La Presse Anarchiste

Sur l’organisation

[(Il nous a sem­blé inté­res­sant de don­ner ici un extrait des posi­tions de la Ligue Liber­taire des États-Unis – La Liber­ta­rian League – (bul­le­tin inté­rieur, mars 1961) tou­chant dif­fé­rents pro­blèmes orga­ni­sa­tion­nels. Quelque dif­fé­rente que puisse être à cer­tains égards la situa­tion en Amé­rique de la situa­tion fran­çaise, le point de vue de nos cama­rades de la L.L. peut nous aider à pré­ci­ser nos posi­tions, à les enrichir.)]

L’at­mo­sphère est à pré­sent plus favo­rable à la récep­tion de nos idées qu’elle ne l’a­vait été depuis bien des années. Il y a un renou­veau cer­tain de mili­tan­tisme chez les étu­diants et d’autres sec­teurs de la popu­la­tion. Les mou­ve­ments contre la guerre et la dis­cri­mi­na­tion raciale gran­dissent. Le mécon­ten­te­ment des ouvriers à l’é­gard de la bureau­cra­tie syn­di­cale s’ac­croît. Beau­coup de ces mou­ve­ments pro­tes­ta­taires emploient des tac­tiques d’ac­tion directe et emploient des prin­cipes liber­taires sur une grande échelle.

Sommes-nous en mesure de faire face et de sai­sir ces oppor­tu­ni­tés ? Sommes-nous idéo­lo­gi­que­ment et orga­ni­sa­tion­nel­le­ment préparés ?

LA FONCTION.

Il n’y a pas assez de clar­té sur notre fonc­tion de mou­ve­ment idéo­lo­gique d’a­vant-garde agis­sant d’a­près les prin­cipes expri­més dans notre Décla­ra­tion Pro­vi­soire de Prin­cipes. Nous ne sommes pas un mou­ve­ment de masse amorphe, pas plus que nous ne sommes seule­ment une orga­ni­sa­tion se cram­pon­nant à ses « idéaux » tout en s’abs­te­nant des mou­ve­ments de pro­tes­ta­tions sociaux de notre époque. Nous devons être un mou­ve­ment idéo­lo­gique d’a­vant-garde basé sur de fermes prin­cipes anar­chistes et nous devons aus­si dans les limites de nos forces par­ti­ci­per aux com­bats sociaux de tous les jours. C’est une posi­tion d’é­qui­libre et de netteté.

En ce moment, nous devons par-des­sus tout, per­fec­tion­ner l’or­ga­ni­sa­tion interne de nos groupes et ren­for­cer nos connais­sances et notre com­pré­hen­sion idéo­lo­giques. La théo­rie et la pra­tique se com­plètent. Par notre tra­vail d’é­du­ca­tion et en par­ti­ci­pant avec le mou­ve­ment de masse [[Les mou­ve­ments de masse dont il s’a­git sont les mou­ve­ments paci­fistes ou pour l’in­té­gra­tion raciale.]]aux com­bats de tous les jours, nous pou­vons encou­ra­ger les ten­dances liber­taires à l’in­té­rieur de ces mou­ve­ments. Cela aide à construire le mou­ve­ment d’a­vant-garde et donne de l’ex­pé­rience pra­tique à ses militants.

L’APPARTENANCE.

L’ac­cord avec nos prin­cipes est la base mini­mum de l’ap­par­te­nance. Notre Décla­ra­tion de Prin­cipes pro­vi­soire est flexible et per­met une large tolé­rance, une grande liber­té en matière tac­tique lors­qu’un prin­cipe n’est pas touché.

La poli­tique à suivre pour l’ad­mis­sion de nou­veaux membres doit être souple. Il n’est pas néces­saire d’être un savant ou un théo­ri­cien remar­quable pour pou­voir joindre la Ligue Liber­taire. Il est bien plus impor­tant d’être socia­le­ment res­pon­sable, dési­reux d’ap­prendre et de tra­vailler pour nos idéaux.

Une fois que l’ap­par­te­nance à la L.L. aura une bonne base idéo­lo­gique, nous pour­rons alors, pour cer­tains objec­tifs bien défi­nis, coopé­rer avec d’autres ten­dances exis­tantes, dans des mou­ve­ments de masses plus larges sans perdre notre propre iden­ti­té et sans être ava­lés par eux.

