La Presse Anarchiste

À l’étalage du Bouquiniste

Un Jar­din sur l’Oronte, par Mau­rice Bar­rés. — Nou­velles pages de cri­tiques et de doc­trine, par Paul Bour­get. — Si je réunis ici ces deux livres et ces deux noms, c’est pour la rai­son sui­vante, à laquelle s’intéresseront, j’en suis cer­tain, mes lec­teurs. Sur le para­si­tisme dans la lit­té­ra­ture de notre socié­té capi­ta­liste et bour­geoise, il y aurait, je ne dis pas seule­ment un article ins­truc­tif à faire — il sera fait ici même comme je le dis plus haut — mais un gros livre auquel ne man­que­rait certes pas la docu­men­ta­tion. Par­mi les para­sites qu’il convien­drait d’étudier d’abord, il importe de citer Bar­rés et Bour­get, ce der­nier tout au moins en tant que critique.

Je dois dire que le para­si­tisme de Bar­rés a été déjà mis vigou­reu­se­ment en relief dans une petite San­guine échap­pée peu avant la guerre à la plume de Fer­nand Kol­ney et dont voi­ci un extrait : « … Écri­vain de troi­sième main, il débo­bine, tel un tœnia, une prose qui char­rie labo­rieu­se­ment tous les rési­dus de Sten­dhal, de Taine et de Renan. La forme pauvre, indi­gente est ins­crite à l’Assistance publique du pédan­tisme. En béquillant, ses phrases ataxiques se trament au long des périodes pous­sives et s’encombrent d’un bric-à-brac d’images pous­sié­reuses sur quoi, avec achar­ne­ment il pro­mène le plu­meau de la préciosité… »

On ne sau­rait vrai­ment, avec une vir­tuo­si­té plus grande, clouer un insecte copro­phage sur le liège d’une col­lec­tion. Je laisse de côté le sadisme du Bar­rès frous­sard et guer­rier, qui mérite une longue étude à part. Or il arrive que son der­nier, livre dont j’ai cité plus haut le titre est encore plus uni­forme, plus excré­men­tiel que les pré­cé­dents. On dirait vrai­ment le pro­duit mal­odo­rant d’un gros hel­minthe qui se serait vau­tré pen­dant de longs jours dans le gros intes­tin de Renan. Si, par hasard, vous en dou­tez, lisez-le. 

Ce que Bar­rés est pour Renan, son confrère en natio­na­lisme, Paul Bour­get, dans son œuvre de cri­tique l’est pour Taine, l’auteur de l’, un des livres les plus puis­sants du siècle défunt.

Je crois donc inutile d’insister, puisque je dois reprendre ici le sujet. Je me conten­te­rai de signa­ler les niai­se­ries, les stu­pi­di­tés, tout le grouille­ment d’idées fausses qui se trouvent col­lec­tées sur le mode et avec les pro­cé­dés de Taine dans ses Nou­velles pages de cri­tique et de doc­trine.

Comme modèles de patrio­tisme défor­ma­teur, je cite­rai les cha­pitres sur Hae­ckel et le pan­ger­ma­nisme, Kant et Gœthe, Le Natio­na­lisme intel­lec­tuel, La paix de Ver­sailles, L’Impérialisme, Le Mili­ta­risme, La Crise de l’Idée du Tra­vail, La Lutte des Classes.

Rien ne prouve mieux l’agonie du régime que le suc­cès fait à ces élu­cu­bra­tions de rhé­teur et la place que Bour­get occupe à côté de Bar­rés, par­mi ]a pré­ten­due élite de notre temps.

Lamen­nais, sa vie, ses idées et ses ouvrages, par M. F. Duine. — Avec ce livre je me suis vrai­ment repo­sé des pré­cé­dentes œuvres, abso­lu­ment dépour­vues d’idées justes.

Après avoir la atten­ti­ve­ment et avoir relu ensuite Les Paroles d’un Croyant, tou­jours en bonne place dans ma biblio­thèque, j’ai pen­sé qu’Anatole France avait eu rai­son de rap­pe­ler der­niè­re­ment à notre géné­ra­tion oublieuse le sou­ve­nir du grand polé­miste. Oui, certes, j’estime que les esprits les plus libres de notre temps peuvent le reven­di­quer comme un ancêtre ; je vais plus loin, et je dis que si l’on se reporte à l’époque où ayant jeté son froc à la tête du pape, il écri­vit son fameux pam­phlet admi­rable de viru­lence dans sa forme apo­ca­lyp­tique, on peut affir­mer que sa voix fut celle du pre­mier révol­té liber­taire cla­mant sa haine des grands et puis­sant les oppri­més à secouer leurs chaînes. Pour ma part, même aujourd’hui, je ne puis relire ce petit livre sans éprou­ver, aus­si âpre et aus­si violent pour le capi­ta­lisme triom­phant, le sen­ti­ment de mépris et de dégoût qui m’a pous­sé à consa­crer ma vie à la défense des déshé­ri­tés et des humbles.

