La Presse Anarchiste

Critiques et réponses

Notre pré­cé­dent article sur Cuba (NR n° 20) a don­né lieu à de nom­breuses réac­tions qui sont assez contra­dic­toires : nous sommes par les uns accu­sés d’être trop anti-com­mu­nistes, par les autres d’être trop pro­cas­tristes, et même pro-communistes.

Nous répon­drons ici à deux cri­tiques : celle de G. Leval et celle de Hagnauer.

G. Leval a envoyé à la rédac­tion de NR un article dont voi­ci les prin­ci­paux extraits.

Extraits de l’ar­ticle de G. Leval

« … L’auteur a été inca­pable de voir qu’il existe, qu’il a exis­té dès les pre­mières vel­léi­tés dic­ta­to­riales de Cas­tro, une oppo­si­tion consti­tuée par d’autres révo­lu­tion­naires que lui, par les anti-fas­cistes qui ont com­bat­tu aus­si dans les Sier­ras Maes­tras et d’Escambray, dans les cam­pagnes, dans les villes, etc. Cette oppo­si­tion dont les hommes furent aus­si per­sé­cu­tés par Batis­ta, ne veut pas plus le retour au régime de ce der­nier, que de la dic­ta­ture com­mu­niste à laquelle Cas­tro a ouvert le che­min dès avril 1959, parce que c’était la seule force orga­ni­sée capable de l’aider dans son ambi­tion dic­ta­to­riale… De tout cela l’auteur n’a rien vu. Son séjour à Cuba ne lui a per­mis que d’épouser et de répé­ter les thèses du cas­trisme des paras et des crypto-castristes.

Il a bien vu que la pro­duc­tion de sucre n’a pas dimi­nué, ni celle du pétrole ; mais il ne s’est pas aper­çu de la dimi­nu­tion ver­ti­cale de la pro­duc­tion autoch­tone de vivres et d’articles de pre­mières néces­si­tés, fruit du régime éco­no­mique et poli­tique… Il n’a pas vu les pri­sons pleines d’opposants nul­le­ment par­ti­sans de Batis­ta, il ne sait rien des quelque 150 ou 200 000 arres­ta­tions au moment de la ten­ta­tive de débar­que­ment de la Bahia de los Cohi­nos (débar­que­ment qui fut sabo­té par les forces de droite de la poli­tique nord-amé­ri­caine selon le témoi­gnage de la Liber­ta­rian League des USA elle-même) ; il ne sait rien non plus de tous les anciens com­pa­gnons de lutte de Cas­tro, condam­nés par les ” tri­bu­naux popu­laires ” où la volon­té du dic­ta­teur fait la loi, ni à pro­pos de la mort de Cami­lo Cien­fue­gos, dont un des anciens com­pa­gnons de lutte vient de révé­ler dans Recons­triur ce que l’on soup­çon­nait déjà : qu’il a été assas­si­né parce qu’il s’opposait à l’orientation pro-com­mu­niste de Cas­tro, et très pro­ba­ble­ment par Cas­tro lui-même.

Les opi­nions qui nous sont appor­tées ne détruisent en rien le témoi­gnage de nos cama­rades cubains qui sont sur place, ou en exil, avec les­quels je suis en contact per­ma­nent, et qui… dénon­çaient dès les pre­miers mois de 1959, la main­mise com­mu­niste et la faci­li­té que l’on don­nait au par­ti mos­cou­taire pour s’emparer ” par en haut ” avec l’appui de Cas­tro des syn­di­cats et des fédé­ra­tions syndicales…

Israël Renof attri­bue mon opi­nion en ce qui concerne Cuba à ” l’amour-passion ” que j’ai selon lui pour les USA. Ce juge­ment prouve avec quelle intel­li­gence, quelle hon­nê­te­té, quelle objec­ti­vi­té l’auteur juge des évé­ne­ments et des hommes. Je le mets au défi de citer quoi que ce soit de moi qui exprime un tel » amour-pas­sion ». C’est une inep­tie écœu­rante. Je me suis refu­sé, et je me refus à attri­buer aux USA la res­pon­sa­bi­li­té pri­mor­diale et prin­ci­pale de la situa­tion éco­no­mi­co-sociale de l’ensemble de l’Amérique indo-latine, situa­tion dont les causes sont autre­ment com­plexes que ce que vou­draient nous faire croire les agi­ta­teurs qui exploitent le filon de l’antiyankisme-communistes-nationalistes, réac­tion­naires et fascistes.

