La Presse Anarchiste

Cuba (suite)

L’abondance des élé­ments de l’actualité nous oblige à déve­lop­per cer­tains points de notre article paru dans le pré­cé­dent numéro.

Le pro­blème communiste

Le pre­mier décembre 1961, Cas­tro se décla­rait com­mu­niste. Ce dis­cours a une his­toire curieuse : il dura 5 heures et n’a jamais été publié inté­gra­le­ment à Cuba. Il faut en retran­cher ce qui a été dit, et ce qu’on lui a fait dire. Cas­tro affir­ma que la Révo­lu­tion a besoin pour réus­sir d’un par­ti unique fon­dé sur le mar­xisme, et que lui :

« Est-ce que je crois au mar­xisme ? Je crois de façon abso­lue au mar­xisme ! Y croyais-je le pre­mier jan­vier (1959) ? (…) Non je ne le com­pre­nais pas comme je le com­prends aujourd’hui. Si je com­pare ma com­pré­hen­sion d’alors à celle d’aujourd’hui, il y a une grande dif­fé­rence … (mais) … je suis mar­xiste léni­niste et je le serai jusqu’à la fin de mes jours ».

À cela l’United Press Inter­na­tio­nal (UPI) prin­ci­pale agence de presse amé­ri­caine, ajou­ta un para­graphe apo­cryphe où Cas­tro disait qu’il était com­mu­niste depuis l’Université, mais qu’il avait caché ses idées pour prendre plus faci­le­ment le pou­voir. (Le 13 jan­vier 1962 le direc­teur de l’UPI dénon­çait les pres­sions éco­no­miques et poli­tiques aux­quelles il avait à faire face). La revue « Par­ti­sans » d’avril 1962 a don­né des extraits frag­men­taires et édul­co­rés de ce discours.

Cette volte-face de Cas­tro en com­plet désac­cord avec ses pre­miers dis­cours est stig­ma­ti­sée par les liber­taires cubains (février 1962) :

« Nous ne croyons pas que Fidel Cas­tro soit com­mu­niste, parce qu’être com­mu­niste c’est être quelque chose, et Fidel Cas­tro n’est qu’un aven­tu­rier assoif­fé de pou­voir et de gloire. Il fut un temps où il se van­tait d’être démo­crate et consti­tu­tion­nel ; il n’était ni l’un ni l’autre. Plus tard en des­cen­dant de la Sier­ra Maes­tra, il fit montre d’un catho­li­cisme écla­tant, qui le pous­sait à se parer de médailles reli­gieuses qu’il por­tait fiè­re­ment au cou ».

Exa­mi­nons les suites poli­tiques de ce discours.

Le 15 février, Car­los Rafael Rodri­guez (cf. « NR » n° 20, pages 18 à 22), est nom­mé Pré­sident de l’Institut Natio­nale de la Réforme Agraire, le poste le plus impor­tant après celui de Fidel Cas­tro. L’ex-président, Nuñez Jime­nez, fidé­liste de la « belle époque », très connu, semble avoir été com­plè­te­ment limogé.

11 mars 1962 : l’Organisation des Révo­lu­tion­naires Inté­grés (ORI) Stade pré­pa­ra­toire du Par­ti Uni­fié de la Révo­lu­tion Socia­liste, est for­mé. Sur les 25 membres du Comi­té Direc­teur, il y a 9 communistes.

Le 17 mars, Fidel Cas­tro déclare :

« Les fonc­tions de l’État sont une chose, celle du Par­ti une autre… Si l’on ne com­prend pas cela, on va au chaos ».

Fidel Cas­tro ajoute une cri­tique des oppor­tu­nistes et des arri­vistes et dit que les ministres doivent être res­pon­sables devant l’État et les cel­lules devant le Comi­té Direc­teur des ORI. Évi­dem­ment, il y a du tirage entre fidé­listes et com­mu­nistes, c’est-à-dire nou­veaux et anciens com­mu­nistes. Le 24 mars Fidel Cas­tro est nom­mé pre­mier secré­taire des ORI, et le 26 Raul Cas­tro est second secré­taire. On atten­dait un com­mu­niste comme second secré­taire, par exemple le fameux Car­los Rafael Rodri­guez, mais c’est Raul, comme si les fidé­listes vou­laient concen­trer le pou­voir en leurs mains. Le même jour, comme par hasard, Car­los Rafael Rodri­guez fait un violent dis­cours contre le plan de ration­ne­ment annon­cé le 13 par Fidel Cas­tro en per­sonne (rema­nie­ments minis­té­riels, un jour avant le minis­tère du com­merce inté­rieur passe à un com­mu­niste). Le len­de­main 27, nou­vel hasard, Fidel Cas­tro fait un dis­cours très violent contre un membre com­mu­niste des ORI, Ani­bal Escalente :

