La Presse Anarchiste

Pauvretés radiophoniques

C’est avec une per­sé­vé­rance méri­toire que, pério­di­que­ment, le spea­ker de la Radio­dif­fu­sion Fran­çaise rap­pelle com­plai­sam­ment aux audi­teurs qu’ils ont inté­rêt à s’ac­quit­ter en temps utile de leurs rede­vances radio­pho­niques. Tout retard appor­té au paie­ment de ce genre d’im­pôt, ajoute-t-il, sur un ton bon enfant, entraî­ne­ra des péna­li­tés onéreuses.

Nul n’i­gnore que l’argent ver­sé à l’É­tat est dila­pi­dé, et la pau­vre­té des pro­grammes radio­pho­niques nous amène à pen­ser que les audi­teurs qui oublient de payer la taxe sur les postes émet­teurs sont dans la bonne voie. L’in­ca­pa­ci­té notoire de ceux qui pré­sident aux des­ti­nées de la radio consti­tue une rai­son suf­fi­sante pour décou­ra­ger les contri­buables les mieux doués pour ali­men­ter les caisses de l’État.

À quoi pense-t-on, en haut lieu, que doit ser­vir la radio ? Veut-on voir dans celle-ci un moyen peu coû­teux, pour le peuple, de se dis­traire en s’é­du­quant, ou bien ne cherche-t-on pas plu­tôt à uti­li­ser les ondes offi­cielles à des fins d’a­bru­tis­se­ment général ?

Ce n’est pas tant après ce « swing », ces « chan­sons de charme » si goû­tées par une par­tie de la jeu­nesse, qu’il faut s’en prendre, mais bien au manque de qua­li­té dans le choix que, dans ce domaine, on impose à l’au­di­teur. Il est mani­feste que les diri­geants sont plus sou­cieux de lan­cer telle vedette et d’en­ri­chir cer­taines firmes que de satis­faire ou d’en­cou­ra­ger les goûts les plus élevés.

On nous fait sou­vent entendre des « pièces radio­pho­niques », conçues spé­cia­le­ment pour la radio, mais d’un ren­de­ment bien infé­rieur, au micro, à celui des pièces de bon théâtre. (Le jeu­di, d’in­té­res­santes retrans­mis­sions du Théâtre Fran­çais.) Notons, pour la musique de jazz, que, excep­tion faite de quelques bons disques de Duck Elling­ton ou de Ben­ny God­mann, com­bien de piètres ensembles dis­pa­rates sans aucune valeur réelle sur ce genre de musique !

Faut-il par­ler de cette émis­sion qui veut être amu­sante et s’in­ti­tule « les Chan­son­niers de Paris », les­quels se sont don­nés pour mis­sion de faire de l’es­prit, bien qu’à la radio il nous révèlent qu’ils en sont plu­tôt pauvres ?

Beau­coup (trop même) de « concerts » don­nés par une cer­taine « Musique de l’Air », qui s’en­tête à exé­cu­ter des mor­ceaux bien au-des­sus de ses forces (Saint-Sens, que de mas­sacres l’on com­met en ton nom !). Les deux postes de Paris donnent par­fois de bons concerts de musique de chambre. De Mar­seille, Lyon ou Tou­louse, des concerts sym­pho­niques sont retrans­mis ; mais ils sont remar­quables, sur­tout, par l’in­suf­fi­sance de l’exé­cu­tion. Les orchestres de ces sta­tions, ne se conten­tant point d’in­ter­pré­ter Ambroise Tho­mas, Charles Lecocq, Mes­sa­ger, Bizet ou Puc­ci­ni conti­nuent à vou­loir atteindre les som­mets de l’or­ches­tra­tion sym­pho­nique pour les­quels ils ne paraissent pas dis­po­ser d’un per­son­nel suf­fi­sant. L’Or­chestre Natio­nal donne par­fois (géné­ra­le­ment peu après 13 heures) des œuvres sym­pho­niques des grands maîtres ; mais il ne se montre pas tou­jours à la hau­teur du pro­gramme choi­si. (Exemple : cette exé­cu­tion lar­moyante don­née récem­ment de la IIIe Sym­pho­nie de Bee­tho­ven.) Notons cepen­dant la par­faite exé­cu­tion du IIe Concer­to pour cla­ri­nette, en ré majeur, de Mozart, don­née le 17 septembre.

Dans un autre ordre de pré­oc­cu­pa­tions, men­tion­nons ici une émis­sion pleine d’in­té­rêt : celle don­née tous les matins après 9 heures (Poste Pari­sien). Elle traite d’his­toire de géo­gra­phie, de lit­té­ra­ture, de science, etc. L’au­di­teur peu culti­vé et dési­reux de s’ins­truire y pui­se­ra tou­jours quelque chose de bon. Celui dont la culture est déjà éten­due y trou­ve­ra matière à conso­li­der ses connais­sances. Mais pour­quoi faut-il qu’elle ait lieu à 9 heures, c’est-à-dire au moment même où les tra­vailleurs, pour la plu­part, sont à la besogne ? Si elle avait pour but d’en­ri­chir le bagage intel­lec­tuel de ceux qui n’ont pas eu les moyens d’ap­prendre ce qu’elle contient, c’est entre 12 et 14 heures, ou bien le soir après 19 heures, qu’elle aurait lieu.

Il est vrai que la radio est une ins­ti­tu­tion qui, comme tant d’autres, est au ser­vice d’une classe, et elle est uti­li­sée sur­tout en tant qu’ex­cellent ins­tru­ment de pro­pa­gande – bien plus que comme un moyen d’é­le­ver le niveau moral et intel­lec­tuel des masses. Tant qu’elle sera domes­ti­quée par la bour­geoi­sie, ne nous atten­dons pas à la voir déve­lop­per le goût du beau et le sens de la dignité.

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