Cela n’a rien à voir avec un « amour-pas­sion » pour les USA. Et qui­conque lira mon der­nier essai « élé­ments d’éthique moderne » y trou­ve­ra des cri­tiques de fond quant à ce que l’on pour­rait appe­ler la civi­li­sa­tion nord-amé­ri­caine et le dan­ger que les concep­tions fon­da­men­tales de la vie qui sont en hon­neur aux USA repré­sente pour l’avenir humain. 

Mais cela dépasse l’entendement de notre défen­seur du tota­li­ta­risme cas­triste. Un pro­verbe espa­gnol dit qu’il ne faut pas deman­der à l’orme des poires « (G. Leval).

Nous sommes donc, entre autres choses, mis au défi de citer quoi que ce soit qui exprime un tel amour-pas­sion… Nous rele­vons immé­dia­te­ment ce défi en publiant des cita­tions de G. Leval, extraites de :

- Adu­na­ta dei Refrat­ta­ri (2 décembre 1961, New-York),
– Views and Com­ments (16/​10/​1961, New-York),
– Volon­tà (10/​10/​1961, Gênes).

I) Dans Adu­na­ta dei Refrat­ta­ri de New-York, sous le titre » légè­re­té ou méchan­ce­té « ? un article signé de la rédac­tion repro­duit une lettre de Leval à F. Mont­se­ny de la CNT du 22/​10/​1961, où Leval dit des anar­chistes rési­dant aux USA :

» Je sais, et tu sais aus­si qu’aux USA vivent des mil­liers d’anarchistes ita­liens, espa­gnols, russes, qui s’y sont réfu­giés et qui sont res­tés parce qu’ils y vivent com­mo­dé­ment, et qu’ils publient… de la presse de pro­pa­gande anar­chiste… et attaquent même sans dan­ger la poli­tique nord-amé­ri­caine inté­rieure et exté­rieure, sans être l’objet de mesure de répres­sion, sans être expul­sés ou dépor­tés ou expo­sés à quelque chose qui res­semble aux épou­van­tables camps de concen­tra­tion de la Rus­sie. Il n’est donc pas néces­saire que j’aille aux USA, il y a là-bas des cama­rades dont la pré­sence atteste qu’il n’y a pas de com­pa­rai­son entre le régime exis­tant dans ce pays, et celui qui existe en Rus­sie « (Leval).

Et la réponse du jour­nal CNT :

» Du point de vue légal aux États-Unis, les idées anar­chistes conti­nuent d’être un délit et les tra­vailleurs étran­gers consi­dé­rés comme anar­chistes sont sujets à la dépor­ta­tion, en hom­mage à la loi, qui n’a jamais été abro­gée. Mari­ne­ro et tant d’autres qui ont été expul­sés des États-Unis pour leurs acti­vi­tés anar­chistes pour­raient t’en parler… ».

La rédac­tion d’Adunata ajoute :

« Leval ne vient pas aux États-Unis parce qu’il ne le peut pas léga­le­ment, à moins de renier son anar­chisme… Les pré­ten­dus mil­liers d’anarchistes, émi­grés ou indi­gènes, per­sonne ne les a jamais vus… Le seul heb­do­ma­daire qui reste est le nôtre qui a plus de lec­teurs à l’étranger qu’à l’intérieur… Mais nous sommes aux États-Unis où il existe une consti­tu­tion qui se vante d’être supé­rieure à toutes les autres et étant don­né que les gou­ver­ne­ments la foulent aux pieds sou­vent et volon­tiers, c’est à nous, qui sommes ici, de signa­ler l’abîme qui sépare la réa­li­té de la pré­ten­due démo­cra­tie libé­rale des gou­ver­nants plus sou­vent occu­pés à imi­ter le sys­tème russe qu’à res­pec­ter le leur ».