« La van­tar­dise des vieux mili­tants com­mu­nistes et la croyance que les révo­lu­tion­naires qui ne leur appar­tiennent pas ne sont pas capables d’occuper des postes impor­tants est une poli­tique absurde, néga­ti­ve­ment stu­pide… Nous avons oublié que le nombre des com­mu­nistes de ce pays était autre­fois très réduit. Main­te­nant que le peuple tout entier adhère au mar­xisme-léni­nisme, le sec­ta­risme des vieux mili­tants com­mu­nistes devient absurde ».

Pour­quoi géné­ra­li­ser la conduite d’Escalente et accu­ser d’autoritarisme et de graves erreurs tous les com­mu­nistes ? Le 28 Esca­lente prend l’avion pour Prague, le jour­nal du PC prêche « l’union la plus large que jamais » et cri­tique Esca­lente. Le 6 avril, un com­mu­niste membre des ORI en pro­vince, éga­le­ment atta­qué par Fidel Cas­tro le 27 mars, est démis de ses fonc­tions. Le 11 avril, la Prav­da approuve l’expulsion d’Escalente. Le 30 avril, un autre com­mu­niste est démis de ses fonc­tions, à La Havane cette fois. Cer­tains fidé­listes limo­gés réap­pa­raissent. Le 11 mai, Fidel Cas­tro pro­nonce un grand dis­cours, ren­du public quelques jours après. Il cri­tique le sec­ta­risme des com­mu­nistes des ORI, « sec­ta­risme impla­cable, infa­ti­gable, sys­té­ma­tique, qu’on ren­contre par­tout à tous les éche­lons ». De nom­breux abus furent commis.

« Nous sommes allés voir (l’application des ORI) tout était un mon­ceau de merde, je m’excuse de ce que le terme à d’irrévérencieux… Les com­mu­nistes croyaient qu’ils avaient gagné la Révo­lu­tion à la lote­rie en oubliant le sang ver­sé, les sacri­fices qu’a coû­té cette révo­lu­tion… Si des pro­prié­tés ont été indû­ment confis­quées, nous les ren­drons à leurs pro­prié­taires, car si, par ce geste, on contente des mil­liers de per­sonnes, elles mar­che­ront alors avec la Révo­lu­tion… Il faut savoir dis­tin­guer les fautes d’Anibal Esca­lente et celles com­mises par nous tous, et par 400 Ani­bal qui cir­culent par ici… Nous fai­sons cette auto­cri­tique de nos erreurs sur un plan mar­xiste-léni­niste. Que per­sonne ne s’imagine que nous fai­sons un pas en arrière ».

Le 22 mai on annonce la créa­tion d’un camp de réédu­ca­tion pour tra­vailleurs « com­met­tant des erreurs ou des infrac­tions entraî­nant un pré­ju­dice social, sans consti­tuer un crime, à pro­pre­ment par­ler ». Le 25, un nou­vel accord pétro­lier est signé avec l’URSS ;

Il y a une vio­lente lutte d’influence dans le pou­voir entre fidé­listes et com­mu­nistes, mais le pou­voir lui-même est tou­jours plus fort.

Les pro­blèmes économiques

Les pro­blèmes éco­no­miques viennent accen­tuer l’influence de l’État.

Une consta­ta­tion pour débu­ter : le com­merce exté­rieur se fai­sait à 75 % avec les USA sous Batis­ta, il passe à 78 % avec les pays de l’Est sous Castro.

