La Presse Anarchiste

Débat si ! Coup bas, no !

En trai­tant de la ques­tion cubaine dans notre der­nier numé­ro, nous n’ignorions pas les pos­si­bi­li­tés de débat que ce pro­blème ris­quait de sou­le­ver, et nous les sou­hai­tions car, fidèles aux objec­tifs pre­miers de nos cahiers, nous pen­sons que tout doit être dit, afin d’être dis­cu­té par tous, pour qu’également tous nous tirions profit.

Mais quelles que soient nos insuf­fi­sances, nos erreurs, ou nos défauts, on nous ren­dra cette jus­tice qu’au tra­vers de nos articles et études, nous avons le moins pos­sible sacri­fié à la polé­mique, forme agréable et brillante de la dis­cus­sion, certes, mais qui ne nous semble pas être la plus constructive…

Or, il est amu­sant de consta­ter que ce que nous, jeunes hommes, devrions aimer par « tem­pé­ra­ment » et néan­moins repous­sons, est repris par des cama­rades plus âgés, hommes d’expérience et de cabi­net, pour étayer leur réponse ou leur attaque.

Ain­si en est-il d’un article de Roger Hagnauer, paru dans « La Révo­lu­tion Pro­lé­ta­rienne » d’avril der­nier, et consa­cré pour une bonne part à l’étude de notre cama­rade Renof (voir plus loin la réponse de Renof).

Polé­mique éga­le­ment un article-réponse de Gas­ton Leval qui, nous pré­cise-t-il, est à publier dans le pro­chain « Noir et Rouge », « comme l’indique un mini­mum d’impartialité » (phrase sou­li­gnée par l’auteur !). Nous nous fai­sons, bien enten­du, un plai­sir de repro­duire l’essentiel dudit article.

Voi­ci donc à pro­pos de Cuba, un débat enga­gé. S’il risque d’être moins serein que nous l’aurions sou­hai­té à l ‘ori­gine, nous essaie­rons pour notre part, d’en res­ter aux argu­ments, aux faits. Mais qu’on ne se méprenne sur­tout pas sur notre méfiance de la polé­mique, car méfiance ne signi­fie nul­le­ment crainte et nous sau­rions le prou­ver à l’occasion. Il reste qu’on pour­rait nous objec­ter « mais la polé­mique, c’est vous qui l’avez sou­le­vée en atta­quant Gas­ton Leval dans votre numé­ro 20, en par­lant de son amour-pas­sion pour les USA ! » La ques­tion sem­ble­rait à pre­mière vue judi­cieuse s’il s’était effec­ti­ve­ment agi d’une « méchan­ce­té » de notre part, vis-à-vis de Leval : en ce cas nous nous en excu­se­rions deman­dant que l’on mette cet « excès » sur le compte d’une fou­gueuse jeu­nesse (c’est bien connu !) et l’affaire était close. Mais il s’agit en l’occurrence, de tout autre chose et c’est bien pour­quoi notre groupe, soli­daire, tient à expli­quer ici sa posi­tion, à « faire le point », comme nous le fai­sons par­fois, quand l’affaire en vaut la peine.

Quand notre cama­rade Renof dit, en par­lant de Leval : « l’amour-passion qu’il a pour les USA fait que ses articles sont d’une telle stu­pi­di­té qu’il m’est impos­sible d’en par­ler en res­tant dans les limites de la cor­rec­tion », il exprime en termes certes durs, son indi­gna­tion devant des prises de posi­tion lui sem­blant indignes d’un liber­taire, fût-il « socia­liste ». Il est nor­mal qu’il l’exprime et le comi­té de rédac­tion de « Noir et Rouge » réagit pareille­ment devant les articles et ana­lyses de Leval consa­crés au pro­blème cubain. Et encore, s’il n’y avait que le pro­blème cubain ! mais il s’avère que dépas­sant le cadre de Cuba, Leval prend des posi­tions géné­rales avec les­quelles nous nous trou­vons de plus en plus en désac­cord total. Cette ques­tion mérite que l’on s’y arrête quelque peu.