II) Pour­sui­vant son idée, Leval écrit « Views and Com­ments » de New-York :

« Votre pro­gramme dit : le monde libre n’est pas libre, le monde com­mu­niste n’est pas com­mu­niste. Ils sont fon­da­men­ta­le­ment iden­tiques : l’un deve­nant tota­li­taire, l’autre l’étant déjà (sou­li­gné par Leval).

Vous savez très bien que l’esclavage maté­riel, moral, et intel­lec­tuel qui existe en Rus­sie, dans les pays satel­lites et en Chine ne peut être com­pa­ré à aucune des per­sé­cu­tions que nous pou­vons endu­rer à l’Ouest.

Leval cite ensuite les for­faits com­mis à l’Est :

» Vous savez très bien qu’il y a encore en Rus­sie une dic­ta­ture qui est pire que les dic­ta­tures de Fran­co ou de Mus­so­li­ni… Com­ment pou­vez-vous dire que les deux régimes sont fon­da­men­ta­le­ment iden­tiques ? Com­ment donc peut-on faire une telle affir­ma­tion sur la dic­ta­ture bol­che­vique, qui est par de nom­breux aspects pire que le fas­cisme, pire que la dic­ta­ture nazie elle-même ?

Vous dites qu’à l’Ouest « la ten­dance qui se dégage tend vers une simi­li­tude avec le sys­tème bol­che­vique », mais n’importe quel citoyen qui rai­sonne pen­se­ra comme moi et d’autres, qu’il n’y a pas de preuve à une telle asser­tion. En Rus­sie le régime est le résul­tat de l’application consciente des prin­cipes poli­tiques et gou­ver­ne­men­taux. Aux USA et à l’Ouest en géné­ral, ces prin­cipes par­ti­cu­liers ne consti­tuent pas la base phi­lo­so­phique et juri­dique des formes poli­tiques qui sont appliquées ».

Quant aux mesures tota­li­taires prises dans les pays libres :

« La réponse de toute per­sonne sen­sée sera que ce cours n’est pas pris et dési­ré déli­bé­ré­ment par les par­tis poli­tiques et les diri­geants, mais qu’il est plu­tôt un résul­tat des mesures de défense ren­dues néces­saires par l’impérialisme et les attaques russes… On doit cri­ti­quer les défauts du régime capi­ta­liste, du sys­tème par­le­men­taire, etc., mais c’est une erreur et une fal­si­fi­ca­tion de concen­trer toute la cri­tique contre le capi­ta­lisme, et de ne pas dénon­cer avec au moins une égale éner­gie le sys­tème de l’autre côté du rideau de fer » (Leval).

La rédac­tion répond lon­gue­ment. Elle fait d’abord remar­quer que le pro­gramme a été modi­fié, au lieu de la phrase « ils (l’Est et l’Ouest) sont fon­da­men­ta­le­ment iden­tiques, etc. » il y a : « nous les reje­tons tous deux ». Et elle s’explique. Aux USA il y a deux ten­dances, l’une libé­rale, l’autre (« qui échappe à beau­coup d’observateurs étran­gers ») « est la tra­di­tion de l’esclavage, de l’exploitation des ser­vi­teurs, des tra­vailleurs étran­gers et natifs, de l’impérialisme et du militarisme ».