La réduc­tion volon­taire de part et d’autre du com­merce amé­ri­ca­no-cubain, et la rup­ture depuis la confé­rence de Pun­ta del Este (février 1962) a entraî­né de sérieuses dif­fi­cul­tés. Celles-ci se sont mani­fes­tées sur­tout pour les cita­dins, mais pour la majo­ri­té de la popu­la­tion, la situa­tion est tout de même meilleure. La ces­sa­tion du com­merce avec les USA et leurs alliés (sauf le Cana­da, mais y com­pris la France) prive le gou­ver­ne­ment cubain de quelque vingt mil­lions de dol­lars. En outre la séche­resse de cette année a pro­vo­qué une faible récolte de sucre. Le 13 mars 1962, Cas­tro doit annon­cer un plan de ration­ne­ment car : 

« Le pro­blème du ravi­taille­ment est le pro­blème le plus sérieux de la révolution ».

Le plan est divi­sé en trois chapitres : 

  1. matières grasses, légumes : il sera four­ni par mois à cha­cun 2 livres de matières grasses, 6 de riz, 1,5 de hari­cots, len­tilles ou pois chiches,
  2. pro­duits de ménage : 1 savon­nette, 1 savon, 1 paquet de les­sive, 1 tube de pâte den­ti­frice par mois et pour deux personnes,
  3. La Havane : 150 grammes de viande par per­sonne dans les villes par semaine, 1 pou­let de 2 livres par mois, 5 œufs par mois, etc.

Le 26 mars, dans son dis­cours de cri­tique Car­los Rafael Rodri­guez affirme :

« Une semaine après l’entrée en vigueur du plan de ration­ne­ment, nous pou­vons consta­ter que ce plan marche mal ».

Le Mou­ve­ment Liber­taire Cubain (MLC) signale, en avril, que la mise en pra­tique du plan est toute théo­rique et que le peuple mani­feste sa mau­vaise humeur.

Il semble enfin que la baisse de la récolte de sucre soit due éga­le­ment à la concur­rence qui existe en fait entre les anciennes com­pa­gnies sucrières natio­na­li­sées et les coopératives.

Les cou­peurs de canne pré­fé­rant tra­vailler dans les coopé­ra­tives où ils sont mieux payés, d’où manque de main‑d’œuvre dans les ex-compagnies.

Sur le plan ban­caire et indus­triel, les accords avec les pays de l’Est se sont mul­ti­pliés ces der­niers mois. Cepen­dant la classe ouvrière pré­oc­cupe tou­jours le régime :

« L’absentéisme prend “des carac­té­ris­tiques alarmantes “… »

…il est :

« …le contre-révo­lu­tion­naire le plus sombre, le plus subtil “,

disait Gue­va­ra en sep­tembre 1961. En novembre, il ajou­tait que la classe ouvrière :

« don­nait l’impression de ne pas com­prendre le nou­veau rôle qu’elle avait à jouer ».

L’opposition

L’opposition à Cuba même semble impos­sible. Il existe des maquis contre-révo­lu­tion­naires. Selon le MLC il y a 40 000 per­sonnes empri­son­nées pour oppo­si­tion poli­tique et trai­tées sau­va­ge­ment. En jan­vier un cama­rade écrivait : 

« Nous avons vu, de nos yeux vus, le mitraillage de groupes de per­sonnes où 7 êtres humains périrent… Nous avons vu l’assassinat d’un groupe de plus de 8 per­sonnes pour le seul délit de vou­loir sor­tir clan­des­ti­ne­ment du pays sur une embar­ca­tion… Nous savons que chaque fois qu’un bateau emme­nant des per­sonnes qui veulent fuir le com­mu­nisme, est pris, il est mitraillé et cou­lé sans qu’on s’occupe de savoir s’il y a des enfants et des femmes à bord… ».

En février, une loi est édic­tée qui punit de mort les per­sonnes prises les armes à la main et les sabo­teurs. en avril, le pro­cès des 1 179 pri­son­niers du débar­que­ment man­qué a lieu, mais aucun n’est condam­né à mort ; ils sont tous condam­nés, mais sont libé­rables si leur famille paie une cer­taine somme. L’an der­nier Fidel Cas­tro vou­lait les échan­ger contre des trac­teurs d’une valeur totale de 140 mil­lions de nou­veaux francs, aujourd’hui il demande 310 mil­lions de nou­veaux francs.

