La Presse Anarchiste

L’imposture religieuse

Sous ce titre et sur ce sujet, qu’il connaît à fond, notre col­la­bo­ra­teur Sébas­tien Faure se pro­pose de publier pro­chai­ne­ment un livre appe­lé, croyons-nous, à sou­le­ver de vio­lentes polé­miques et à éclai­rer les mili­tants sur le pro­blème religieux.

En voi­ci quelques pages dont la Revue Anar­chiste est heu­reuse d’offrir la pri­meur à ses lec­teurs et fidèles abonnés.

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Il y a des siècles que le chris­tia­nisme a sen­ti l’impérieuse néces­si­té d’arracher son Dieu au mys­tère impé­né­trable qui l’entoure, de déchi­rer le voile qui le dérobe à nos regards, afin qu’il soit bien et dûment éta­bli que ce Dieu n’est pas un Être de pure ima­gi­na­tion, mais bien, comme l’affirme l’Église, réel et vivants Celle-ci a tou­jours eu conscience et de l’obligation où elle est d’esquiver ce pro­blème ou de le résoudre, et de l’impossibilité pour elle tant de l’esquiver que de le résoudre.

Que faire alors ?

Admi­rez le stra­ta­gème auquel le catho­li­cisme a eu recours. Il consiste à prendre l’attitude impo­sante, à mani­fes­ter l’assurance et à par­ler le lan­gage hau­tain qui conviennent aux gens sûrs d’eux-mêmes et qui ne redoutent, ni contrôle ni vérification.

Sans sour­ciller et sur ce ton qui n’admet en aucune langue et dans aucun pays ni réplique, ni objec­tion, ni démen­ti, l’Église dit : « Je repré­sente sur la terre le Roi des Rois. Celui dont j’ai reçu pleins pou­voirs, au nom de qui je parle et j’agis, est le Dieu tout-puis­sant devant qui doivent flé­chir le genou, dans la crainte et l’adoration, les plus hautes Puis­sances d’ici-bas. Qui que vous soyez : Grands et Petits, Riches et Pauvres, Forts et Faibles, incli­nez-vous. Sinon, je vous bri­se­rai comme verre dans ce monde et vous infli­ge­rai, dans l’autre, les puis cruels tourments. »

Allez donc dis­cu­ter, avec des gaillards qui parlent sur ce ton et avec une telle impu­dence ! Allez exi­ger d’ambassadeurs aus­si arro­gants qu’ils jus­ti­fient d’abord de l’existence de leur Maître, de sa puis­sance et de l’étendue de sa domi­na­tion ; allez récla­mer de ces plé­ni­po­ten­tiaires qu’ils exhibent les papiers, docu­ments et lettres de cré­dit qui authen­ti­fient leur mis­sion et qua­li­té ! Éblouies, fas­ci­nées et, aus­si, frap­pées d’une ter­reur d’autant plus pro­fonde que la menace venait de l’Incon­nu, par consé­quent de plus haut et de puis loin, les Puis­sances aux­quelles l’Église pro­po­sait dans ces termes un pacte d’association, un trai­té d’alliance, s’empressèrent d’acquiescer et c’est ain­si que, par sur­prise et par la ter­reur, l’Église catho­lique et les auto­ri­tés civiles se concer­tèrent afin de se prê­ter un appui mutuel basé sur leurs inté­rêts respectifs.

Il advint, cepen­dant, que, mieux avi­sés, peut-être plus pers­pi­caces, sans doute moins acces­sibles à la crainte irré­flé­chie, quelques Auto­ri­tés hési­tèrent et firent des dif­fi­cul­tés avant que de se rendre. Ce fut l’exception et le Catho­li­cisme n’eut pas à lut­ter beau­coup pour vaincre ces hési­ta­tions ou triom­pher de ces résistances.

À ces hési­ta­tions, l’Église répon­dit par un redou­ble­ment d’assurance ; de ces résis­tances elle eut rai­son par une recru­des­cence de menaces et d’intimidations.