« Pour treize colo­nies du côté de l’Est, l’impérialisme amé­ri­cain a conquis un conti­nent et est deve­nu le pou­voir le plus fort du monde. Le monde ” libre ” sup­porte les dic­ta­tures de l’Espagne de Fran­co, du Por­tu­gal, de For­mose, le semi-fas­cisme de De Gaulle en France, le gou­ver­ne­ment escla­va­giste de l’Arabie Saou­dite… La liste est sans fin. Quelles sont ces démo­cra­ties qui exploitent les autres et aident les tyrans à rendre esclave le genre humain ? Qu’en est-il deve­nu des fameux prin­cipes de liber­té, de jus­tice et d’égalité, qui sont sen­sés être la » base phi­lo­so­phique et juri­dique des USA et de l’Ouest en géné­ral ». La conduite des États n’est pas gui­dée par les consi­dé­ra­tions morales et éthiques. Quand leurs inté­rêts sont mena­cés (c’est-à-dire la plu­part du temps) ils vont jusqu’à s’unir au diable en per­sonne pour arri­ver à leurs fins… Le cama­rade Leval a tort. Les preuves que la démo­cra­tie amé­ri­caine, sous la pous­sée de l’effort de guerre, se déve­loppe gran­de­ment vers une direc­tion tota­li­taire sont mul­tiples. Il nous accuse de « concen­trer toutes nos cri­tiques contre le capi­ta­lisme amé­ri­cain et de ne pas dénon­cer avec au moins une égale éner­gie le sys­tème de l’autre côté du rideau de fer ». Si nous sem­blons sou­li­gner les défauts du capi­ta­lisme amé­ri­cain, c’est parce que beau­coup de nos lec­teurs se plaignent de ce que nous n’affrontons pas assez les pro­blèmes inté­rieurs. Mais notre désac­cord avec Leval est plus fon­da­men­tal et dépasse une simple ques­tion de critique.

Leval dit quant aux mesures tota­li­taires prises dans les pays libres « la réponse de toute per­sonne sen­sée sera que ce cours n’est pas pris et dési­ré déli­bé­ré­ment par les par­tis poli­tiques et les diri­geants, mais qu’il est plu­tôt un résul­tat des mesures de défense ren­dues néces­saires par l’impérialisme et les attaques russes ». Nous ne savons pas si Leval se rend compte des consé­quences de cette décla­ra­tion. Il nie en effet l’existence même de l’impérialisme occi­den­tal. Sug­gé­rer une telle hypo­thèse n’est pas seule­ment « une erreur et une fal­si­fi­ca­tion », c’est se méprendre com­plè­te­ment sur la nature et la direc­tion des forces mau­vaises qui modèlent l’histoire de notre tra­gique époque…

Voyons où mènent les rai­son­ne­ments de Leval. Le capi­ta­lisme démo­cra­tique ne se déve­loppe pas selon une direc­tion sem­blable au bol­che­visme. Il y a plus de liber­té sous le capi­ta­lisme que sous le bol­che­visme. Les attaques de l’impérialisme russe forcent les démo­cra­ties capi­ta­listes à se défendre elles-mêmes en se pré­pa­rant à une guerre qu’elles ne veulent ni ne pro­voquent. Si une guerre éclate, nous devons être du côté du monde libre, parce qu’un peu de liber­té est meilleur que pas du tout. Les capi­ta­listes démo­cra­tiques ne peuvent gagner la guerre sans s’y pré­pa­rer. Nous devons donc appuyer toute leur poli­tique éco­no­mique et mili­taire qu’exige la pré­pa­ra­tion de la guerre.

Il nous coûte de dire que Leval évoque la théo­rie de ban­que­route du « moindre mal », mais nous ne pou­vons tirer aucune autre conclu­sion de la logique de ses critiques.

Nous ne vou­lons pas faire par­tie de cette confu­sion. Nous reje­tons les consé­quences de la lettre de Leval « (Rédac­tion de Views and Comments).

III) À titre de rap­pel, voi­ci des extraits de la contro­verse Leval et Volon­tà de Gênes (quand Gio­van­na Ber­ne­ri était encore vivante).