L’émigration cubaine aux USA s’agite en mars, une mani­fes­ta­tion a eu lieu à Mia­mi contre la pas­si­vi­té du Conseil Révo­lu­tion­naire Anti­cas­triste (CRA) ; en avril le Mou­ve­ment Révo­lu­tion­naire Popu­laire (MRP) qui a rom­pu avec le CRA depuis le débar­que­ment, annonce qu’il va orga­ni­ser une armée ; en avril éga­le­ment, le car­di­nal Spell­mann, donne 25 000 nou­veaux francs pour le rachat des pri­son­niers ; tou­jours en avril Bar­quin ancien colo­nel de l’armée de Batis­ta prend contact à Mia­mi avec le MRP. Quant au MLC bien qu’il approuve l’action de l’émigration, il dénonce en avril l’action des par­ti­sans de Batis­ta par­mi les émi­grés « ces ban­dits dégui­sés en mar­tyrs pré­tendent se conver­tir en moteur de toute solu­tion du drame cubain ».

Dans le même cou­rant d’idées qui consiste à mon­ter en épingle l’importance de l’émigration envers laquelle nous main­te­nons une atti­tude méfiante nous pour­rions par­ler d’antisémitisme. Cer­taines explo­sions contre les maga­sins juifs, et aus­si le fait que l’Haias, orga­ni­sa­tion sio­niste, s’occupe d’évacuer les juifs cubains le prou­ve­raient. Cepen­dant Fidel Cas­tro a dit :

« Être anti­ca­tho­lique, anti­com­mu­niste, anti­sé­mite, c’est être un contre-révolutionnaire ».

Mais on connaît la valeur des décla­ra­tions cas­tristes. De toute façon le racisme à Cuba, peuple mélan­gé à l’extrême ne peut être que rela­tif, par rap­port à beau­coup d’autres pays.

La poli­tique extérieure

Nous disions dans notre conclu­sion pré­cé­dente : « on n’est plus colom­bien ou mexi­cain, on est pour ou contre Cas­tro ». La confé­rence de Pun­ta del Este l’a bien mon­tré. Les USA avaient convo­qué l’organisation des États Amé­ri­cains (OEA) pour qu’ils excluent Cuba, et pour qu’ils donnent un blanc-seing aux USA pour qu’un nou­veau débar­que­ment du 17 avril 1961 ait lieu. Aupa­ra­vant les dis­cours inju­rieux de Cas­tro en décembre 1961, contre les gou­ver­ne­ments de la Colom­bie, de Pana­ma, amènent ceux-ci à rompre leurs rela­tions diplo­ma­tiques avec Cuba.

À Pun­ta del Este, fin jan­vier, Cuba est condam­né puis exclu de l’OEA, mais l’abstention des grands pays : Chi­li, Argen­tine, Bré­sil, Équa­teur, Mexique, Boli­vie, empêche les USA de pré­sen­ter une motion de sanc­tion contre Cuba. De nom­breuses mani­fes­ta­tions sou­vent san­glantes en faveur de Cuba avaient eu lieu dans presque tous les pays lati­no-amé­ri­cains. En Argen­tine et en Équa­teur, les élé­ments conser­va­teurs, c’est-à-dire l’extrême droite, com­po­sée de pro­prié­taires fon­ciers et de l’armée obligent les gou­ver­ne­ments à rompre les rela­tions diplo­ma­tiques avec Cuba. En Argen­tine Fron­di­zi est chas­sé et aujourd’hui encore la crise est ouverte. Au Vene­zue­la un putsch pro-fidé­liste a eu lieu en mars et en juin. Aux USA Ken­ne­dy rompt toutes rela­tions éco­no­miques avec Cuba. Cuba porte plainte aux Nations Unies contre « l’agression éco­no­mique des USA », mais n’étant pas appuyé par les pays du bloc afro-asia­tique, il aban­donne la partie.

En jan­vier un obs­cur fonc­tion­naire du pape annonce que Fidel Cas­tro est excom­mu­nié. En réa­li­té, il n’en est rien, du reste le pré­sident de la Répu­blique a envoyé « des vœux sin­cères de pros­pé­ri­té chré­tienne » à Jean XXIII. Cuba est tou­jours en rela­tions diplo­ma­tiques avec le Vati­can de même qu’avec l’Espagne fran­quiste.

