La Presse Anarchiste

La voix syndicaliste

Si, depuis un cer­tain temps, ma « Voix Syn­di­cale » ne s’est pas fait enten­dre ici, c’est qu’à vrai dire, j’attendais d’avoir une vue d’ensemble sur des événe­ments qui me sem­blaient bien con­fus, bien déce­vants, bien incohérents.

La col­lec­tion de cette revue peut témoign­er de la con­fi­ance que nous avons mise dès sa créa­tion dans la C.G.T.U. Nous fûmes de ceux qui ont tou­jours pris au sérieux cette renais­sance du syn­di­cal­isme par un organ­isme nou­veau. Pour nous, au Con­grès uni­taire, la scis­sion n’était pas une manœu­vre et l’on doit se rap­pel­er que nous dénon­cions Monat­te essayant à la dernière heure de nous ramen­er dans les bras de Jouhaux. Pour nous, qui ne recevons de mot d’ordre ni de Moscou, ni d’Amsterdam, le « front unique » fut tou­jours une pra­tique politi­ci­enne. Et nous avons tou­jours pen­sé que le meilleur moyen de réalis­er l’unité ouvrière était de s’écarter des chefs diviseurs par déf­i­ni­tion… les chefs qui divisent pour régner.

Cepen­dant, à Saint-Éti­enne nous avions déploré la défaite du syn­di­cal­isme lib­er­taire et, devant la main­mise des valets de Moscou sur le bureau et la C.A. de la C.G.T.U., nous avions Col­laboré à la recon­sti­tu­tion d’un Comité de défense syn­di­cal­iste chargé de défendre la C.G.T.U. con­tre les entre­pris­es des gens de par­ti et de faire une active pro­pa­gande d’idées qui devait nous per­me­t­tre de faire tri­om­pher, au prochain Con­grès, le fédéral­isme syn­di­cal sur le cen­tral­isme politicien.

Hélas ! nos amis du Comité nation­al du Comité de Défense syn­di­cal­iste, Tot­ti et Besnard en tête, n’ont pas eu la patience de rester fidèles aux ter­mes de notre entente à l’issue du Con­grès de Saint-Éti­enne. Ayant vent de louch­es com­bi­naisons menées par cer­tains secré­taires de Fédéra­tions uni­taires afin de s’entendre avec les secré­taires des Fédéra­tions « orangistes » et flairant du nou­veau, ils voulurent se « met­tre à la page » et répon­dre, du tact au tact, en opposant manœu­vre à manœuvre.

Le Comité nation­al de défense syn­di­cal­iste jeta donc un pre­mier appel qui fai­sait pressen­tir son inten­tion de se faire l’instrument de 1’« unité » en con­vo­quant un con­grès extra­or­di­naire où seraient invités des représen­tants des syn­di­cats des deux C.G.T., après avoir exigé préal­able­ment la démis­sion de tous les secré­taires de syn­di­cats, fédéra­tions et confédérations.

Bonne inten­tion sans doute. Mais quelle chimère ! Comme si Riv­el­li allait lâch­er sa fédéra­tion pour les beaux yeux de Tot­ti ! Comme si Mer­rheim allait se black­bouler pour faire plaisir à Argence et à Chevallier !

Ou Besnard croit à la réal­i­sa­tion de son plan d’unité, et il est plus naïf encore que nous ne sommes « sen­ti­men­taux ». Ou il n’y croit pas et…

… Et les ouvri­ers ne sont pas des enfants avec lesquels on peut jouer impunément.

Avec toutes ces manœu­vres de haute-école syn­di­cale, on dégoûte de plus en plus les tra­vailleurs de l’action syn­di­cale. On fera tant et si bien qu’ils n’y com­pren­dront plus rien du tout et qu’ils nous enver­ront tous promen­er le jour où nous leur par­lerons d’organisation ouvrière et de syn­di­cal­isme révolutionnaire.