Leval répond à une contro­verse pré­cé­dente (cf. Volon­tà n° 4, avril 1961) :

» Le prin­ci­pal de vos argu­ments est « que nous ne devons pas choi­sir entre les deux blocs, Est et Ouest, que le faire équi­vaut en quelque sorte à renier l’anarchie… »

Durant la guerre de 1870, Bakou­nine s’opposa cou­ra­geu­se­ment à l’armée alle­mande, au nom de la liber­té. Car, selon lui, elle aurait éten­du à toute l’Europe le mili­ta­risme prus­sien, et l’autoritarisme, qui tou­jours selon lui, carac­té­ri­saient les ins­ti­tu­tions alle­mandes, la psy­cho­lo­gie du peuple et des intel­lec­tuels alle­mands, tan­dis que la France repré­sen­tait l’esprit de la Liber­té et des pro­messes révo­lu­tion­naires pour l’avenir… Durant la guerre de 1914 – 18, Kro­pot­kine, Jean Grave, Mala­to, Ricar­do Mel­la, et d’autres anar­chistes par­mi les plus connus, se ran­gèrent du côté des alliés, parce que entre un régime capi­ta­liste auto­ri­taire plus ou moins libé­ral, et un régime capi­ta­liste auto­ri­taire qui, selon eux, mena­çait d’ensevelir les liber­tés conquises, ils consi­dé­rèrent urgent de main­te­nir le pre­mier à cause de l’immédiate défense de la liber­té de l’homme, et à cause de la pos­si­bi­li­té de conquêtes de nou­velles liber­tés qu’ils pou­vaient obtenir.

Peut-être se sont-ils trom­pés, et ma posi­tion fut contraire à la leur. Tou­te­fois, ces pen­seurs, ces théo­ri­ciens anar­chistes et non des moindres « choi­sirent » le moindre mal parce qu’il repré­sen­tait les immenses avan­tages concrets dont l’histoire a mon­tré l’importance.

Quand Mus­so­li­ni arri­va, vous avez pas­sé la fron­tière, vous n’êtes pas retour­nés en Ita­lie, et vous ne vous êtes encore moins réfu­giés en Rus­sie, parce que vous aviez choi­si « (sou­li­gné par Leval).

Affir­mer cela signi­fie-t-il que l’on adhère au régime dans lequel » il y a une plus grande liber­té et que l’on tra­hit les prin­cipes anar­chistes « ? Il est facile, trop facile de pré­tendre res­ter au-des­sus des deux blocs, sous le pré­texte de res­ter fidèles aux prin­cipes anar­chistes… Il est aus­si trop facile de défor­mer habi­le­ment les choses en pré­sen­tant la lutte qui se déroule aujourd’hui à l’échelle mon­diale comme un pugi­lat entre l’URSS et les USA pour la domi­na­tion du monde. C’est abso­lu­ment faux ; en outre l’URSS depuis 1917 a éten­du son empire poli­tique, recon­quis l’Estonie, la Litua­nie, la Let­to­nie, écra­sé l’Ukraine, assi­mi­lé la Géor­gie, et d’autres régions asiatiques…

Pen­dant ce temps, les USA ont aban­don­né les Phi­lip­pines, le pétrole mexi­cain aux mexi­cains, la Boli­vie, etc. Notre mou­ve­ment a pu resur­gir en France, en Ita­lie, en Alle­magne, par­tout où l’armée alliée triom­phait… Vous ne pou­vez l’ignorer : le dilemme qui se pose aux anar­chistes, aux liber­taires comme à tant d’autres hommes, est le choix entre la liber­té et l’esclavage.

Il y a de votre part une cer­taine lâche­té morale à pro­fi­ter de ces garan­ties et de la bar­rière que, dans l’état actuel des choses les régimes libé­raux opposent à l’envahisseur tota­li­taire rus­so-bol­che­vique, qui vous exter­mi­ne­rait sans pitié si l’invasion arri­vait, et à com­battre uni­que­ment ces régimes.

Non, chers cama­rades, vos argu­ments ne peuvent convaincre que ceux qui sont des irres­pon­sables devant l’histoire, de la vie du mou­ve­ment liber­taire. Non seule­ment vous por­tez le mou­ve­ment hors de l’histoire, mais vous le désho­no­rez » (G. Leval).