Les anar­chistes et Cuba

Une lettre du 23 jan­vier 1962 du MLC nous com­mu­nique les ren­sei­gne­ments suivants :

« Le mou­ve­ment liber­taire existe à Cuba depuis l’époque de la colo­nie, sous l’influence d’une grande quan­ti­té de mili­tants espa­gnols, qui fuyaient de la pénin­sule à cause de la répres­sion conti­nuelle qu’y subis­saient nos cama­rades… Notre mou­ve­ment à Cuba eut une impor­tance extra­or­di­naire, jusqu’à l’avènement au pou­voir du géné­ral Macha­do en 1925. Les syn­di­cats ouvriers diri­gés par des cama­rades liber­taires cubains et espa­gnols répon­daient à l’orientation anar­cho-syn­di­ca­liste du mou­ve­ment espa­gnol uti­li­sant la tac­tique de l’action directe comme méthode de com­bat et obser­vant une atti­tude farou­che­ment anti-poli­tique… La féroce répres­sion de Macha­do affai­blit extra­or­di­nai­re­ment nos rangs, car de nom­breux mili­tants cubains et espa­gnols furent assas­si­nés par les forces poli­cières et mili­taires tan­dis que la majo­ri­té des mili­tants espa­gnols était dépor­tée en Espagne. Les com­mu­nistes pro­fi­tèrent de cette étape pour avan­cer dans le mou­ve­ment ouvrier… En 1938 les com­mu­nistes firent un pacte avec Batis­ta, lui offrant leur appui poli­tique en échange du mono­pole total des orga­ni­sa­tions syndicales.

… L’attitude du MLC envers Batis­ta fut constante durant les deux périodes de sa dic­ta­ture : de 1935 à 1944 nous avons constam­ment conspi­ré et lut­té conjoin­te­ment avec les forces démo­cra­tiques qui le com­bat­taient ; de 1952 à 1958 de même. Jamais nous n’avons tran­si­gé avec la dic­ta­ture civi­co-mili­taire de Batis­ta, et, durant le com­bat contre elle de nom­breux cama­rades furent arrê­tés et tor­tu­rés, et cer­tains assas­si­nés, par les sbires de Batis­ta. Notre atti­tude envers Cas­tro avant le 1er jan­vier 1959 fut claire : nous l’avons tou­jours jugé comme un aven­tu­rier sans scru­pule et dési­rant le pou­voir, comme un homme sans idéo­lo­gie défi­nie, et par consé­quent, adon­né à la déma­go­gie et au diri­gisme… Néan­moins de nom­breux liber­taires lut­tèrent dans les cadres du Mou­ve­ment Révo­lu­tion­naire du 26 juillet… Très rapi­de­ment, durant les pre­miers jours de jan­vier 1959, ses inten­tions tota­li­taires appa­rurent… Nous avons ten­té d’exprimer notre désac­cord sur l’orientation plus qu’autoritaire du nou­veau régime par des décla­ra­tions publiques et des dis­cus­sions ouvertes des déci­sions gou­ver­ne­men­tales. Mais très rapi­de­ment nous vîmes que cela était impos­sible, parce que toute atti­tude cri­tique était aus­si­tôt qua­li­fiée de « contre-révo­lu­tion­naire »… Tout ceci obli­gea cer­tains de nos mili­tants à se pla­cer fran­che­ment dans l’opposition au régime fidé­liste, ce qui les for­ça par la suite à prendre le che­min de l’exil, tan­dis que d’autres mili­tants plus maniables et plus souples s’adaptaient à la situa­tion et déci­daient de par­ti­ci­per étroi­te­ment à la nou­velle dic­ta­ture. Pour nous ces der­niers ont ces­sé d’être des mili­tants libertaires…

De ce qui pré­cède découle notre atti­tude actuelle : nous sommes contre l’actuelle dic­ta­ture tota­li­taire cas­tro-com­mu­niste ; nous nous oppo­sons réso­lu­ment à toute solu­tion impo­sée par des puis­sances étran­gères qui sup­pose le retour à la situa­tion anté­rieure au 1er jan­vier 1959 ; nous lut­tons pour que le peuple cubain récu­père sa liber­té pour pour­suivre le pro­ces­sus trans­for­ma­teur de la révo­lu­tion sur des voies plus libres et plus justes… Nous nous effor­çons d’organiser l’action de tous les peuples lati­no-amé­ri­cains, dans la lutte contre l’exploitation et l’oppression, sans nous ins­crire dans aucun des blocs impé­ria­listes qui se dis­putent actuel­le­ment la domi­na­tion du monde