[|* * * *|]

Puis voici le Comité con­fédéral nation­al. Là, ce fut encore pis. En fin de séance noc­turne, alors que les trois quarts des délégués de province étaient par­tis, Mon­mousseau, au nom du Bureau de la Com­mis­sion exéc­u­tive de la C.G.T.U., nous pro­posa lui aus­si l’Unité, mais précédée du front unique et se réal­isant par la com­plic­ité et l’embrassade finale des secré­taires con­fédéraux de la rue Lafayette et de la rue Grange-aux-Belles. Pour com­mencer, Sémard avait déjà fait une petite tournée en com­pag­nie de l’ami Dumoulin.

Char­mants pro­jets. Tout s’arrangeait sur le dos dut pro­lé­tari­at. Jouhaux n’était pas plus dégoutant qu’un autre, n’est-ce pas ? Embras­sons-le, et tout est fini. L’Unité est réal­isée. Vive la C.G.T. une et indivisible

Les tra­vailleurs n’avaient pas été con­sultés. Les syn­diqués ne savaient rien de tous ces trafics. Main­tenant ils savent. Qu’ils réfléchissent, qu’ils se con­sul­tent et, s’ils veu­lent faire l’unité ouvrière, ils sauront bien la réalis­er entre eux, je crois, sans avoir besoin de l’ordre du Comité de Défense syn­di­cal­iste, pas plus que de celui du Bureau de la rue Grange-aux-Belles ou que des injonc­tions gouailleuses du maître chanteur Dumoulin. Les syn­diques con­fédérés ont leur con­grès. Là seule­ment pour­ra se résoudre le prob­lème de l’Unité. Et atten­dant, cher­chons, à l’atelier, à l’usine, les moyens de réalis­er la seule unité qui compte à l’égard du patronat : l’unité d’action revendicative.

Quant aux motions, réso­lu­tions et dis­cus­sions de tous les comités offi­ciels et offi­cieux — elles n’ont d’importance hélas ! — que pour leurs auteurs et leurs amis : une cen­taine de licen­ciés ès-syn­di­cal­isme qui ne s’aperçoivent pas du désert dans lequel ils prêchent pour… ou con­tre l’Unité !

Anar­chistes, ne renions pas notre passé d’action syn­di­cale. Nous con­tin­uons à croire que dans la Révo­lu­tion les syn­di­cats sont le corps dont l’anarchie est l’âme. Mais quand nous disions les syn­di­cats nous ne voulions pas dire les fonc­tion­naires syn­di­caux ou les théoriciens du syn­di­cal­isme. Pour nous, les syn­di­cat ce sont les tra­vailleurs groupés autour de l’instrument du tra­vail ; ce sont les tra­vailleurs au tra­vail ; les tra­vailleurs con­quérant les moyen de leur pro­duc­tion et organ­isant entre eux et pour eux cette production.

« Mais où sont-ils, ces tra­vailleurs ? me répon­dra-t-on. Nous ne voyons que des esclaves. Vos tra­vailleurs sont des êtres imag­i­naires, des tra­vailleurs idéaux… »

C’est pos­si­ble. Et c’est pourquoi nous dis­ons que « l’Anarchie est 1’âme ». C’est à nous, anar­chistes, d’être les ani­ma­teurs de ce vaste corps social, aujourd’hui amor­phe, veule, flasque, vidé comme une bau­druche dégon­flée. C’est à nous, anar­chistes, de le faire revivre de nos idées d’émancipation, de notre idéal de con­science et de lib­erté. Voilà notre œuvre : elle peut se réalis­er quo­ti­di­en­nement, obscuré­ment. Mais pour cela il ne faut pas se ren­fer­mer dans son cab­i­net d’études ou dans sa librairie. Il faut con­serv­er le con­tact avec la matière sociale afin de nous faire les artistes de sa trans­for­ma­tion. Il nous faut rester par­mi les tra­vailleurs, être tra­vailleurs nous-mêmes, afin de sus­citer en eux la seule influ­ence qui ne dégrade ni l’influencé ni l’influenceur : celle qui vient de la sym­pa­thie, de la sol­i­dar­ité de la con­science. Soyons dans les syn­di­cats pour trans­former les groupe­ments de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion — du dedans.

Et ain­si dis­tinguerons-nous essen­tielle­ment notre action de celle du Par­ti com­mu­niste. À la Dic­tature du Pro­lé­tari­at nous opposons l’Animation du Prolétariat.

[/André Colom­er./]


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