La rédac­tion répond avec un calme que nous admi­rons. Aux argu­ments de Leval sur le moindre mal, elle cite Bakou­nine :

« Les Alle­mands ont ren­du un immense ser­vice aux Fran­çais : ils ont détruit leur armée, l’armée fran­çaise, cet ins­tru­ment si ter­rible du des­po­tisme impé­rial, cette unique rai­son de l’existence des Bonapartes…

Pauvres alle­mands, si leur armée retour­nait triom­phante en Alle­magne ! Ils per­draient tout espoir de pro­grès et de liber­té pour au moins cin­quante ans ».

Quant aux autres anar­chistes cités par Leval, la rédac­tion de Volon­tà répond :

« Il s’agit d’un moment de fai­blesse, d’une erreur d’évaluation… C’étaient des anar­chistes de grande valeur, mais ils étaient hommes et en tant que tels, sujets à erreur. G. Leval eut alors une posi­tion tout à l’opposé de ces ” hommes ” car il se déro­ba au ser­vice mili­taire. Il a oublié de dire s’il est d’accord avec le Leval de 1914, ou Kro­pot­kine. D’après ses dis­cours sur la situa­tion actuelle, il sem­ble­rait qu’il renonce à lui-même et qu’il s’aligne sur la posi­tion de ces “hommes” ».

Quant à ce qui est de choisir :

« Nous choi­si­rons tou­jours de vivre dans un pays où le gou­ver­ne­ment laisse le plus d’air. Mais ce n’est pas une rai­son qui nous induit à défendre un gou­ver­ne­ment moins réac­tion­naire ou tota­li­taire contre un autre gou­ver­ne­ment… Nous nous refu­sons à croire que la liber­té soit dans la bombe ato­mique des USA et l’esclavage dans celle de l’URSS, ou vice-ver­sa. Pra­ti­que­ment, le conflit est réglé presque exclu­si­ve­ment par les USA d’une part, et l’URSS d’autre part, et que ce soit pour domi­ner le monde de par sa volon­té ou pour d’autres motifs éco­no­miques ou poli­tiques, cela nous inté­resse rela­ti­ve­ment peu. Ce qu’il est urgent de dénon­cer, de faire sen­tir gra­ve­ment de faire com­prendre, est que, si on passe de la guerre froide à la guerre chaude, on ne sau­ve­ra pas la liber­té et on n’aura plus d’esclavage : car nous aurons tous connu le même tra­gique des­tin. Cette simple réflexion de bon sens devrait suf­fire pour qu’on ne nous aligne ni sur la posi­tion des uns ni sur celle des autres ».

Quant au reste, sur l’armée alliée :

« Nous pen­sons que dans l’histoire de notre mou­ve­ment, c’est la pre­mière fois qu’un anar­chiste confère un cer­ti­fi­cat de bonne conduite à une armée. Eh bien non, nous le disons bien fort, ce n’est pas grâce à l’armée alliée, même si nous recon­nais­sons qu’elle a vain­cu le fas­cisme-nazisme, que nous avons pu resur­gir. Si nous n’avions pas com­bat­tu durant vingt ans le fas­cisme, en Espagne et dans la Résis­tance, en per­dant beau­coup des nôtres, la volon­té de liber­té et de jus­tice ne se serait pas main­te­nue vive dans le peuple ».

De la lâche­té morale : 

« Nous serions mora­le­ment des lâches si, exi­lés en France (G. Leval a presque l’air de nous repro­cher l’asile que nous avons trou­vé auprès du peuple fran­çais !) nous avions tu nos cri­tiques contre le gou­ver­ne­ment et les classes diri­geantes de ce pays… Nous serions des lâches si pour mener une vie tran­quille (celle que Leval pense que nous menons) nous pen­sions à nos propres affaires sans nous immixer conti­nuel­le­ment dans la vie sociale de notre pays. Il est néces­saire au contraire d’avoir du cou­rage pour com­battre les régimes des pays dans les­quels nous vivons, tan­dis qu’il n’est pas néces­saire en fait d’en avoir pour com­battre le bol­che­visme ou l’État tota­li­taire russe. Ain­si c’est une pro­pa­gande com­mode, bien accep­tée par toutes les couches qui ont de l’influence dans les socié­tés occi­den­tales, grâce à laquelle il est facile de trou­ver de pro­fi­tables sub­ven­tions. Nous avons vu à l’inverse, ce qui est arri­vé à ceux qui ont cou­ra­geu­se­ment dénon­cé la poli­tique colo­nia­liste, la tor­ture faite par les mili­taires et les ” paras “, nous avons assis­té au pro­cès des 121, du groupe Jean­son » (Rédac­tion de Volontà).