Il existe dans le mou­ve­ment liber­taire inter­na­tio­nal une absurde confu­sion sur la tra­gé­die cubaine, c’est pour­quoi les juge­ments des cama­rades s’avèrent contra­dic­toires… G. Leval a une posi­tion que nous par­ta­geons en gros, mais il nous semble un peu enclin à voir le pro­blème actuel avec trop de com­plai­sance pour le bloc occi­den­tal… Ta conclu­sion [[C’est-à-dire la conclu­sion de notre lettre au MLC où nous dénon­cions l’ac­tion com­mu­niste et le peu d’in­fluence des masses.]] sur le régime régnant dans notre pays est cor­recte : dog­ma­tisme exces­sif, totale influence com­mu­niste et pas­si­vi­té totale des masses qui sont uti­li­sées exclu­si­ve­ment comme « claque ». Depuis lors, tout ce que tu as vu s’est for­te­ment accen­tué : Cuba est aujourd’hui un pays « socia­liste » de plus qui tourne dans l’orbite sovié­tique. Et mal­heu­reu­se­ment le pro­blème cubain est deve­nu une pièce de plus sur le com­pli­qué échi­quier inter­na­tio­nal « (lettre du 23/​01/​1962 du Mou­ve­ment Liber­taire Cubain).

En avril 1962, le MLC nous informe de la situa­tion des liber­taires arrê­tés. José Ace­na condam­né à 20 ans de tra­vaux for­cés pour acti­vi­tés » contre-révo­lu­tion­naires « (ancien membre du mou­ve­ment du 26 juillet, tor­tu­ré sous Batis­ta) ; Pla­ci­do Men­dez 12 ans de tra­vaux for­cés ; Alber­to Gar­cia, Joa­quim Aubi et San­da­lio Torres, 30 ans de tra­vaux for­cés. Anto­nio Daga et Luis Miguel depuis un an en pri­son n’ont pas encore été jugés.

Le 22 avril une réunion du MLC féli­cite la Fédé­ra­tion argen­tine et la CNT du Mexique pour leur appui, condamne la FA uru­guayenne et » l’Adunata dei Refrat­ta­ri « pour » son hos­ti­li­té envers les liber­taires cubains exi­lés et ses sym­pa­thies voi­lées pour la dic­ta­ture tota­li­taire castro-communiste ». 

Adu­na­ta le 3 mai annonce qu’elle ne publie plus les articles d’un cama­rade cubain par suite de désac­cords de par et d’autre. Le cama­rade cubain disait que : 

« la marche sur La Havane de Fidel Cas­tro est une vul­gaire paro­die de la marche sur Rome de Mussolini ».

À quoi « Adu­na­ta » avait déjà répon­du (18 novembre 1961) que c’était igno­rer l’histoire car pour Mus­so­li­ni ce fut une comé­die « il se ren­dait à Rome à l’invitation du roi en ” slee­ping-car ” avec ses che­mises noires », alors que pour Cas­tro ce fut la lutte de tout un peuple.

Uma­ni­ta Nova le 11 mars publie une lettre du même cama­rade cubain qui reproche à Uma­ni­ta Nova ses sym­pa­thies pro­cas­tristes, la direc­tion répond en repro­chant à celui-ci ses sym­pa­thies pro-USA. Le 27 mai, la direc­tion publie une très vio­lence note contre ce cama­rade cubain, lui repro­chant de s’être réfu­gié à Mia­mi et de n’avoir pas dénon­cé les crimes de Batista.

Notre conclu­sion est exac­te­ment la même que celle du pré­cé­dent numé­ro. Les atti­tudes se sont dur­cies ; il appa­raît doré­na­vant cer­tain que les USA ne recu­le­ront pas. Le pou­voir éta­tique pro­fi­tant de la situa­tion poli­tique et éco­no­mique accen­tue conti­nuel­le­ment son emprise. Savoir si Cas­tro devien­dra un com­mu­niste ortho­doxe ou hété­ro­doxe n’a guère d’importance, il faut se deman­der comme le peuple pour­ra retrou­ver ses liber­tés sans rien perdre de ce qu’il a acquis. Et dans la conjonc­ture actuelle nous ne voyons pas d’espoir ni à l’intérieur ni à l’extérieur de Cuba.

[/​Israël Renof/​]

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