« Je ne puis me trom­per, affir­ma-t-elle. Les véri­tés que j’enseigne n’ont pas à tra­ver­ser l’épreuve de l’examen, ni de la dis­cus­sion, puisque je les tiens direc­te­ment de Dieu lui-même. C’est la parole de Dieu que je com­mu­nique aux hommes après qu’elle m’a été révé­lée. Une telle ori­gine chasse toute pos­si­bi­li­té d’erreur, toute appré­hen­sion de men­songe. Ana­thème sur qui ose­ra dou­ter de la parole Divine ! Ana­thème sur qui aura l’audace d’en contes­ter l’authenticité, dont je me porte cau­tion. Héré­tique, schis­ma­tique, qui­conque refu­se­ra de s’incliner devant les Véri­tés Éter­nelles dont j’ai reçu la Révé­la­tion, sera chas­sé de l’Église, frap­pé d’Excommunication Majeure et, pour­sui­vi par la malé­dic­tion divine, il sera, sur la terre, iso­lé comme un lépreux et dans l’autre vie, condam­né aux flammes éternelles ! »

Br… J’en ai la chair de poule. Cette pers­pec­tive de l’isolement du pes­ti­fé­ré ou du lépreux dans cette vie et du dam­né dans l’autre, est ter­ri­fiante et on conçoit qu’elle ait suf­fi à bri­ser les der­nières résistances.

Aper­çoit-on ici la réa­li­té sai­sis­sante, la puis­sance fas­ci­na­trice de cet art consom­mé avec lequel l’Église sut jouer tour à tour de tous les arti­fices et manœu­vrer les pas­sions les plus diverses, par­fois même les plus contra­dic­toires ? Qu’on fixe, quelques ins­tants, sa réflexion sur ce point et l’imposture appa­raî­tra en pleine lumière.

Ah ! par exemple, c’est un chef‑d’œuvre de sub­ti­li­té, un modèle de patience, un pro­dige d’impudence. Tout se tient, tout s’enchaîne ; les pro­po­si­tions se suivent avec ordre et méthode ; cha­cune d’elles, se trou­vant exac­te­ment à la place qu’il faut qu’elle occupe, emprunte à celle qui pré­cède une par­tie de sa force et la trans­met à la pro­po­si­tion qui suit. Ce cha­pe­let d’assertions forme un rosaire tic Men­songes vrai­ment remar­quables dont les grains conduisent à ce fais­ceau de Men­songes concer­tés que j’entends être une Imposture.

« Dieu est éter­nel. » Il suf­fit d’attirer l’attention sur cet attri­but de Dieu : l’Éternité, pour que l’observation se concentre entiè­re­ment sur cet attri­but et qu’on ne songe même pas à se deman­der si Dieu existe ou non. Voi­là le pre­mier tour de passe-passe, l’escamotage ini­tial des­ti­né à mas­quer, à faire dis­pa­raître, à jeter dans l’ombre le fon­de­ment qui ser­vi­ra de base à l’édifice tout entier.

« Dieu est éter­nel. » Pour qu’il soit éter­nel, ne faut-il pas tout d’abord qu’il soit ?… Pas­sez muscade. 

« Dieu est infi­ni­ment puis­sant, infi­ni­ment bon, infi­ni­ment sage, infi­ni­ment juste. »

Et cette lita­nie d’infi­ni­ment, atti­rant l’examen sur cette pro­fu­sion de per­fec­tions, l’éloignera de plus en plus, insen­si­ble­ment, sans qu’il s’en aper­çoive, du point de départ : « Dieu existe-t-il ? »

Recon­naître qu’il est la Puis­sance, la Bon­té, la Sagesse et la Jus­tice infi­nies, n’est-ce pas admettre, sans aucune dis­cus­sion, que pour être tout cela, il faut d’abord qu’Il soit ?

« Dieu est Créa­teur et Pro­vi­dence Créa­teur. Il a tiré du Néant ta tota­li­té des Êtres et des choses. Pro­vi­dence, Il dirige, sur­veille, gou­verne l’Univers qu’Il a créé et veille à l’observation des Lois qu’Il lui a impo­sées. »

Il ne suf­fit pas que le Dogme Catho­lique pro­clame que Dieu est éter­nel, tout-puis­sant, infi­ni­ment bon et juste. Il faut encore qu’il prenne le soin de nous indi­quer ce que Dieu fait de ces per­fec­tions dont Il est la Somme.