Il y a un autre pro­blème qu’on doit envi­sa­ger clai­re­ment. Ce sont les rela­tions qui doivent exis­ter entre les dif­fé­rentes ten­dances de l’a­nar­chisme. Il a été sou­vent pro­po­sé que toutes les ten­dances dif­fé­rentes se fédèrent en une seule orga­ni­sa­tion. Les anar­chistes s’ac­cordent géné­ra­le­ment pour être contre l’É­tat et la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir. Sur cette base, il y a tou­jours eu pos­si­bi­li­té, à beau­coup d’é­gards, d’une action com­mune. Tou­te­fois, il n’y a pas d’ac­cord pré­cis par­mi les anar­chistes sur les prin­cipes direc­teurs, construc­tifs, et les tactiques.

Cer­tains ne croient pas à « l’or­ga­ni­sa­tion » d’au­cune sorte. D’autres relèguent l’a­nar­chisme au niveau de la dis­cus­sion abs­traite et ne l’ap­pliquent pas dans leur conduite de tous les jours. Cer­tains « extré­mistes » méprisent « l’homme du com­mun » et tout mou­ve­ment popu­laire, en pré­ten­dant que seule l’é­lite, « l’homme supé­rieur » est capable de com­prendre nos idées. D’autres dési­rent la « liber­té » sans aucune sorte de res­pon­sa­bi­li­té sociale ou éthique. Avoir dans une seule et même orga­ni­sa­tion des gens avec des idées (en pra­tique) dia­mé­tra­le­ment oppo­sées ne peut mener qu’à la confu­sion, à des mau­vaises rela­tions, à des scissions.

Une telle orga­ni­sa­tion dis­si­pe­rait ses éner­gies en dis­putes internes constantes. Le tra­vail pra­tique serait impos­sible. Il serait impos­sible de col­la­bo­rer à la pro­pa­ga­tion de nos idées puisque nous aurions des idées oppo­sées. Orga­ni­sés ensemble, il nous serait impos­sible de rien accom­plir de pra­tique. Alors qu’au contraire des groupes ou indi­vi­dus divers peuvent tou­jours coopé­rer à des tâches accep­tées de part et d’autre, tra­vaillant sépa­ré­ment là où il y a désaccord.

CONCLUSION.

Sou­vent dans le pas­sé un manque de clar­té sur les prin­cipes fon­da­men­taux et un échec dans l’é­ta­blis­se­ment et l’ob­ser­vance de cri­tères mini­mums pour la par­ti­ci­pa­tion à notre mou­ve­ment ont ouvert grande la porte à l’in­fil­tra­tion par des oppor­tu­nistes ou des aventuriers.

Outre que cela rend extrê­me­ment dif­fi­cile toute espèce d’ac­tion signi­fi­ca­tive et logique, cela nous aliène aus­si les gens capables et qui ont un idéal, dont nous avons tant besoin. Voi­là quelques unes des prin­ci­pales rai­sons pour les­quelles des essais anté­rieurs en vue d’é­ta­blir un mou­ve­ment dans ce pays ou dans d’autres, ont échoué et lais­sé le champ libre à nos adversaires.

Nous devons si nous vou­lons réus­sir à construire un mou­ve­ment sérieux, nous expli­quer très clai­re­ment et pré­ci­sé­ment sur ce que nous consi­dé­rons comme concepts fon­da­men­taux. Nous devons rendre claire la dif­fé­rence entre les concepts de la Ligue Liber­taire et les autres inter­pré­ta­tions de l’a­nar­chisme. Nous devons exi­ger l’adhé­sion aux prin­cipes de la part de tous ceux qui ont entre­pris volon­tai­re­ment de tra­vailler avec nous à construire le mou­ve­ment. Nous devons exclure de l’ap­par­te­nance ceux qui sont dépour­vus du sens des res­pon­sa­bi­li­tés ou qui sont inca­pables d’une conduite ration­nelle et saine. Nous devons défi­nir clai­re­ment les condi­tions dans les­quelles nous sommes déci­dés à coopé­rer avec d’autres ten­dances, de gauche, en pré­ci­sant par où nous dif­fé­rons d’elles.

Nous ne devons pas per­mettre que la Ligue Liber­taire dégé­nère en une secte éso­té­rique. Nous lut­tons pour jeter les bases d’un mou­ve­ment social ration­nel et effi­cace. Nous sommes encore un très petit nombre et nous ne pou­vons nous per­mettre de nous étendre et de trop nous dis­per­ser ; et puisque nous construi­sons pour le futur, nous devons concen­trer nos efforts sur les acti­vi­tés que nous sommes le plus à même d’ac­com­plir et si nous essayons d’é­tendre notre orga­ni­sa­tion, nous devons aus­si la ren­for­cer de l’intérieur.

[/(traduit de l’anglais)/] 

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