La Presse Anarchiste

Des mots

De toutes parts les cama­rades dis­cutent sur cer­tains mots et la majeure par­tie en font un jeu très regret­table pour l’idée.

L’in­di­vi­dua­lisme — car c’est de lui prin­ci­pa­le­ment qu’il est ques­tion — s’é­tend à tous, parce qu’il est en rap­port avec tous.

Pour ne par­ler que de moi, j’as­sure ne rien faire pour contra­rier mon indi­vi­du. Je ne fais un acte que lorsque je suis en dis­po­si­tion pour le faire, c’est-à-dire que j’en éprouve un besoin et une satis­fac­tion, tout au moins dans la mesure du pos­sible, étant don­née la socié­té actuelle.

Indi­vi­dua­liste, je le suis, comme cha­cun. L’in­di­vi­du, sui­vant l’ex­pres­sion de cer­tains, est bon ou mau­vais ; je crois qu’il n’est ni l’un, ni l’autre. Nous ne fai­sons rien qui puisse nous être désa­gréable, mais au contraire tout par besoin et pour notre satis­fac­tion. Quel­que­fois cepen­dant, par suite d’une fai­blesse de tem­pé­ra­ment, on se laisse influen­cer par quelques pré­ten­tieux arri­vistes ou exploi­teurs, qui ne cherchent qu’à tirer un pro­fit maté­riel de tout ce qu’ils entre­prennent, en entraî­nant avec eux des cama­rades timides, sans volon­té, les­quels agissent sui­vant les ins­truc­tions et pour les satis­fac­tions de ces regret­tables indi­vi­dus. Dans un autre ordre d’i­dées, en rai­son de la socié­té bour­geoise qui nous opprime, bien des indi­vi­dus font la cour­bette, mou­chardent leurs cama­rades, abusent de leur confiance où de l’au­to­ri­té qu’ils peuvent avoir sur eux, en rai­son d’une posi­tion qu’ils occupent, comme chiens de garde, gardes-chiourme, contre­maitres, direc­teurs, etc., et par là obli­tèrent leur per­son­na­li­té et celle de leurs subor­don­nés. Là, c’est un inté­rêt qui les conduit, car ils pré­tendent ne pou­voir vivre aisé­ment et sans tra­cas, sans cette manière d’a­gir, fâcheuse pour ceux qui subissent leur auto­ri­té ou leur espion­nage, ne se pré­oc­cu­pant en rien des désastres qu’ils engendrent maté­riel­le­ment aux cama­rades, en se fai­sant les sous-ordres des gou­ver­nants oppres­seurs et des exploi­teurs qui nous grugent.

Si ces dégoû­tants per­son­nages pré­tendent pour tout argu­ment faire res­sor­tir leur indi­vi­dua­lisme, je leur dis qu’ils ne sont que des exploi­tés de la classe bour­geoise et du clan patro­nal, puisque ceux-ci se reposent entiè­re­ment sur leur basse besogne et leur vile indi­vi­dua­li­té pour éta­blir d’une façon pré­cise et assu­rer la police dont ils ont besoin.

Ici, la lâche­té et l’or­gueil domi­na­teur, la recherche d’une situa­tion plus assu­rée sont les seuls mobiles qui les font agir. Trop lâches pour reven­di­quer leur droit à la vie, leur par­ti­ci­pa­tion au bien-être, ils s’a­baissent devant le maitre pour le mieux de leurs inté­rêts dans la socié­té. Par­mi nous ceux-là sont les indi­vi­dua­listes à grande gueule, et leur men­ta­li­té ne leur per­met pas d’autre action.

La soli­da­ri­té — encore un mot que l’on pro­nonce sou­vent et pour­tant il est vide de bon sens.

Pour moi, lorsque je sous­cris pour une œuvre quel­conque ou si je sou­lage un cama­rade misé­reux, ce n’est pas par effet de bon­té, de soli­da­ri­té, mais sim­ple­ment parce que cela me fait plai­sir de le faire, car souf­frant de la misère du cama­rade, en le sou­la­geant je me satis­fais moi-même de le voir moins mal­heu­reux. Il n’y a donc pas là de soli­da­ri­té puisque c’est pour s’é­vi­ter une souf­france morale que l’un vient en aide à qui­conque est malheureux.

Le dévoue­ment — Au point de vue de la pro­pa­gande, les cama­rades anar­chistes la font assi­dû­ment et ne reculent devant aucune fatigue. Vou­lant le bon­heur de tous pour conqué­rir le sien, rien de plus natu­rel que la lutte pour l’é­la­bo­ra­tion de cet idéal.

Je lutte non par obli­ga­tion, ruais par besoin. Las de vivre sous l’op­pres­sion et exploi­té comme je le suis ; j’ai hâte que la pro­pa­ga­tion de mon idéal accé­lère sa marche, si je veux la liber­té de tous, le bien-être pour tous, c’est pour que moi-même je contri­bue à la liber­té et au bien-être qui me sont nécessaires.

[/​L. Pro­tat/​]

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