La Presse Anarchiste

L’expropriation

Au sujet du droit de pro­priété, La Fontaine a lais­sé la belette et Jean­not lapin face à face sous les griffes de Grippem­inaud. Avant lui et après lui, d’in­nom­brables théoriciens ont émis leur opin­ion sur ce droit.

« La pos­ses­sion pro­vi­soire des instru­ments de tra­vail peut être cédée par la com­mu­nauté, mais la pro­priété c’est le vol. » – Proudhon.

« L’op­u­lence est tou­jours le pro­duit d’un vol ; s’il n’a pas été com­mis par le pro­prié­taire actuel, il l’a été par ses ancêtres. » – Saint-Jérôme.

Respec­tons l’é­pargne, lit-on dans tous les manuels de morale laïque ou religieuse.

Voire ! Tout dépend des sources de cette épargne.

Voici un escroc qui, de dia­ble devenu ermite, pré­tend que soit respec­té ce qu’il a bour­geoise­ment économisé sur ses rap­ines. On lui rit au nez. Or, les gross­es for­tunes provi­en­nent tou­jours d’e­scro­queries par prélève­ment sur le tra­vail : escro­querie directe par le patron, indi­recte par les action­naires. La con­fis­ca­tion du pro­duit d’un vol au prof­it de la col­lec­tiv­ité est une opéra­tion nor­male con­tre laque­lle on ne peut s’indigner.

Quelques for­tunes moyennes ont leur orig­ine dans le tra­vail et sem­blent jus­ti­fi­ables à ce titre. Mais il s’ag­it de savoir si ce tra­vail n’a pas été suré­val­ué. Don­nez à quelqu’un un traite­ment d’un mil­lion sur lequel il économise 500.000 fr. sans aucune gêne pen­dant qu’un autre tra­vailleur doit se con­tenter de 10.000 fr. Il est évi­dent que les 500.000 fr. d’é­conomies ne sont pos­si­bles que par suite d’un prélève­ment injuste sur l’ensem­ble du corps social et que la con­fis­ca­tion de cette épargne, sou­vent accrue par des intérêts, c’est-à-dire par des prélève­ments sup­plé­men­taires, est une sim­ple et d’ailleurs insuff­isante restitution.

Quant à l’é­pargne des pau­vres, elle est pra­tique­ment impos­si­ble sans une avarice sor­dide et d’in­nom­brables pri­va­tions. « Quelles épargnes peut faire un ouvri­er auquel on n’ac­corde qu’un mod­ique salaire ? » s’écri­ait Bar­rère le 22 floréal an II. On pour­rait en dire autant aujourd’hui.

Les lois présentes ne respectent même pas cette thésauri­sa­tion aux dépens du strict néces­saire et l’escamo­tent par les droits de suc­ces­sion et par les déval­u­a­tions moné­taires – expro­pri­a­tions hyp­ocrites sans com­pen­sa­tions. Une foule de petits épargnants n’a-t-elle pas été ruinée par les tripotages moné­taires des trente dernières années ? Cela c’est du vol pur et simple.

Au con­traire, lors de la vente des biens du clergé, en 1789, l’É­tat avait pris à sa charge les frais du culte et d’as­sis­tance, de sorte que la grande majorité des prêtres n’avait matérielle­ment rien per­du au change, au con­traire. De même une révo­lu­tion égal­i­taire qui n’ex­pro­prierait l’é­pargne indi­vidu­elle que pour la rem­plac­er par une épargne col­lec­tive infin­i­ment plus sûre ne con­stituerait pas une con­fis­ca­tion puisqu’elle serait com­pen­sée – et au-delà – par les bien­faits de l’or­gan­i­sa­tion nouvelle.

Le vieux paysan perdrait ses titres de pro­priété et il en souf­frirait comme on souf­fre du vide lais­sé par une manie qu’on ne peut plus sat­is­faire. Mais ses vieux jours seraient totale­ment assurés con­tre toute gêne, – sans oblig­a­tion pour cela de s’en­fer­mer dans un hos­pice-prison, – et il apprécierait bien vite les avan­tages d’un change­ment juridique qui ne le ruin­erait en apparence que pour l’en­richir en réal­ité, aus­si bien dans son exis­tence matérielle que dans sa vie morale et intérieure. Mal­gré l’in­stinct de pro­priété per­son­nelle, les généra­tions nou­velles s’adapteraient aisé­ment à un fédéral­isme leur garan­tis­sant à la fois le bien-être, l’indépen­dance et la lib­erté sans les tra­cas et les aléas d’une ges­tion per­son­nelle de biens.

Car, dans le ren­verse­ment des insti­tu­tions actuelles, il ne faudrait surtout pas rétablir les erreurs fon­da­men­tales des col­lec­tivi­sa­tions au ser­vice d’une autorité ou d’un État qui les pos­sède, les dirige et les fait servir ses actions de poli­tique et de con­quête absol­u­ment étrangères au sens véri­ta­ble de la col­lec­tivi­sa­tion qui est sans con­tred­it la con­di­tion, le creuset où vien­dra s’in­ter­préter et se réalis­er la demande des besoins de la col­lec­tiv­ité elle-même.

L’ex­pro­pri­a­tion des moyens de pro­duc­tion et d’échange en vue d’une col­lec­tivi­sa­tion totale ne devra jamais sig­ni­fi­er le rejet d’une injus­tice et d’une exploita­tion pour la créa­tion d’une servi­tude et d’une dépen­dance encore plus tenace des indi­vidus d’une société qui n’au­ra rien rejeté de l’ob­jet véri­ta­ble qu’avait celle à laque­lle elle pré­tend se sub­stituer : son main­tien par l’au­torité et la con­trainte au moyen d’un stade de puis­sance qu’elle aura incon­testable­ment agran­di par la struc­ture rationnelle qui découlerait de la collectivisation.

Aus­si, lorsque le con­grès de la Ire Inter­na­tionale à Bâle en 1869 affir­mait : « La société a le droit de con­ver­tir la pro­priété privée en pro­priété col­lec­tive, et cette trans­for­ma­tion est néces­saire », pour­rions-nous ajouter ou con­tin­uer en dis­ant que cette société ne doit faire jouer cette expro­pri­a­tion que par sa lib­erté et pour sa lib­erté définitive.


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