La Presse Anarchiste

Voline n’est plus

Triste nou­velle. Voline, l’un des meilleurs par­mi nous tous, s’est éteint mar­di 18 sep­tembre, à l’hô­pi­tal Laën­nec, et a été inci­né­ré au Père-Lachaise dimanche 23.

La tuber­cu­lose a eu rai­son de ce corps ner­veux qui, sans les pri­va­tions, aurait dû vivre de très longues années encore. Sa mort allonge la liste, trop longue, hélas ! des pertes irré­pa­rables de ces six der­nières années par­mi les nôtres.

La vie de Voline fut un com­bat conti­nu, fait avec un cou­rage tran­quille, un opti­misme que rien ne pou­vait ébran­ler, une sim­pli­ci­té qui détonne dans ce monde de « m’as-tu-vu », dont l’i­gno­rance n’a d’é­gale que la bas­sesse et l’am­bi­tion. Il était né en Rus­sie, le 11 août 1882, à Tire­li­vine, d’une famille de méde­cins. Il fit de brillantes études supé­rieures à l’U­ni­ver­si­té de Saint-Péters­bourg. Dès l’âge de 16 ans, il était atti­ré irré­sis­ti­ble­ment par les ques­tions sociales. C’é­tait l’é­poque où, sous l’in­fluence des écrits de Her­zen, Gogol, Dos­toievs­ki, Tour­ge­nev, Kou­prine, Tol­stoï, Bakou­nine, Kro­pot­kine, les étu­diants « allaient au peuple » et l’ins­trui­saient mal­gré la répression.

Voline, en com­plet désac­cord avec ses parents, aban­donne ses études à l’U­ni­ver­si­té et com­mence son acti­vi­té révolutionnaire.

Vient la révo­lu­tion de 1905. Voline s’y jette corps et âme. Arrê­té, il est enfer­mé pen­dant les longs mois où l’on ins­truit son pro­cès dans la for­te­resse Petro­pav­losk, répu­tée pour la rigueur de son régime, puis condam­né à la dépor­ta­tion per­pé­tuelle en Sibérie.

Il s’é­vade avant d’ar­ri­ver à son lieu de dépor­ta­tion et arrive en France en 1907.

Inlas­sable, il reprend son acti­vi­té révo­lu­tion­naire et prend plus ample­ment contact avec le mou­ve­ment liber­taire euro­péen et d’A­mé­rique, et milite jus­qu’en 1914. Avec Mala­tes­ta, Sébas­tien Faure, etc., il refuse de signer le mani­feste des « Seize » et, mieux, publie un tract où il dénonce le capi­ta­lisme inter­na­tio­nal fau­teur de guerres.

À la suite de son acti­vi­té et de cette publi­ca­tion, il est obli­gé, afin de ne pas être arrê­té, de fuir la France, où il laisse sa femme et quatre enfants, réus­sis­sant à s’embarquer comme sou­tier sur un bateau par­tant pour l’Amérique.

Inlas­sable, son acti­vi­té se déploie aus­si­tôt aux États-Unis où il est notam­ment rédac­teur à plu­sieurs jour­naux anar­chistes. La pre­mière révo­lu­tion de février 1917 jette la dynas­tie impé­riale par terre. Il accourt aus­si­tôt en Rus­sie où, pen­dant quatre ans, il déploie la plus grande acti­vi­té de sa vie : orga­ni­sa­tion de groupes, de jour­naux, de fédé­ra­tions, de congrès, il est l’âme du mou­ve­ment anar­chiste russe.

Puis, c’est l’é­po­pée du mou­ve­ment makh­no­viste, dont il est le cer­veau, qui devait durer deux ans en Ukraine, réa­li­sant la pre­mière ten­ta­tive d’ins­tau­ra­tion du régime libertaire.

Lorsque la domi­na­tion du bol­che­visme s’é­tend sur toute la Rus­sie. il refuse toute col­la­bo­ra­tion aux pro­po­si­tions du gou­ver­ne­ment sovié­tique, les trai­tés pas­sés entre l’ar­mée de Makh­no et l’ar­mée rouge ayant été tra­his par cette der­nière. Arrê­té une fois de plus, il est traî­né de pri­son en pri­son. Malade, il doit de vivre à un geô­lier qui, le connais­sant de longue date, le soigne et le sauve.

Condam­né à mort, il abou­tit enfin à la pri­son de Bou­tir­ki où se trouvent de nom­breux syn­di­ca­listes et anar­chistes. La délé­ga­tion syn­di­cale fran­çaise, au Congrès de Mos­cou, conduite par Sirolle, porte la ques­tion à la tri­bune dès l’ou­ver­ture des débats et obtient l’é­lar­gis­se­ment de ces authen­tiques révo­lu­tion­naires qui ont tout don­né pour la cause ce peuple, met­tant fin à cette scan­da­leuse détention.

Voline est libre, mais obli­gé de quit­ter la Rus­sie. Le voi­ci à Ber­lin où il reprend la publi­ca­tion de « Goloss Trou­da » (« la Voix du Tra­vail »), qu’il avait rédi­gée en Amé­rique et en Rus­sie. Poly­glotte, il cor­res­pond en russe, fran­çais, alle­mand, anglais et, plus tard, en ita­lien et en espa­gnol. Son acti­vi­té en Alle­magne dure de 1921 à 1925. À cette date, son arrê­té d’ex­pul­sion ayant été levé sur l’in­ter­ven­tion de H. Sel­lier, il rentre en France.

Dès lors, son acti­vi­té se mani­fes­te­ra par­tout. Livres, bro­chures, jour­naux, études pour « l’En­cy­clo­pé­die anar­chiste », confé­rences, congrès, où on ver­ra tou­jours sa bar­biche sympathique.

Notons que pen­dant la révo­lu­tion espa­gnole il était le prin­ci­pal rédac­teur de « Terre Libre » et de l’« Espagne Anti­fas­ciste », où il publia des articles d’une rare clairvoyance.

Réfu­gié en zone sud pen­dant la guerre, il prend une part active au mou­ve­ment clan­des­tin. Mais les pri­va­tions ont rui­né son orga­nisme. Sous-ali­men­té (un cama­rade le trou­ve­ra n’ayant pas man­gé depuis trois jours, cou­chant dans un garage, vêtu de vête­ments usés), il écrit encore jus­qu’à trois heures du matin, tou­jours confiant, tou­jours opti­miste, sans se plaindre de sa situa­tion per­son­nelle, cher­chant à ne pas lais­ser soup­çon­ner son extrême détresse physique.

Çà et là, au hasard, il don­nait quelques leçons lui pro­cu­rant de maigres cachets.

Il laisse une œuvre rela­ti­ve­ment consi­dé­rable qui éton­ne­ra lorsque nous pour­rons publier ses manuscrits.

Voi­ci, tra­cée à grands traits, ce que fut la vie de celui qui nous quitte. Puisse son exemple ins­pi­rer les jeunes et faire ger­mer la semence que toute sa vie il jeta à pleines mains.

Mal­gré qu’au­cune publi­ci­té n’eût été faite, plus de deux cent cin­quante cama­rades assis­taient à l’in­ci­né­ra­tion, attes­tant par là le sou­ve­nir vivace qu’ils gar­daient pour celui qui fut un de leurs guides.

Plu­sieurs cama­rades prirent la parole au nom du Syn­di­ca­lisme révo­lu­tion­naire, des Mou­ve­ments Liber­taires espa­gnol et fran­çais, ain­si que l’un de ses fils.

Que ses proches trouvent ici toute notre immense tris­tesse et ce que nous lui gar­dons de toute notre affection.

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