Cette indi­ca­tion pour­suit deux buts : le pre­mier, c’est de conti­nuer à éloi­gner tou­jours et de plus en plus l’attention du point de départ, de façon à ce que telle devienne la dis­tance qu’on le perde tota­le­ment de vue et qu’on cesse entiè­re­ment d’y pen­ser ; le second, c’est de faire des­cendre Dieu des régions extra­na­tu­relles où il a été néces­saire de le pla­cer pour contem­pler, à dis­tance conve­nable, ses attri­buts et ses per­fec­tions, de l’amener insen­si­ble­ment jusqu’à l’Univers et de l’y situer afin que, par le fait seul de consta­ter et de sen­tir sa pré­sence au sein de la Nature, nous nous accou­tu­mions gra­duel­le­ment à l’y mêler constamment.

Sans plus attendre, je signale au lec­teur les deux buts de l’indication dont je m’occupe en ce moment. Je veux, ain­si, lui faire remar­quer le double mou­ve­ment qu’exécute l’Église et par lequel elle marche vers l’Imposture que nous allons trou­ver au bout :

a) Par­ler abon­dam­ment de tout ce qui concerne Dieu, célé­brer lyri­que­ment sa Puis­sance, sa Bon­té, son Amour, sa Misé­ri­corde, sa Sagesse, sa Science, sa Jus­tice ; chan­ter avec enthou­siasme le poème épique de la Créa­tion et exal­ter les splen­deurs de la Nature ; tel est le pre­mier mou­ve­ment dont le but est, de façon évi­dente, mani­feste, de sous­traire à l’examen la ques­tion de savoir, si Dieu existe ou n’existe pas, en concen­trant toutes les facul­tés d’observation et de rai­son­ne­ment sur les Per­fec­tions Divines et l’Œuvre de l’Éternel. Tout cela, c’est le pre­mier mouvement.

b) Le pre­mier mou­ve­ment doit être com­plé­té par un second : rap­pro­cher petit à petit les dis­tances qui séparent Dieu de l’Homme ; faire des­cendre Dieu des hau­teurs où Il règne et le trans­por­ter au sein de l’Univers, dont l’Homme fait lui-même partie.

Au point où nous en sommes de l’évolution chré­tienne que nous étu­dions pré­sen­te­ment, le pre­mier de ces deux mou­ve­ments est fort avan­cé ; il est même sur le point d’être ache­vé. Le second com­mence et nous allons le voir s’exécuter fort adroitement.

« L’homme est le chef‑d’œuvre de Dieu. Dieu l’a créé à son image. Il a vou­lu faire de l’être humain un être à part : presque à égale dis­tance du Créa­teur et du reste de la Créa­tion et comme un com­po­sé de la Matière et de l’Esprit. Par le corps, il est matière, par l’âme il est esprit. Esprit, il est libre ; libre, il est res­pon­sable devant le Magis­trat suprême de ses bonnes et de ses mau­vaises actions. C’est Dieu, jus­ti­cier infaillible, qui le juge­ra. »

Voi­là le pont jeté entre Dieu et l’Homme. Voi­là le trait d’union éta­bli entre l’Humanité et la Divi­ni­té. Voi­là, en dépit de toutes les oppo­si­tions et dis­tances, le point de contact qui unit le Créa­teur et la Créa­ture. C’est l’Âme.

Miné­raux, végé­taux, ani­maux, tout ce qui existe sur la terre, et tout ce qui, hors de notre pla­nète, com­pose l’Univers, peut n’avoir pas conscience de Dieu, igno­rer Dieu et ne lui rendre aucun culte. Mais l’âme humaine fait excep­tion à cette incons­cience uni­ver­selle. Elle ne peut ni igno­rer, ni mécon­naître Dieu. Humble créa­ture dont les des­ti­nées sont entre les mains de Dieu, l’homme doit à Dieu les hom­mages, les ado­ra­tions, le culte que l’esclave doit au Maître et le sujet au Seigneur.