Par­lons net. Nous pen­sons que sur Cuba, sur les pays du Tiers-monde, comme sur tout autre pro­blème, les liber­taires doivent être capables de par­ler et de se défi­nir, sans pour autant bas­cu­ler vers un bloc ou l’autre. Nous savons bien que la posi­tion liber­taire est dif­fi­cile, pour les maniaques de la sché­ma­ti­sa­tion, parce qu’elle se réfère constam­ment à l’humain et nous place une fois pour toutes aux côtés des oppri­més contre leurs oppres­seurs. De ce fait, elle nous inter­dit pré­ci­sé­ment de sché­ma­ti­ser, et au nom d’un pré­ten­du « réa­lisme », de choi­sir entre la peste capi­ta­liste et le cho­lé­ra sta­li­nien, comme le font mal­heu­reu­se­ment cer­tains dont nous pen­sons qu’ils n’agissent pas, ou plus, en libertaires.

Cette dif­fi­cul­té ne concerne pas seule­ment les deux blocs qui vou­draient se par­ta­ger le monde, mais éga­le­ment les pays colo­ni­sés. Par­lant de Cuba, nous ne pou­vons nous empê­cher de pen­ser au pro­blème algé­rien, car la sché­ma­ti­sa­tion citée plus haut, jouait là en sens contraire ! Et cette fois, notre posi­tion liber­taire nous obli­geait à choi­sir, mais contre le colo­nia­lisme, pour des hommes lut­tant avant tout pour leur vie, et non à ren­voyer dos à dos colo­ni­sa­teurs et colo­ni­sés, en expli­quant savam­ment qu’il s’agissait d’une lutte entre deux nationalismes.

Ne pas choi­sir ? Choi­sir ? La contra­dic­tion n’est en fait qu’apparente et la « ligne » anar­chiste, pré­ci­sé­ment parce qu’elle est anti­dog­ma­tique, passe de la défense des Conseils Ouvriers à Buda­pest, à celle des pay­sans algé­riens, sans pour cela approu­ver le « monde libre » ou le futur gou­ver­ne­ment FLN. Est-ce si dif­fi­cile à com­prendre, après tout ? Nous ne le croyons pas et per­sis­tons à affir­mer que sur tous les pro­blèmes les liber­taires peuvent et doivent avoir leur posi­tion propre, qui est d’indépendance vis-à-vis des blocs, en pro­fi­tant au maxi­mum des luttes qu’ils se livrent. Rap­pe­lons-nous la tac­tique « 3ème front » prô­née par le « Liber­taire » des années 1950, tac­tique qui fit cou­ler beau­coup trop d’encre en nos milieux et fut décriée par cer­tains esprits forts, quand elle ne les fai­sait pas rica­ner, et pour quelle rai­son ? Tout sim­ple­ment parce que nous énon­cions cette évi­dence : « ni Sta­line, ni Tru­man », pré­ci­sée en une autre for­mule « contre Sta­line, sans être pour Tru­man », « contre Tru­man sans être pour Sta­line ». En repen­sant à cela, nous ne trou­vons pas cette posi­tion si risible et croyons même qu’elle peut res­ter valable pour des anar­chistes en l’actualisant, bien entendu.

Aus­si et pour en reve­nir à lui, quand Leval sous pré­texte de réa­lisme et de lutte anti­com­mu­niste prend en fait par­ti pour le monde dit « libre », pour « l’Occident », face à « l’Orient », nous ne pou­vons nous taire et dénon­çons cette position.

Mais nous avions com­men­cé avec Cuba, nous y revien­drons avec l’article d’Hagnauer. Et c’est là que nous consta­tons une étrange rela­tion entre la réac­tion de celui-ci et la posi­tion de Leval. À Leval qui, dans maints articles, reproche à cer­tains liber­taires de ne pas assez dénon­cer le dan­ger bol­che­vique, d’être en fait trop gen­tils pour les cocos, Hagnauer fait pen­dant et nous accuse tout sim­ple­ment de pro­cas­trisme et bien enten­du de com­mu­nisme, l’un n’allant pas sans l’autre, com­ment donc ! Ain­si quand on touche à Leval, c’est Hagnauer qui souffre, curieux !

