La Presse Anarchiste

Ferrer (1859 – 1909)

Nous ne pou­vons pas oublier Fran­cis­co Fer­rer, le vaillant anar­chiste et péda­gogue espa­gnol, tom­bé dans les fos­sés de Mont­juich, le 13 octobre 1909, sous les balles des ser­vi­teurs d’Al­phonse xiii et du cler­gé de la péninsule.

Voi­là aus­si un pion­nier de l’é­man­ci­pa­tion prolétarienne.

Après un pro­cès où les témoins dépo­sèrent par écrit, où l’ac­cu­sé ne par­la pas, où les charges demeu­rèrent secrètes, où la sen­tence ne fut pas publique, où les comptes ren­dus furent tru­qués, Fer­rer est mort pour avoir vou­lu que l’é­du­ca­tion de l’en­fant du peuple ne soit plus faite dans l’in­té­rêt de l’É­tat et de l’É­glise, mais qu’elle soit faite dans l’in­té­rêt de l’en­fant lui-même et du peuple dont il sort.

Si nous sommes d’ac­cord, disait Fer­rer, que la classe ouvrière, ou mieux encore l’hu­ma­ni­té en géné­ral, ne doit rien attendre d’un Dieu ou d’un pou­voir sur­na­tu­rel quel­conque, pour­rons-nous rem­pla­cer ce pou­voir par une autre enti­té, l’É­tat par exemple ?

Non, l’é­man­ci­pa­tion pro­lé­ta­rienne ne peut être que l’œuvre directe et consciente de la classe ouvrière elle-même, de sa volon­té de s’ins­truire et de savoir.

Si le peuple tra­vailleur reste igno­rant, il demeu­re­ra asser­vi à l’É­glise ou à l’É­tat, c’est-à-dire au capi­ta­lisme repré­sen­tant ces deux enti­tés. Si au contraire il s’ins­pire de la rai­son et de la science, son inté­rêt bien com­pris le pous­se­ra vite à mettre un terme à l’ex­ploi­ta­tion, afin que le tra­vailleur puisse deve­nir l’ar­bitre des des­ti­nées humaines.

Il s’a­git par consé­quent, selon nous, de mettre avant tout la classe ouvrière en état de com­prendre ces vérités.

Éta­blis­sons un sys­tème d’é­du­ca­tion par lequel l’en­fant puisse vite et bien arri­ver à connaître l’o­ri­gine de l’i­né­ga­li­té éco­no­mique, le men­songe reli­gieux, le mal­fai­sant amour patrio­tique, et toutes les rou­tines fami­liales et autres qui le retiennent en esclavage.

Fer­rer avait une telle confiance dans l’é­tude de la vie telle qu’elle est, et spé­cia­le­ment dans l’é­tude de la vie hors des livres, hors des murs de la classe, dans l’ap­pren­tis­sage de la vie là où se passe la vie, dans les champs, bois, ate­liers, chan­tiers, dans la rue, etc., qu’il vou­lait une dis­cré­tion abso­lue chez les péda­gogues à l’en­droit des élèves. « Le véri­table édu­ca­teur, écri­vait-il, est celui qui peut le mieux défendre l’en­fant contre ses idées, ses volon­tés à lui, qui en appelle le plus aux éner­gies propres de l’enfant. »

Et c’est parce que Fer­rer avait un res­pect infi­ni de l’en­fant et du peuple des pro­duc­teurs qu’on nous l’a tué.

Mais son influence reste.

Beau­coup d’ou­vriers, depuis Fer­rer, ont com­pris quelles capa­ci­tés péda­go­giques étaient en eux ; ils se sont mis à sur­veiller, à com­plé­ter, à rec­ti­fier l’ins­truc­tion de leurs enfants. Et l’on tra­vaille plus qu’au­tre­fois à unir l’é­cole et l’a­te­lier. C’est ain­si que l’en­fant devien­dra clair­voyant, meilleur et plus libre que nous.

[/​J. W./]

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