Au sur­plus, le temps durant lequel l’âme reste pri­son­nière de l’enveloppe limo­neuse qui l’emprisonne n’est rien en com­pa­rai­son de l’éternité de récom­pense ou d’expiation qui, après sa mort, est réser­vée à l’Homme.

Eh bien ! est-il assez appa­rent et clair, le second mou­ve­ment que j’ai signa­lé quelques lignes plus haut ? Ne voit-on pas ce point imper­cep­tible, dans l’incommensurable espace : la Terre, deve­nu pro­gres­si­ve­ment, sous le patient effort de l’Église qui en veut faire son ter­rain d’action, son champ d’entraînement et d’exploitation, comme le Centre de l’Univers et, de tous les Mondes qui roulent dans l’espace, le globe sur lequel la Puis­sance, la Bon­té, la Sagesse et la jus­tice de Dieu ont, de toute éter­ni­té, jeté leur dévo­lu et déci­dé de s’affirmer avec éclat ?

Et sur ce globe ter­ra­qué lui-même, n’aperçoit-on pas dis­tinc­te­ment l’Homme comme la créa­ture en qui s’est com­plue la Divi­ni­té et dont Elle a fait choix en vue de des­ti­nées spé­ciales et immortelles ?

Voit-on com­ment, pas à pas, liant étroi­te­ment sa mis­sion aux des­seins de la Pro­vi­dence et au des­tin de l’Humanité, l’Église catho­lique a gra­duel­le­ment rap­pro­ché l’Homme de Dieu, en com­blant insen­si­ble­ment les dis­tances qui les séparent ? « Toi, Dieu, des­cends, et toi, Homme, monte. Toi, Dieu, admi­nistre, dirige la créa­tion ; toi, Homme, prends ta place au sein de cette créa­tion. Toi, Dieu, jette les yeux, dans le Cos­mos, sur ce petit centre : la Terre et toi, Homme, deviens, grâce à l’intelligence dont la bon­té Divine t’a gra­ti­fié, le roi de cette pla­nète. Homme, impose ta loi à tout ce qui t’entoure ; mais sou­mets-toi toi-même à la Loi du Maitre Suprême. Cette Loi, le Maitre a pris soin de la révé­ler à son Église et Il a char­gé celle-ci de te l’enseigner. L’Église, c’est la dépo­si­taire des Véri­tés Éter­nelles et des Pou­voirs Divins. L’Église, c’est la repré­sen­ta­tion, la mani­fes­ta­tion de Dieu sur-la terre, l’Église, c’est Dieu lui-même ! »

Voi­là le second mou­ve­ment : celui qui, ayant pour objet de rap­pro­cher l’homme de Dieu et de confondre Dieu et l’Église, consomme l’Imposture que j’ai, dès le début, annon­cée, sur laquelle je vais insis­ter quelque peu et dont je ferai connaître, par la suite, les consé­quences actuelles.

Repre­nons, main­te­nant, mais de la façon la plus rapide, toute cette Dog­ma­tique catho­lique dont l’exposé nous a conduits au point où nous en sommes.

Dieu est Éter­nel. — Erreur. (Soyons indulgent.).

« Dieu est infi­ni­ment puis­sant, bon, sage, juste. » — Men­songes ! J’en ai fait la preuve dans la pre­mière par­tie de cet ouvrage.

« Dieu a créé l’Univers. » — Men­songe. J’ai prou­vé copieu­se­ment l’impossibilité et l’absurdité du geste créateur.

« Dieu est Pro­vi­dence. » — Men­songe. J’ai for­te­ment éta­bli que le créa­teur par­fait exclut le Dieu-Pro­vi­dence et que la Pro­vi­dence nie la per­fec­tion du créateur.

« Dieu a créé l’Homme à son image. Il lui a don­né une âme imma­té­rielle, indes­truc­tible, libre, res­pon­sable. Dieu, Magis­trat suprême juge­ra et, selon les actes de sa vie, l’Homme sera récom­pen­sé ou puni. »

Men­songes ! Mensonges !

Men­songes ! J’ai sur­abon­dam­ment démon­tré que si Dieu existe, Lui seul est libre, que la per­pé­tui­té des sanc­tions, est incom­pa­tible avec l’équité et que l’existence de l’enfer dépose contre la Bon­té de Dieu.

