Des événements lourds de conséquences pour notre mouvement syndical se sont déroulés dans le cours du mois de septembre. Notre centrale syndicale, rompant avec l’esprit concrétisé par la Charte d’Amiens, semble emboîter le pas à une majorité bruyante et agissante pressée d’engager les forces syndicalistes dans une bataille politique dont le but est de porter au pouvoir un de ces grands partis qui, suivant le texte de 1905, « périssent de l’impuissance et de la pourriture d’un parlementarisme corrupteur ».
Incontestablement, la fraction communiste de la C.G.T. semble marquer des points. L’élection de Frachon au secrétariat général, aux côtés de Jouhaux, démonétisé par son opportunisme impudique, la position prise par le C.C.N. au sujet du referendum peut paraître à un observateur superficiel comme la marque certaine de la réussite du noyautage dans les syndicats.
La manière dont se sont déroulés les débats au cours du dernier congrès des P.T.T. tendrait encore à confirmer ces faits. Le bureau fédéral a été débarqué avec un brio tactique qui prend son origine aux meilleures sources de la « maladie infantile du communisme » et il ne s’est trouvé que 10.588 voix contre 79.756 pour soutenir le bureau sortant, auquel, il est vrai, l’on peut ajouter 5.048 abstentions.
Pourtant, si l’on veut se faire une idée exacte de l’opinion des syndiqués, je ne dis pas des syndicalistes, il est nécessaire d’examiner de plus près la réaction des travailleurs des entreprises devant les contorsions du syndicalisme actuel. Tout d’abord, ce qui frappe lorsque l’on provoque les réactions des ouvriers au cours de discussions amicales, c’est leur indifférence totale devant ce qui n’a pas trait à leurs préoccupations immédiates. Malgré tous les efforts intéressés de cadres syndicaux formés à l’école de l’agitation politique, seules les questions de salaires et de ravitaillement sont susceptibles de les faire sortir de leur apathie et de leur redonner un peu de cette véhémence qui de tout temps a caractérisé l’ouvrier de l’industrie. Et alors, si l’on a bien saisi cette particularité, l’orientation cégétiste s’explique facilement. Cette poussée vers la conquête politique de la C.G.T. est l’œuvre des cadres subalternes et non de l’ensemble des syndiqués.
Mais, me direz-vous, comment peut-il se faire que des représentants d’une organisation démocratique puissent exprimer des opinions qui engagent l’organisation sans l’appui du plus grand nombre et en dehors de lui en somme ? Eh bien ! cela tient tout d’abord à la forme de vie des sections d’entreprises. Les réunions, qui sont nécessairement courtes, épuisent leur temps sur les questions proprement revendicatives ; la combativité des travailleurs s’y déploie, s’y use. Les questions concernant l’orientation qui ne touchent pas l’immédiat sont débattues dans l’indifférence générale et la non-assimilation (à travers une phraséologie compliquée) du plus grand nombre. Seuls, les cellulars et assimilés déploient une ardeur qui, dans la lassitude générale de la politique et des politiciens, emportent des majorités de fatigue et d’indifférence. Et les cadres moyens du mouvement, pour la plupart gagnés par la propagande moscoutaire, emportent alors l’opinion de la cohorte nombreuse, qui voit les possibilités d’une carrière dans les cadres du syndicalisme.
Faut-il en conclure que déjà les communistes ont gagné la partie ? Ce serait une grave erreur. Cette majorité déterminante du moment est essentiellement fictive. Le colosse repose sur du sable mouvant. Cette politique, qui ne s’appuie sur aucun enthousiasme, mais compte comme facteur principal l’indifférence et le dégoût, entraînera dans sa chute ses constructeurs aux premiers signes de réveil du prolétariat.
Que l’on ne s’y trompe pas : l’indifférence actuelle des travailleurs devant les solutions qu’on lui présente n’existe que devant des mots d’ordre qui choquent en eux tout ce qu’ils considéraient comme des dogmes intangibles du syndicalisme : lutte de classes, internationalisme, antimilitarisme, laïcité, etc.
Déjà le prolétariat secoue sa somnolence. Les grèves du Pas-de-Calais, entreprises malgré l’opposition des cellules, sont un signe d’une reprise de confiance en soi et de défiance vis-à-vis des bonzes. Et les habiletés de la radio officielle n’ont pu cacher entièrement l’accueil plutôt frais réservé au ministre Lacoste à Lens. Des réactions se font jour contre le travail aux pièces. À Levallois, notamment, à l’assemblée générale de la section locale, on a vu un vieux militant syndicaliste, membre du P.C., déclarer en rappelant la grève des cochers-chauffeurs de 1905, à laquelle il prit part, et dirigée contre le travail aux pièces : « Le travail aux pièces, c’est le triomphe de la brute sur l’homme. »
Devant cette situation, le syndicalisme révolutionnaire doit se tenir en état d’alerte. C’est à lui qu’il incombera d’orienter les travailleurs dans la voie révolutionnaire. Véritable « dauphin », il doit être prêt à recueillir la succession laissée vacante par le « géant aux pieds d’argile ».