pseu­do-amis, des pointes d’o­reilles d’am­bi­tieux, replâ­treurs, conser­va­teurs en un mot ? Si vous n’a­vez pas vu, vous n’a­vez pu au moins entendre le coup de feu, tiré, avant l’ordre du feu de salve, par un mal­adroit de la troupe, ou peut-être par un éclai­reur, pous­sant une pointe :

« Aux urnes, liber­taires, et pas d’abstentions ».

Le choc, que j’en ai reçu, a été, quant à moi, un puis­sant réac­teur, me sur­pre­nant, tout à coup et si près de l’a­bîme. Je pousse mon cri d’a­larme, criant : casse-cou ? aux sin­cères cama­rades, sus­cep­tibles de suivre plus loin cette pente de com­pro­mis­sion, et je crache, en m’en éloi­gnant, mon indi­gna­tion et la face de tous ces char­la­tans de la politique.

[/A.P./]

La Presse Anarchiste