On peut être, de prime abord, éton­né de cette accu­mu­la­tion de men­songes. Il n’y a cepen­dant pas lieu d’en res­sen­tir la moindre sur­prise. Tous, ces men­songes découlent les uns des autres ; ils se suivent, ils se tiennent, ils se huent, ils s’enchaînent dans un ordre rigou­reux et, quand on arrive à la pro­po­si­tion finale, où s’avère le but qu’on s’est pro­po­sé, force est de consta­ter que de tous ces Men­songes pas un n’est inutile, qu’ils sont fort ingé­nieu­se­ment clas­sé et grou­pés, qu’enfin ils consti­tuent un tout si bien arran­gé et dis­po­sé qu’il serait accep­table à l’examen le plus sévère, si celui-ci consen­tait à faire abs­trac­tion du point de départ : l’existence de Dieu, comme si ce point était acquis, prou­vé, évident.

Ne fal­lait-il pas que le Dieu du Chris­tia­nisme eût tous les Pou­voirs ? Puisqu’il devait. rem­pla­cer tous les autres Dieux, il était de toute néces­si­té qu’il réunît en ses mains la tota­li­té des Pou­voirs que se par­ta­geaient, avant lui, les divi­ni­tés du Paganisme.

De là pre­mier men­songe, obli­ga­toire : « Dieu est éter­nel et tout puis­sant. »

Ne fal­lait-il pas qu’il résu­mât en Lui toutes les per­fec­tions : bon­té, sagesse, misé­ri­corde, jus­tice ? puisque ses autels, devant s’édifier sur les ruines des autres, Il était appe­lé à rece­voir toutes les prières, à accor­der toutes les grâces, à étendre sur tous ses faveurs et ses béné­dic­tions, à faire peser sur tous la pro­messe de sa jus­tice, tem­pé­rée par la pro­messe de sa miséricorde ?

De là, autres men­songes : « Dieu est la bon­té, l’amour, la sagesse, la misé­ri­corde, la jus­tice infi­nies. »

Ne fal­lait-il pas qu’Il eût tout créé, pour que tout fût pla­cé sous sa dépen­dance et ne fal­lait-il pas enfin qu’Il conti­nuât à gou­ver­ner l’univers que les êtres et les choses res­tassent sous sa domi­na­tion absolue ?

Nou­veaux men­songes : « Créa­tion et Pro­vi­dence. »

Ne fal­lait-il pas, puisqu’il s’agissait d’une reli­gion ensei­gnée par des hommes, pra­ti­quée par des hommes, et d’un mou­ve­ment reli­gieux devant avoir son déve­lop­pe­ment sur la terre, ne fal­lait-il pas attri­buer à la terre une place par­ti­cu­liè­re­ment impor­tante dans la créa­tion, et, accor­der sur cette par­tie de l’univers, une place spé­ciale et de pré­di­lec­tion à l’espèce humaine ?

De là, men­songes sur men­songes : « l’immortalité de l’âme, le libre arbitre et la res­pon­sa­bi­li­té, le tri­bu­nal de Dieu, le ciel et l’enfer ».

Cet, entas­se­ment de men­songes, savam­ment agen­cés, enche­vê­trés, com­bi­nés, voi­là en quoi consiste l’Imposture.

Est-elle suf­fi­sam­ment démon­trée et n’est-elle pas com­plète, mons­trueuse, unique ? L’Église catho­lique n’est pas sans avoir — et depuis bien long­temps — eu le sen­ti­ment que tôt ou tard, sous les coups réité­rés que l’esprit d’examen porte à la méta­phy­sique reli­gieuse, tout cet écha­fau­dage de men­songes crou­le­rait. Elle s’est ren­dit compte de l’obligation qui lui serait faite un jour ou l’autre de prou­ver l’existence de son Dieu.

Réunis, les volumes qui ont été consa­crés à l’établissement de cette preuve, for­me­raient une immense biblio­thèque et quelques-uns de ces volumes témoignent d’un effort consi­dé­rable, d’une intel­li­gence rare et d’une sub­ti­li­té sans égale.