Pour ter­mi­ner citons une remarque d’Armando Bor­ghi dans Uma­ni­ta Nova du 29/​10/​1961 :

« Jamais un franc-maçon n’a osé publier dans son jour­nal ce qu’aujourd’hui nous lais­sons débi­ter par quelqu’un qui abuse de notre revue pour nous appe­ler gens tom­bés dans le plus bas avi­lis­se­ment et en proie à une cer­taine lâche­té morale ».

Les lec­teurs com­prennent main­te­nant « pour­quoi on ne peut par­ler de l’amour-passion de G. Leval pour les USA en res­tant dans les limites de la correction ».

Pour ce qui est de ces autres cri­tiques, nous pré­ci­se­rons que : 

– l’affirmation que le débar­que­ment à Cuba a été sabo­té par la droite des USA et que Leval attri­bue à la Liber­ta­rian League nous semble inexacte, la L.L. elle-même a pris plu­sieurs posi­tions suc­ces­sives sur ce point. Ken­ne­dy et Dean Rusk étant trai­tés de com­mu­nistes et de traîtres pour leur mol­lesse au Laos et à Ber­lin, nous ne voyons pas pour­quoi l’action contre Cuba aurait été désap­prou­vée par la droite américaine,

– pour ce qui est de la mort de Cien­fue­gos, que ce soit un acci­dent d’avion ou un assas­si­nat pré­mé­di­té, il est dif­fi­cile de le dire. Il est vrai que Recons­truir sou­tient la thèse de l’assassinat, mais de toute façon il y a suf­fi­sam­ment d’autres faits sûrs et confir­més pour illus­trer l’attitude de Cas­tro vis-à-vis de l’opposition de la gauche révo­lu­tion­naire (voir notre article Cuba – suite).

[|* * * *|]

Hagnauer dans la Révo­lu­tion Pro­lé­ta­rienne (n° 170 d’avril 1962) a expri­mé des cri­tiques somme toute inté­res­santes sur notre article, mais il nous est impos­sible de les repro­duire ici dans leur tota­li­té. Nous ne répon­drons qu’à quelques points.

Il oppose le plan de ration­ne­ment actuel avec notre conclu­sion « nette amé­lio­ra­tion maté­rielle » en oubliant que nous par­lions de la popu­la­tion dans son ensemble et non de quelques secteurs.

L’analyse du plan parue dans « Le Monde » du 13/​3/​1962 indique que la viande et les œufs, par exemple, sont ration­nés, mais non sup­pri­més, alors qu’auparavant 4 % des pay­sans man­geaient de la viande et 2 % des œufs.

Quant aux rap­ports de Cuba avec l’Espagne, nous pré­ci­se­rons que, lorsqu’en jan­vier 1960 Cas­tro expul­sa l’ambassadeur d’Espagne, sans que celle-ci pro­teste, c’était parce qu’alors la moi­tié du cler­gé cubain était com­po­sé de curés franquistes. 

Les cita­tions de jour­naux espa­gnols, qui selon Hagnauer prouvent la man­sué­tude de l’Espagne envers Cas­tro, sont tirées du n° 216, page 16 des chro­niques étran­gères, dont Hagnauer a omis une cita­tion défa­vo­rable à sa thèse. « Hoja del Lunes » du 25/​1/​1960 disait :

« Ce qui inquiète le plus dans la Révo­lu­tion cubaine, c’est sa perte pro­gres­sive d’audience. On peut encore dou­ter d’une orien­ta­tion réso­lu­ment com­mu­niste du régime, mais ce qui ne fait pas de doute c’est l’utilisation par le com­mu­nisme de la situation ».

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