Il ne s’agit pas ici de réfu­ter les argu­ments de l’article paru dans la « Révo­lu­tion Pro­lé­ta­rienne », l’ami Renof s’en char­geant plus loin, mais plu­tôt de par­ler de l’état d’esprit de son auteur. Nous ver­rons qu’ainsi nous res­tons en plein dans ce pro­blème du « choix » posé dans le pré­sent article.

Épar­gnons à nos lec­teurs une réponse aux astuces d’Hagnauer sur notre faible audience, la « naï­ve­té » de notre cama­rade et autres bonnes blagues pour arri­ver à plus sérieux. Après une fort diver­tis­sante inter­pré­ta­tion de notre anti-élec­to­ra­lisme, Hagnauer lâche une petite phrase (qui prend tout son sel pour qui a lu l’article de Renof et y a remar­qué la large place consa­crée à l’envahissement sta­li­nien de la révo­lu­tion cubaine) qui jus­ti­fie notre pro­tes­ta­tion et nous fait sérieu­se­ment dou­ter de l’honnêteté d’Hagnauer la polé­mique ayant bon dos. Celui-ci écrit : « invo­lon­tai­re­ment peut-être, Renof sou­ligne l’importance des com­mu­nistes… ». On admi­re­ra, et nos lec­teurs avec nous, cet « invo­lon­tai­re­ment » mis là sans aucun doute par le plus grand des hasards et Roger Hagnauer qui vient de publier « l’expression écrite et orale » ignore cer­tai­ne­ment ce que lire veut dire !

N’insistons pas : on voit la manœuvre elle n’est pas nou­velle et pour nous être atta­qué à ce sujet tabou, Cuba – en essayant (mal­heu­reux que nous sommes) d’étudier les côtés néga­tifs et posi­tifs de la révo­lu­tion cas­triste – nous sommes taxés de pro­com­mu­nisme. Outre que ladite accu­sa­tion ne nous fera pas taire, on nous per­met­tra de trou­ver très curieuse cette manie d’accuser de pro­com­mu­nisme les cama­rades qui ne font ni du « monde libre » ni de FO leurs che­vaux de bataille. Pro­blème à étu­dier un jour, qui réser­ve­ra cer­tai­ne­ment beau­coup de surprises !

Nous ne ferons pas aux cama­rades qui nous lisent l’injure de leur lais­ser croire que nous allons nous « jus­ti­fier » face aux conclu­sions d’Hagnauer : ils lisent eux « Noir et Rouge » et connaissent eux, nos posi­tions sur le sta­li­nisme. Il en va de même pour Cas­tro et il est bien évident que nous ne pour­rons jamais être les « cryp­tos » d’un « grand homme », qu’il soit bar­bu, à tomates, ou avec deux étoiles sur le képi.

Nous conti­nue­rons donc à par­ler (si néces­saire) de Cuba et de tous les pro­blèmes répu­tés déli­cats, dif­fi­ciles. En fait, un pro­blème n’est jamais déli­cat, dif­fi­cile, si on essaie de faire le maxi­mum de lumière sur la ques­tion. Où notre posi­tion serait cri­ti­quable, c’est si nous cachions volon­tai­re­ment, tel ou tel aspect d’un pro­blème étu­dié pour le pré­sen­ter sui­vant un point de vue pré­fa­bri­qué, favo­rable à on ne sait quelle thèse…

À nous qui dénon­çons pré­ci­sé­ment cer­taines dévia­tions et n’avons de ce fait ni FO, ni CGT, ni franc-maçon­ne­rie à ména­ger, nous atten­dons qu’on fasse un seul reproche de ce côté. En six ans, il ne nous a jamais été adres­sé, cela nous auto­rise à conti­nuer notre tra­vail avec confiance et tran­quilli­té. Les pro­blèmes inté­res­sants ne manquent pas !

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