Pour­quoi faut-il que ce chef‑d’œuvre soit aujourd’hui introu­vable dans le com­merce et demeure ain­si incon­nu au pro­lé­ta­riat mili­tant de France ? …

Pour­quoi faut-il qu’il ne se trouve pas un édi­teur d’avant-garde pour le réédi­ter dans une édi­tion à bon mar­ché et le mettre ain­si entre les mains de tous les misé­reux qui vont, errant sur la terre comme l’exilé de Lamen­nais, et qui aime­raient lire leur révolte expri­mée dans un lan­gage superbe ?

La vie à Deau­ville, par M. Georges Michel. — C’est aus­si, toute com­pa­rai­son mise à part, pour sa forme acerbe et mor­dante, pour ses vitu­pé­ra­tions vio­lentes contre nos para­sites mil­lion­naires et mil­liar­daires que j’ai lu avec plai­sir ce livre qui nous donne un tableau vivant et fouillé de ce grand tri­pot inter­na­tio­nal qu’est Deau­ville pen­dant trois mois de l’année. Ils sont, ma foi, bien cro­qués, je dirai même pour cer­tains gra­vés à l’eau-forte, tous ces Car­touche de la Bourse, tous ces for­bans de la Haute, toutes ces canailles dorées, tous ces vau­tours qui s’abattent sur cette place pour y dévo­rer en quelques semaines une par­tie de leur proie ; mêlés à eux, comme les cor­beaux se mêlent par­fois aux cha­ro­gnards, nous y voyons les roman­ciers à la Pré­vost, les psy­cho­logues à la Bour­get, les chro­ni­queurs figa­ristes, les jour­na­leux de Buneau-Varilla et de Letel­lier, tout le bric-à-brac artis­tique, lit­té­raire et mon­dain, toute la légion de snobs et de splee­né­tiques, qui l’hiver venu s’en iront pro­me­ner leur oisi­ve­té payée par le tra­vailleur pro­lé­taire sous le ciel plus clé­ment de la Côte d’Azur.

Des­cartes, par Jacques Che­va­lier. — Un livre sur le grand phi­lo­sophe qui serait utile à lire s’il n’était impré­gné d’un bout à l’autre, d un pro­fond esprit clé­ri­cal. L’auteur, en effet, a l’air d’ignorer que si Des­cartes parait avoir tenu compte dans son œuvre du vieux Dieu des Juifs, c’est qu’à son époque la crainte de la Bas­tille était le com­men­ce­ment de la sagesse pour tous les cher­cheurs. Peut-être man­qua-t-il un peu trop de cou­rage. Je n’en dis­con­viens certes pas.

La der­nière aven­ture de Can­dide, par Mioche (Socié­té mutuelle d’édition). — Petit livre, voire modeste bro­chure, qui contient en ses 70 pages plus d’idées et plus d’esprit que n’importe quel gros bou­quin de Pierre Benoit, le récla­mier fan­tas­tique, ou du sopo­ri­fique Hen­ry Bor­deaux. Avec une iro­nie vrai­ment vol­tai­rienne l’auteur a pu peindre ce même monde de la Bourse que nous avons vu tout à l’heure pre­nant ses ébats à Deau­ville en com­pa­gnie d’Alphonse XIII, le mat­toïde, le dégé­né­ré, le scro­fu­leux qui règne sur les Espagnols.

Et à pro­pos de ce petit livre, qu’il me soit per­mis de signa­ler ici l’œuvre accom­plie, l’effort pour­sui­vi par la Socié­té mutuelle d’édition qui, sous une forme typo­gra­phique par­faite et avec un papier irré­pro­chable, ce qui n’est pas à dédai­gner, pré­sente au public des œuvres judi­cieu­se­ment choi­sies, par­mi les bonnes pro­duc­tions d’avant-garde, de carac­tère et de ten­dances véri­ta­ble­ment indé­pen­dants. Cela est deve­nu si rare aujourd’hui.

[|POUR MENTION|]

Le pain et le blé, par Jules Leroux. — La Hol­lande dans le monde, par Hen­ri Asse­lin. — La Fian­cée morte, par Faure-Biguet. — Pas­teur et son œuvre, par L. Des­cour. — Sa Majes­té l’alcool, par Finot, livre remar­quable sur lequel je revien­drai. — Sous le feuillage clas­sique, par G. Grappe. — Aux pays occu­pés, par Jean Renaud.

[/P.V./]

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