Tou­te­fois, on ne trouve, dans aucun de ces ouvrages, un essai de preuve directe et posi­tive, d’une de ces preuves qui ne per­mettent pas la néga­tion et dis­sipent le doute. Ici, c’est la nature qui, dans son ensemble comme dans ses détails, dans le spec­tacle mer­veilleux que nous offrent les infi­ni­ment petits comme les infi­ni­ment grands, dans l’ordre admi­rable dont elle place inces­sam­ment le tableau sous nos yeux, c’est ta nature, dis-je, qui dépose en faveur de l’existence du Créa­teur et de la providence.

Là, c’est un assem­blage pénible, un enche­vê­tre­ment labo­rieux de rai­son­ne­ments, de com­pa­rai­sons, de rap­pro­che­ments, d’oppositions, d’inductions, de déduc­tions, de dis­ser­ta­tions et d’argumentations sans fin, sorte d’inextricable dédale où s’égare l’esprit, sorte de laby­rinthe sans issue où se perd l’entendement.

Nulle part une démons­tra­tion claire, lumi­neuse, lim­pide, concluante.

À ces doc­teurs ès-méta­phy­sique qui sou­vent s’emberlificotent eux-mêmes dans leurs pré­ten­dus rai­son­ne­ments ; à ces construc­teurs de syl­lo­gismes, de dilemmes et autres argu­ments qui ne sont, sous leurs plumes, que des sophismes à ces cou­peurs de che­veux en dix et de poils en vingt ; à ces dia­lec­ti­ciens lourds, épais et téné­breux qui ont la pré­ten­tion d’y voir clair où règne la plus com­pacte obs­cu­ri­té, à ces dog­ma­tiques obtus qui croient rai­son­ner quand ils dérai­sonnent, je pré­fère l’humble et simple foi du char­bon­nier. Celle-la ne va pas cher­cher midi à qua­torze heures ; elle ne tente pas l’impossible ; elle sent obs­cu­ré­ment que le pro­blème de la qua­dra­ture du cercle n’atteint pas la dif­fi­cul­té que pré­sente celui de l’existence de Dieu et, à toute per­sonne qui l’interroge sur les rai­sons de sa foi, le char­bon­nier répond naï­ve­ment : « Je ne sais pas pour­quoi je crois, mais je crois ; et l’existence de Dieu est pour moi une cer­ti­tude que rien ne pour­ra m’enlever. »

L’attitude de cer­tains catho­liques — prêtres ou fidèles — a la ver­tu de la fran­chise, et j’en ai enten­du qui m’ont dit : « Je ne puis, certes pas, prou­ver l’existence de Dieu et je crois qu’il n’est au pou­voir de per­sonne d’administrer la preuve de cette exis­tence, mais j’appartiens à l’Église catho­lique. Celle-ci m’enseigne quelques véri­tés fon­da­men­tales. Ces véri­tés lui ont été révé­lées par Dieu. Si Dieu a par­lé, c’est qu’il existe. N’en aurais-je pas d’autres preuves, celle-la me suffit. »

Évi­dem­ment cette réponse est d’une can­deur décon­cer­tante. Prou­ver Dieu par la révé­la­tion ou la révé­la­tion par Dieu, c’est tour­ner dans un cercle vicieux ; mais, au moins, ce lan­gage témoigne d’une naï­ve­té qui me désarme.

Ne me par­lez pas, au contraire, de ces catho­liques : laïcs ou clercs, qui se font fort dc prou­ver par A plus B l’existence de leur Dieu et qui traitent dédai­gneu­se­ment d’insensés, d’ignorants, d’incompréhensifs, ou de gens de mau­vaise foi ceux qui ne se rendent pas à leurs pré­ten­dues démons­tra­tions. Ces sec­taires cèdent aux mau­vais conseils que leur donne leur rage impuis­sante et, dans la fureur où les jette, quand il s’agit de prou­ver Dieu, la consta­ta­tion de leur inca­pa­ci­té, ils vou­draient sup­pri­mer tous ceux qui osent dou­ter ou nier. 

Lais­sons-les à leur farouche into­lé­rance et passons.

[/​Sébastien Faure./​]

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