Il faudra que de temps en temps nous, « les gens d’avant-garde » nous relisions les fables de La Fontaine. Nous y trouverons mieux encore qu’une philosophie : un enseignement, ce qui n’est pas nécessairement la même chose.
Je viens de me ressouvenir pour mon compte de La laitière et le pot au lait. Et je n’ai nulle envie d’en sourire, car les raisons qui m’ont fait me ressouvenir sont navrantes, la leçon que j’en ai tirée bien dure.
Le pot au lait sur la tête nous allions vers des châteaux comme il n’y en eut jamais en Espagne, puisqu’il s’agissait de la Terre promise. Le fatal caillou a ruiné toutes nos espérances au moins immédiates. Adieu ! veau, vache, codon, couvée !…
Le caillou, on l’aurait vu peut-être, mais la pierre de taille c’était trop gros, on est trop sûr de passer à côté de ces choses-là ; et la guerre à notre époque ne semblait plus qu’un épouvantail suranné dans le champ des moineaux pillards, des moineaux francs : un Croquemitaine dont la laideur n’épouvantait plus parce qu’on la savait trop préparée, trop savante, trop faite pour faire peur.
D’autres, il est vrai, prétendent avoir senti le danger. Je crois qu’ils s’abusent.
J’entre de plus en piles dans cette conviction que, « si nous avions su », nous aurions « internationalisé » davantage notre propagande, notre pensée, et l’aurions rendue plus pressante.
Abusés – toujours ce mot ! – et crédules, nous nous contentions d’un effort unilatéral, sans que le souci de savoir où en était le voisin vint beaucoup nous tourmenter, – ou, ce qui eut été mieux, nous inspirer.
J’ai pensé tout d’abord que nous étions simplement trahis : je crois en plus maintenant que nous nous sommes trahis nous-mêmes.
Avant que de songer à s’aimer il est peut-être bon d’apprendre à se connaître. Les désillusions viennent moins vite et cela peut éviter d’avoir à se haïr.
[/G.D./]